L’avenir du journalisme…

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Entretien avec Jean-Baptiste Giraud, journaliste et fondateur d’Economie Matin par Mary Grammont le 18 juin 2014, article publié sur Daily RP le 18 juin 2014.

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Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et le rédacteur en chef d’Economie Matin. Il a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France pendant 2 ans, puis comme reporter, matinalier et intervieweur à BFM pendant 9 ans, avant de fonder Economie Matin en 2004 puis de le céder à un fonds d’investissement espagnol en 2007.

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Après avoir créé plusieurs entreprises dans le domaine des médias, de l’événementiel ou des nouvelles technologies (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), il a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico.fr, dont il était rédacteur en chef pendant un an, avant de relancer en 2012 Economie Matin sur Internet et sur mobile.

Il est également l’auteur de nombreux ouvrages, dont « Combien ça coute, combien ça rapporte » (Eyrolles), « Les grands esprits ont toujours tort », « Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres », « Pourquoi les bois ont-ils des cerfs », « Histoires bêtes » (Editions du Moment) et « le Guide des bécébranchés » (L’Archipel).

Au début, Economie Matin était un format papier. Qu’est-ce qui a fait que vous avez pris le virage du pure-player ?

Je n’ai pas forcément pris de virage. J’ai créé Economie Matin en 2004 puis l’ai revendu à un fonds d’investissement. Quand j’ai souhaité recréer Economie Matin, j’avais appris de toutes les erreurs passées, ce qui m’a dissuadé de le refaire sous format papier. Aujourd’hui, lancer un journal print alors que tout laisse penser que l’avenir de l’information va se jouer sur le web, c’est faisable, mais seulement si on arrive à être rentable. Mais sur combien de temps ? Pour la petite anecdote, un ancien investisseur d’Economie Matin qui possède un groupe de presse thématique a arrêté les supports papiers pour se lancer sur le web. Et il a eu raison ! Il fait certes 10 fois moins de CA que le temps du papier mais, en valeur absolue, réalise la même marge opérationnelle.

Qu’est-ce que vous pensez du datajournalisme ? Quel rôle a t-il à jouer dans le journalisme d’aujourd’hui?

Le datajournalisme, c’est génial, mais très coûteux. Visuellement, c’est graphique, mais franchement, ça prend des plombes. La question que je me pose c’est : combien de temps passé pour toucher combien de personnes ? Quelle est la monétisation de cette audience ? Il faut savoir que quelques centaines de lecteurs, cela rapporte 2 à 3 euros maximum. Il faut donc avoir une bonne audience pour développer cet outil.

La crise qui touche le journal Le Monde : structurel ou conjoncturel ?

Le Monde est « mort » depuis des années, tout comme Libération. Ces médias, malheureusement, vivent totalement sous perfusion des aides de l’Etat et du clientélisme de l’abonnement…

Comment vous positionnez-vous face à la crise de la presse écrite ? Le journaliste a-t-il encore un avenir ? Quelle direction est-il en train de prendre ?

Oui, le journaliste a encore un avenir, car il aura toujours des infos à traiter. Avant, le journaliste était un métier élitiste. A l’époque, (j’ai eu ma carte de presse en 1994) je n’avais pas de caméscope, juste un appareil photo argentique et un magnétoscope à cassettes. Le métier n’a strictement plus rien à voir ! C’est devenu plus un métier de sélection et d’aiguillage que de production.

En fait, le journaliste d’aujourd’hui est juste un relais d’information, qui a la possibilité de lui donner de la visibilité et de la valoriser.

L’avènement des blogs et des réseaux sociaux qui sont eux-mêmes créateurs de contenu et relais de l’info, constitue-t-il une concurrence pour le journaliste?

Faites le parallèle avec un cuisinier professionnel qui se retrouve confronté à un amateur dans Top Chef. Ou alors, dans le même ordre d’idée, c’est comme si le journaliste était le chauffeur de taxi et le blogueur le chauffeur de VTC. Il ne faut pas être frustré. Avec ce genre de raisonnement, on pourrait assortir l’ouverture d’un blog au paiement d’une taxe qui servirait à financer les médias « tradtionnels »! Savez vous qu’il existe d’ailleurs une telle taxe, prélevée sur le chiffre d’affaires des radios et des télévisions pour subventionner… la presse écrite ? Cela n’a pas de sens.

Les NTIC permettent à tout un chacun de publier de l’information, et c’est tant mieux, il faut s’adapter.

La vocation d’Economie Matin, c’est de rendre l’économie accessible à tout un chacun. Alors comment vous différenciez-vous ?

Si un citoyen lambda lit Les Echos, il ne trouvera quasiment rien d’intéressant car les sujets sont trop pointus pour lui. Il n’est pas dans la cible. Notre démarche, c’est de mettre en avant quelques sujets économiques par jour qui concernent justement la vie du citoyen et de les rendre accessibles. Pas d’acronymes sans décryptage, pas de références à un savoir (Schumpeter, Keynes etc) sans explication. Clairement, on propose à ceux qui n’ont pas le temps de lire la presse éco de leur apporter de l’info simple à lire, facile à comprendre et qui les intéresse directement en tant qu’actifs (ou retraités) et citoyens.

Quel est votre modèle économique ? Est-ce qu’il y a un modèle économique viable selon vous ?

Notre modèle économique, c’est de ne pas dépenser beaucoup d’argent ou plutôt, de ne pas dépenser l’argent que l’on a pas. Sur la Toile, on ne gagne pas beaucoup, mais au moins, on n’a pas de coût d’impression. Il faut avoir des dépenses dimensionnées au potentiel de son CA à moyen terme, pour ne pas creuser sa tombe en avançant, et après, redimensionner quand le CA augmente. Je ne crois évidemment pas au business plan sur trois ou cinq ans sur la Toile. Le nôtre n’a déjà plus rien à voir avec ce qui était prévu !

Pour faire simple, si je dépensais deux fois plus pour produire du contenu, je ne gagnerais pas deux fois plus en recettes publicitaires. Je fais donc ce qu’il faut pour mon lecteur qui a conscience que l’économie est un sujet important, et qui cherche à le comprendre. Il nous arrive de louper des sujets, de donner un peu trop d’importance à d’autres, mais c’est aussi ça l’ADN d’un média : faire des choix.

En quoi est-ce important d’avoir des contributeurs qui proposent des tribunes ? De donner la parole aux entrepreneurs ?  

J’ai près de 15 ans de journaliste radio au compteur : j’ai fait venir des milliers de personnes pour des interviews, parfois de très loin, parfois pour trois minutes d’antenne et il ne s’est jamais posé la question d’une quelconque gratification financière. Quand vous faites intervenir quelqu’un à la radio ou à la télévision il est demandeur. Pourquoi lorsque l’on fait intervenir quelqu’un par écrit, avec un texte qu’il nous soumet, cela serait différent, au prétexte qu’il n’a pas parlé mais rédigé ? En plus, entre une très bonne tribune, bien ficelée et réfléchie et une mauvaise interview, il n’y a pas photo ! Alors bien sûr, dans l’interview, on oriente l’invité, on l’emmène là où l’on veut, on pose des questions qui dérangent ou en tout cas innatendues. Mais on déforme aussi la pensée ou la démonstration de l’invité, il est de plus souvent impressionné et diminué par le stress du média audiovisuel. Avec une tribune, que nous appelons aussi avis d’expert, rien de tout cela.

Quel est votre fonctionnement/stratégie sur les réseaux sociaux ?

On sait que les réseaux sociaux ne rapportent que quelques % de l’audience. Ce qui marche le mieux chez nous, c’est la publication du Best-of (matin, midi et soir). On a d’ailleurs développé un outil qui publie automatiquement sur Facebook cinq titres d’articles avec un lien raccourci.

Sur Twitter, on n’emploie que rarement les hashtag : nous n’avons pas remarqué de vraie différence avec ou sans en terme de trafic gagné, et c’est chronophage, alors que nous avons développé notre propre outil en interne qui nous permet d’automatiser les tweets.

Quelle est votre vision de la relation journalistes/attaché de presse?

Les vieux de la vieille se souviennent que les RP et les journalistes se voyaient tout le temps. Aujourd’hui, c’est bien souvent un prénom derrière un mail, plus rarement au téléphone ! Alors qu’autrefois, une conférence de presse, un petit déjeuner, ou une simple rencontre, « faisaient le job », c’était une relation d’abord « intime » et les agences ou les bonnes attachées de presse vendaient cela à leurs clients.

Aujourd’hui, on est dans le « delete ». 95 % de l’info que l’on reçoit, par mail, n’est pas ciblée ni pertinente. Alors forcément, on efface… Quand un titre de mail interpelle, en revanche, je réponds aussitôt à l’attaché de presse pour la féliciter et proposer de faire le sujet !

C’est quoi un bon attaché de presse ?

C’est celui qui a la capacité de créer de la convivialité malgré les nouveaux outils, non galvaudée, dans le respect de l’autre. Il faut être capable d’auto-critique. Mais le métier de RP n’est pas facile ! Faire passer de l’info et être obligé de rendre des comptes à son client, ce n’est pas simple.

Merci à Mary pour son autorisation de publication 🙂
Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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