Le Petit Journal de Rio : rencontre avec Corentin Chauvel

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Le 26 octobre dernier, le Brésil reconduisait Dilma Roussef à la tête du pays pour un second mandat avec 51,64% des voix. Une élection dont Corentin Chauvel, rédacteur en chef du Petitjournal.com à Rio, a été un témoin privilégié. L’occasion pour nous d’aller à sa rencontre et d’en connaître un peu plus sur son média ainsi que sur son profil mais aussi une opportunité d’en savoir un peu plus sur ce pays grâce à son témoignage.

Bande Le petit Journal

Depuis quand êtes-vous le rédacteur en chef de l’édition de Rio du Petitjournal ? Pouvez-vous parler de votre média, de sa ligne éditoriale et de votre rôle au sein de cette organisation ?

Je suis rédacteur en chef de l’édition de Rio du Petitjournal.com depuis juin 2013, ce qui correspond à mon arrivée au Brésil. Lepetitjournal.com est un site d’information internationale à destination des expatriés français et francophones. Il existe depuis une dizaine d’années et comporte une quarantaine d’éditions dans le monde qui correspondent à autant de villes. Au Brésil, la première édition a été créée à São Paulo en 2006, suivie de l’édition de Rio en 2009. Chaque édition est une franchise, elle est donc autonome éditorialement et commercialement (ce qui est la partie la plus difficile dans la gestion d’une édition).

De manière générale, chaque édition propose des articles sur l’actualité de son pays, de sa ville et de sa communauté francophone en français. Au Brésil, il y a une symbiose entre les deux éditions de Rio et São Paulo.

Nous publions en commun tous les articles d’actualité nationale sur le Brésil et chaque édition a également son contenu local. Je suis depuis juillet dernier le rédacteur en chef des deux éditions.

Comment est structurée votre organisation à Rio, comment couvrez-vous de manière générale les informations nationales au Brésil ? 

Corentin Chevel RIO Le petit Journal pour Culture RP

La franchise brésilienne du Petitjournal.com a été reprise en juillet par l’agence de design et de communication française « Cheeeeese! ». En tant que rédacteur en chef, je suis le seul salarié. A Rio comme à São Paulo, je dispose de pigistes bénévoles ou non, ainsi que de stagiaires selon les périodes. Nous avons également des partenariats avec des blogs pour publier leur contenu. Nous fonctionnons comme un quotidien papier plutôt qu’un site Web, dans le sens où nous publions en moyenne cinq articles et brèves par jour, du lundi au vendredi, et ces contenus restent en place sur le site toute la journée.

Nous ne publions pas d’articles en cours de journée sauf cas exceptionnel. Pour l’actualité nationale, nous nous basons principalement sur la presse brésilienne, concentrant nos moyens pour couvrir soit l’actualité « abordable », soit l’actualité locale et communautaire francophone. Nous proposons une variété de formats : reportages, décryptages sous forme de questions/réponses, entretiens, diaporamas… parfois de la vidéo.

Nous sommes totalement autonomes par rapport à la direction à Paris. Celle-ci peut reprendre certains de nos contenus sur son édition internationale.

Vous avez récemment été amené à couvrir les élections présidentielles au Brésil. A cette occasion, quel dispositif avez-vous mis en place ? Quel rythme de production avez-vous adopté ?

Etant donné le peu de moyens humains que nous avons, j’ai tenté d’assurer le minimum. A savoir suivre la campagne et relater les informations les plus importantes sans pour autant abreuver complètement nos lecteurs. Nous savons que nos lecteurs ne recherchent pas forcément en priorité de l’actu pure sur le Brésil parce que pour cet événement, les médias français le suivaient aussi, ou alors s’ils vivent au Brésil, ils s’informent aussi sur les médias brésiliens. Nous avons alors essayé de proposer du contenu original à l’occasion des deux tours. Soit des reportages auprès des militants et des électeurs, soit encore un entretien avec une politologue. L’édition internationale a repris nos articles sur les résultats.

Selon vous, en quoi une campagne présidentielle au Brésil diffère d’une campagne en France ?

Il y a beaucoup de différences entre une campagne brésilienne et française. La brésilienne est un peu à l’américaine, jouant beaucoup sur la télévision, la publicité négative envers les adversaires qui est autorisée, et la possibilité d’obtenir des fonds d’entreprises pour sa campagne (ce qui pourrait changer prochainement). A la télévision, les candidats dont les partis sont les plus représentés au parlement bénéficient d’un temps plus important que les autres. Par exemple, 20 minutes ont été distribuées par jour aux candidats et Dilma Rousseff en avait 11 ! Il y a également plus de débats télévisés. Les militants des partis sont moindres, les partis devant payer des personnes pour assurer leur propagande dans les rues. Au final, au Brésil, on sent que les choses sont encore beaucoup moins encadrées qu’en France.

Quels types de difficultés pouvez-vous rencontrer lorsqu’il s’agît de commenter l’actualité d’un pays comme le Brésil et le restituer à une audience française ? A quoi faites vous particulièrement attention ?

Il y a beaucoup d’explication voire de vulgarisation de notre part, car le système est souvent différent ici et tout n’est pas forcément comparable. Parfois, nos articles les plus théoriques (sur les visas ou autres formalités administratives) sont les plus compliqués à faire car chacun a eu une expérience différente ici (il y a les textes et l’application qui en est faite…). Le fait de ne pas vivre au Brésil depuis très longtemps me fait justement prendre le plus de précautions car j’apprends souvent moi-même en même temps que je traite un sujet. Il y a aussi des thèmes plus épineux que les autres que ce soit la dictature, pas si ancienne que cela, l’insécurité, la pauvreté, le racisme ou encore le traitement des minorités. Il faut savoir sortir des clichés.

Pouvez-vous nous parler des médias brésiliens ? Qu’est ce qui caractérise l’écosystème médiatique brésilien par rapport à celui de la France ?

Bande Corentin Chauvel

Ils sont extrêmement puissants et surtout privés. Les rares médias publics sont très marginaux. Autant je trouve les grands journaux particulièrement pertinents (O Globo, la Folha de São Paulo ou encore l’Estado de São Paulo), autant les télévisions varient du meilleur au pire. La chaîne la plus vue, Globo, malgré ses novelas navrantes, fait des efforts avec plusieurs programmes d’information et de reportages, mais les autres sont consternantes. La plupart proposent des messes évangéliques (Record, 2e plus grande chaîne, est possédée par un pasteur milliardaire) ou encore des programmes de faits-divers où les présentateurs commentent les affaires de manière populiste en appelant régulièrement à la peine de mort (elle est abolie depuis le 19e siècle au Brésil, bien avant la France).

Ce qui me surprend particulièrement, c’est cette volonté de tout montrer (cadavres, criminels, victimes sont exposés à tout va) et surtout cet accès à presque tout.

Quelle que soit l’affaire, Globo propose régulièrement les enregistrements des écoutes téléphoniques de la police ou encore les images des caméras de vidéosurveillance montrant le moindre meurtre. C’est une transparence totale loin de toutes les précautions éthiques que l’on retrouve en France.

Et l’actualité au Brésil ? Les émeutes de l’année dernière ainsi que la Coupe du Monde ont attiré l’attention internationale sur le pays. Mais vu de l’intérieur, quels autres événements non relayés à l’international vous ont marqué récemment ?

Le pays est tellement grand que même à Rio, il est difficile de savoir ce qu’il se passe à l’autre bout du Brésil. Il y a une grande concentration sur Rio et São Paulo. Globalement, je trouve que l’actualité brésilienne est plutôt bien relayée en France, notamment par Le Monde dont le correspondant est excellent, et RFI. Parmi les événements marquants moins relayés, il y a ces quelques bavures policières qui se sont déroulées à Rio et qui ont été particulièrement choquantes. Je dirais qu’un fait-divers sur trois est le fait de la police dont une partie des forces sont corrompues et mal formées. Il y a en ce moment aussi une grave crise de l’eau qui menace São Paulo, la plus grande ville d’Amérique du Sud. Son plus grand réservoir est à sec et les questions environnementales au Brésil sont toujours aussi mal traitées. La France pourrait aussi peut-être en savoir plus sur l’affaire Petrobras qui illustre bien la corruption présumée qui touche les gouvernants les plus haut placés au Brésil.

Quel regard portez-vous sur la société brésilienne en général et sur son rapport aux médias en particulier ?

La société brésilienne est frappante par ses inégalités. Le Brésil a toujours plus de milliardaires et à côté de cela, une pauvreté qui reste impressionnante et plongée dans une violence inouïe. C’est un pays riche mais qui gaspille tellement. Mais je suis marqué par cette chaleur des Brésiliens qui n’est pas qu’un cliché et cet optimisme tenace qui fait que, contrairement aux Français, les Brésiliens croient toujours en un avenir meilleur, quoi qu’il arrive.

Quant aux médias, la télévision est partout et tout le temps allumée. C’est elle qui domine et influence, malheureusement pas forcément dans le bon sens. Même si les Brésiliens ne sont pas complètement dupes. Globo, par exemple, a été blacklistée par les manifestants des mouvements sociaux de l’an dernier et plus aucun journaliste de la chaîne ne pouvait couvrir à découvert les manifestations. Ils étaient obligés de suivre les cortèges en hélicoptère ou de filmer incognito. Cela parce que le puissant JT semblait avoir pris position contre ces manifestations en ne montrant que les violences post-défilés (casseurs, etc.) et ignorant quasiment les revendications.

Revenons à votre parcours, qu’avez-vous fait auparavant et qu’est ce qui vous a amené au Petitjournal de Rio ? Avez-vous eu d’autres collaborations au Brésil ?

Je n’ai pas eu un parcours très classique dans le journalisme car je n’ai pas fait l’une des grandes écoles. J’ai fait un master de journalisme en 2005 à l’IEP d’Aix-en-Provence après en avoir été diplômé, ce qui m’a permis de faire des stages variés, mais sans débouché concret. Je me suis retrouvé ensuite à la radio, à Radio France, en tant qu’attaché de production remplaçant sur plusieurs émissions des différentes chaînes du groupe (France Info, France Bleu, France Inter) de 2007 à 2009.

Puis j’ai refait une formation plus spécifique en journalisme multimédia à l’Emi-CFD à Paris, qui m’a permis de faire un stage à 20minutes.fr et cette fois, cela a débouché sur un CDD puis un CDI, de 2010 à 2013. J’ai décidé de m’installer à Rio en juin 2013 pour rejoindre ma compagne qui est brésilienne. A l’époque, l’édition de Rio du Petitjournal.com recherchait un responsable donc j’ai postulé et j’ai obtenu le poste. Depuis mon arrivée, j’ai continué à travailler de temps en temps pour 20 Minutes dont je suis le correspondant au Brésil (j’ai notamment couvert la Coupe du monde pour eux en compagnie de leurs deux envoyés spéciaux). J’ai également pigé pour BFMTV.com et le NouvelObs.com.

Parlez nous de votre expérience de la Coupe du Monde…Comment l’avez-vous vécu sur un plan professionnel et personnel ?

Cela a été une expérience extraordinaire, épuisante, mais très heureuse. J’ai eu beaucoup d’appréhension car, si je suis un grand amateur de football, je ne suis pas un journaliste sportif pour autant et il a fallu que je me glisse dans ce profil la majorité du temps. J’ai pu faire quelques sujets un peu sociétaux tout de même, mais la compétition prenait souvent le pas car je devais couvrir Rio qui était un grand pôle de la Coupe du monde. Cela n’a pas été simple, il y a eu des tensions, des sujets bouclés à la dernière minutes, de nombreuses fois où je me suis dit « j’en peux plus, vivement que ça se termine », mais je retiens surtout tous ces matchs, cette ambiance et le fait d’avoir pu côtoyer de près des joueurs et entraîneurs que je ne voyais avant qu’à la télévision, en simple spectateur. Contrairement à beaucoup de journalistes spécialisés qui avaient l’air presque blasés de suivre la Coupe du monde, j’ai vraiment réalisé un rêve.

La Coupe du Monde l’été dernier, les émeutes l’année dernière, les élections aujourd’hui et en 2016 les JO… Le Brésil fait de plus en plus parler à l’international…En tant que correspondant sur place…qu’est ce que cela vous apporte ?

Beaucoup de frustration en réalité, parce que j’assiste à beaucoup de choses, je voudrais en parler pour les médias français, mais ces derniers n’ont au final pas beaucoup de place et surtout le budget pour prendre des papiers. C’est la première fois que je me retrouve pigiste et je constate la difficulté que cela représente, d’autant plus qu’il y a eu un afflux de journalistes français avant la Coupe du monde, ce qui apporte encore plus de concurrence (même si elle est très saine et qu’on s’entend tous très bien).

Les « non » sont ainsi beaucoup plus fréquents que les « oui ».

C’est pour cela que travailler pour Lepetitjournal.com, même si cela ne me rapporte que très peu, me permet de compenser avec une activité régulière et les sujets refusés par les médias français finissent sur le site.

Propos recueillis par  Alexander Paull

Un petit rayon de Com'

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