Interview de Laurence Allard sociologue de l’innovation.

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Culture RP a rencontré Laurence Allard, maître de conférences, IRCAV-Paris, sociologue de l’innovation, enseignante à l’Université Lille 3. Elle travaille depuis longtemps sur les nouvelles pratiques expressives digitales (web 2.0, remix, internet mobile, pratiques transmédias, financement participatif, double screening-télévision sociale…), sur le mobile et la création photo/vidéo, et enfin sur l’anthropologie des data, capteurs et autres puces (Internet des choses/Internet des sens/Internet des lieux/Bio socialité connectée).

Mobile Création

Comment êtes-vous venue à vous intéresser à l’ensemble de ces domaines ?     J’ethnographie depuis environ une quinzaine d’années les usages d’internet, du web, du mobile et des objets connectés désormais. Je mène à la fois des entretiens sociologiques avec des usagers et j’analyse des corpus de user generated content dans une perspective sémiotique. Mes premières études ont porté sur les newsgroups et les pratiques culturelles (cinéphilie), le web médiactiviste des années 2000, les pratiques de téléchargement en p2p, l’expression par remixage de contenus avec les réseaux sociaux 2.0 et la remix culture, le développement d’usages innovants dans les terminaux mobiles (mBanking, mHealth, arts mobiles, vidéos conversationnelles…) et plus récemment les usages (citoyens entre autres) des objets connectés et du Big Data.       

 

Le mobile est devenu un média de la voix intérieure (je vois, j’envoie), pour raconter qui l’on est ? Où l’on est ? Avec qui l’on est ? Dans quel but ?  

« Aujourd’hui je vis avec mon cerveau. Sur ma carte de visite, j’ai mis mon numéro de portable et mon mail. J’ai plus de magasins, de mari, d’enfants »(C., opticienne, 52 ans, Paris). C’est à ce titre que l’on peut parler d’une montée des usages du mobile comme média de la voix intérieure, de communication de soi avec soi, le « soi » qui est un corps et une subjectivité : cf http://www.mobactu.fr/?p=1272

Le mobile est dans le monde et en France la technologie de communication la plus répandue avec 6 milliards d’abonnés mobile dans le monde et 89% des français sont équipés d’un mobile. Il nous accompagne tout au long d’une journée pour des usages multiples. Et parmi ces usages, en plus de la communication à distance, paradigme d’innovation historique des télécoms, en plus des usages en co-présence où l’on se montre des contenus mobiles, se développent des pratiques de communication de soi avec soi, avec son intériorité. Ces expressions de notre vie intérieure, de nos émotions, de nos sensations, de nos sentiments par la médiation du langage verbal ou visuel, d’un texto ou d’une photo prise et envoyées à nos proches, à nos contacts de réseaux sociaux ou de messageries, voire parfois juste à nous-mêmes constituent un terrain d’exercice du rapport actif à soi-même, la mise à l’épreuve d’une dimension incorporée, somatique des usages d’une technologie.  

Les marques donnent maintenant carte blanche aux Instagramer, « une très bonne manière d’approcher les consommateurs, dans un contexte différent, sur les réseaux sociaux ». Cette reconnaissance se fait suivant les critères des réseaux sociaux et sur le modèle des Youtubeuses ou les blogs de mode… Il semble que nous soyons arrivés à un « médium pensant », à un modèle économique universel et viral qui positionne la question de l’Influence sur un nouveau terrain de jeux. Socialement qu’est-ce que selon vous cela va changer dans le concept de la communication positive ?

 

 Lorsque j’ai commencé à étudier les usages d’internet et du web notamment autour d’un corpus de pages personnelles et des blogs début 2000, je m’étais questionné sur la norme sociale qui habilitait tout à chacun à s’exprimer (ses goûts, ses passions, ses curiosités, ses opinions, ses luttes) à travers ces formes numériques. La logique sociale de cette extimité expressive, la norme sociale aujourd’hui n’est pas de reproduire mécaniquement des identités mais de s’inventer en partie soi-même.

Et aujourd’hui les applications mobiles constituent encore un espace d’exploration et de construction identitaire forte.

La reconnaissance de ces talents, experts numériques s’effectuent suivant la logique propre de l’influence, c’est à dire du nombre de followers, viewers c’est un nouveau « participamat », une nouvelle mesure d’audience liée à la logique culturelle participative du numérique où ce sont les usagers qui font et diffusent le contenu et parmi eux, les plus créatifs d’entre eux, les « talents » nés d’internet et du mobile (Norman, Cyprien, Youtubbeuses ou les instangramers. L’élection de « talents du numérique » quêtant une popularité sur les réseaux sociaux, en interaction également avec les émissions de téléréalité promouvant chanteurs, danseurs, imitateurs s’inscrit dans un type de reconnaissance que l’on peut qualifier en termes « d’authenticité reflexive ». Il s’agit de reconnaître l’identité numérique de l’individu qui s’exprime possède un caractère d’authenticité, celui-là même que les célébrités cherchent à conquérir en s’adonnant aux selfies par exemple. Les selfies des people en tant que photographies mobiles prises à la main comme « tout le monde » tendent à transfigurer ces stars en gens ordinaires, en suivant une dynamique inverse, l’usager ordinaire du numérique cherche la célébrité et la reconnaissance de son talent.   

Comment les marques peuvent « s’approprier » ces « échanges culturels » de communications multimodales propres à la textualité mobile ?   

La communication par la voie du mobile, en vertu de sa polyfonctionnalité, s’avère, en effet, multimodale, c’est à dire qu’elle met en jeu plusieurs matières de l’expression verbale, iconique, scripturale. L’application snapchat hybridant images photographiques, bandeaux textuels et dessins me semble typique de cette pluralité des langages dans les expressions et interactions en ligne. De nombreuses photographies prises avec son mobile sont des photographies d’écrits. Cette indifférenciation entre image et écrit constitue un trait également remarquable de la textualité mobile. Les marques, en connaissance, des pratiques communicationnelles du mobile peuvent s’adosser à cette richesse langagière des usagers en croisant les matières, le verbe, l’image, le dessin ainsi que le mot-image (l’emoji).     

 

Parler avec des images-textes tout au long d’une journée a désacralisé l’écrit et met en lumière combien l’image est un langage. Désormais, via son mobile, on écrit tout le temps, par tous les moyens – textes, images, emojis – suivant des formats pluriels allant de la note la plus courte au long billet de blog en passant par les SMS, tchat, tweet etc. cf http://www.mobactu.fr/?p=1305

 
Quelle sera selon vous le poids marketing, d’e-réputation, du phénomène Selfie pour les marques à l’avenir et selon vous comment celles-ci vont-elles interagir avec le public, une opportunité mais lesquelles et pour qui ?
 
Le selfie, correspond à une façon de dire « j’y étais » ou « j’y étais avec…. » Il y a une relation indicielle entre ce qui est photographié et celui qui photographie. A la différence d’une image iconique, mue par la ressemblance entre ce qui est photographié et la photographie. En cela, le selfie tend plus vers le portrait de soi dans le monde que vers le cliché narcissique. En atteste le détournement de ce genre né de la photographie mobile par les campagnes de mobilisation et ensuite les campagnes publicitaires. Dans le sillage de la stratégie du crowdsourcing, il s’agit de faire participer les internautes et mobinautes à la création des contenus pour une campagne, contenus que l’on assemble autour d’un mot-clé, d’un hashtag. cf http://www.mobactu.fr/?p=904

Selfie par Pete Carr

 
Si vous aviez a donner quelques définitions sur le #Transmediaet #PicturalMarketing quelles seraient-elles ?
 
Le transmedia en plus d’être un genre de production audiovisuelle promouvant des extensions d’un univers fictionnel sur différents médias et par différents acteurs (auteurs, fans…) renvoie également à la pratique du numérique qui s’accomplit au sein d’une panoplie transécranique composée de plusieurs écrans et par conséquence de plusieurs fonctionnalités et services. Ainsi, on observe des glissements d’un service à l’autre ou d’une fonctionnalité à l’autre (photographier un texte et l’envoyer par MMS correspond à une pratique transmédiatique, de glissement intersémiotique entre image et texte dans le cadre du format SMS.)
 
#PicturalMarketing : la communication interpersonnelle passe aujourd’hui de plus en plus par l’image connectée. Le marketing, la publicité, les marques s’adossent sur ces pratiques numériques en axant leurs campagnes sur des images réalisées par des usagers « talentueux » des réseaux sociaux photographiques par exemple. Cette élection par ces nouveaux intermédiaires issus des industries créatives que sont les agences de picturemarketing de « talents photographiques » – reconnus à la fois par leurs followers et promus ambassadeurs de marques – constitue un terrain d’observation intéressant de ces nouveaux contrats sociaux noués autour de la photographie mobile comme « pacte de visibilités » (faire voir, donner à voir, s’exposer, exposer) ainsi que des nouveaux rôles culturels qui s’inventent là (talent, ambassadeur, follower…).
 
Les Data, une friction dans les données, un rapport au savoir ou un nouveau modèle économique ?
 
Avec le développement des objets connectés, dont les écrans mobiles, tablettes et smartphones etc…- peuvent être les espaces de visualisation – des mégadonnées vont être captées, transmises et analysées. Se met en place une nouvelle ressource de la communication digitale, les data. Cela suppose une appropriation de ce nouveau matériau langagier, savoir lire des données et leurs interprétations par exemple. Cela suppose aussi d’inventer une dataculture autour de tous ces objets dotés d’une intelligence et d’une connectivité, afin que l’on puisse échanger autour de ses données, de leur sens. Produire et interpréter des données à travers ces objets connectés constitue un horizon pour le digical, ce monde intégré entre le physique et le numérique. Les interpréter cela suppose une acculturation à la fois pour en décrypter les apports des Big Data en termes de description et analyse d’un phénomène sur le plan par exemple de la prédiction d’évènements. Les promesses du Big Data peuvent être bénéfiques si les citoyens s’en emparent et les détournement de leur destin dyspotique que certains technologues nous proposent dès à présent. .

Enfin, la “programmatique” suppose ainsi de s’adosser sur les données de consommation de services cultures en ligne-vod, streaming,…- afin de prévoir le succès de certains groupes, de cibler au mieux les campagnes publicitaires.

 

Site professionnel : http://culturesexpressives.fr/doku.php
Blog consacré à la culture mobile : http://www.mobactu.fr/

Marc Michiels :

– Chargé de la ligne éditoriale, Interviews : Culture RP
– Community Manager : @Culturerp  @Argusdelapresse
Artiste, Écrivain et Critique Littéraire : @lemotlachose @LaCauselit

 

 

 

 

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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