Anthony Petiteau, Responsable des collections de photographies au Musée de l’Armée – Invalides

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Culture RP a rencontré Anthony Petiteau, Responsable des collections de photographies au Musée de l’Armée – Invalides.

Anthony Petiteau Pour Culture RP

« Le musée est le lieu du seul monde qui échappe à la mort. » – André Malraux

Comment arrive-t-on dans son parcours personnel à occuper la fonction de Responsable des collections de photographies du prestigieux Musée de l’Armée ? Et quelles sont les qualités évidentes qu’il faut posséder pour occuper un tel poste ?

Je suis historien de formation, spécialiste de la propagande pendant la Seconde guerre mondiale. A ce titre, j’ai d’abord travaillé au sein de l’équipe chargée de la création des nouvelles salles du musée de l’Armée consacrées à la Seconde guerre mondiale avant de rejoindre le cabinet des estampes, dessins et photographies en 2001 pour prendre le poste d’adjoint au chef de département qui était vacant. M’étant intéressé à l’utilisation de la photographie dans la propagande, on m’a confié la gestion et l’accroissement de ce fonds. Pour occuper un poste comme celui-ci, il me semble que la curiosité et l’ouverture d’esprit sont des qualités essentielles. Mais il faut également être rigoureux et organisé pour gérer une telle collection. En tout état de cause il faut aimer partager et travailler avec les autres, car c’est un travail qui ne se conçoit qu’en équipe. Je crois également que la spécificité de la collection de photographies du musée, centrée sur la guerre et le fait militaire, exige que l’humain soit au centre des préoccupations des personnes qui gèrent ce fonds. La plupart des photographies que nous conservons illustrent en effet le rôle social de la photographie. Certaines peuvent parfois être choquantes et nous avons, à ce titre, un devoir de mise en contexte et de pédagogie envers notre public.

Quelles sont les périodes historiques dont vous vous occupez précisément ?

La collection de photographies du musée couvre quasiment tout le spectre de l’histoire depuis l’apparition de ce médium. Nous tirons le fil de la représentation de l’armée depuis 1845, date de notre plus ancien daguerréotype, jusqu’à 2014 avec un reportage photographique d’Edouard Elias en République Centrafricaine. En réalité, la majeure partie de la collection traite d’une période comprise entre 1855 et les années 1920. Ce n’est que très récemment que nous avons décidé d’étendre nos collections à la représentation du fait militaire contemporain avec l’acquisition de reportages auprès de photojournalistes ou d’artistes. Les travaux récents d’auteurs tels qu’Eric Bouvet, Philippe de Poulpiquet, Willy Rizzo ou encore Emmanuel Ortiz nous permettent de créer des passerelles visuelles, esthétiques et thématiques avec des représentations d’époques plus anciennes.

La série « champs de bataille » de Yan Morvan, que nous avons acquise en 2016, constitue par exemple une réflexion contemporaine sur la question du paysage de la guerre, au sens topographique autant que mental. Elle dialogue ainsi avec des représentations des lieux de la guerre plus ancienne telle celle de Léon Méhédin réalisée en Italie, commandée à l’artiste par Napoléon III en 1859, et qui recelait une dimension tout à la fois politique et mémorielle. Cette collection de photographies ne se comprend par ailleurs que dans un ensemble : même si elle traite essentiellement du Second Empire, de la Troisième République et de la Première guerre mondiale, elle « dialogue » avec les autres collections du musée telles que les objets ou les autres modes de représentations que sont les peintures ou les dessins par exemple. Conserver et exposer la photographie dans un musée d’histoire tel que le nôtre, c’est constamment faire dialoguer objets, évènements historiques et représentations.

Comment sont organisés, la conservation, la documentation, le référencement et l’archivage technique ?

Nous conservons les photographies au sein du cabinet des estampes, dessins et photographies au sein de l’Hôtel national des Invalides et dans des réserves en banlieue parisienne. Ce sont des espaces sécurisés, à l’abri de la lumière et au climat contrôlé.

L’ensemble de la collection est géré grâce à un logiciel de gestion de collections de musées. Il nous permet de gérer physiquement la collection mais aussi de décrire les œuvres d’un point de vue scientifique et documentaire. Un système de mots clefs permet d’interroger cette base selon différents critères tels que les sujets représentés, l’auteur, la technique, etc. Un ensemble de dossiers d’œuvre et d’artiste nous permet d’archiver la documentation relative aux photographies ainsi que celle des œuvres en rapport.

Portail des collections et Bibliothéque pour Culture RP

Numérisation des collections de photographies et atelier de restauration,
cabinet des estampes, dessins et photographies du musée de l’Armée
©Paris, musée de l’Armée/Pascal Segrette

Nos collections ne sont toutefois pas intégralement décrites même si nous enrichissons la base régulièrement. De la même façon, tous les fonds ne sont pas encore conservés dans des conditionnements de conservation. Nous sommes ainsi actuellement en train d’achever un chantier de collection qui a consisté à décrire et reconditionner près de 20000 plaques de verre positives et négatives. Pour la partie des collections inscrite à l’inventaire mais non encore saisie sur notre base, nous adoptons un système de classement nous permettant de gérer les œuvres soit d’un point de vue chrono-thématique, soit par auteur ou par numéro d’entrée dans les collections. L’enrichissement des connaissances sur les œuvres ainsi que le suivi de leur état de conservation est un travail de tous les jours !

Un peu d’histoire, comment, sous quelle direction, volonté politique ou militaire, c’est-on intéressé à la conservation des supports photographiques au sein des Armées en France. Allait-elle de soi, ou s’est-elle organisée après de grand conflit comme complément visuel d’une sauvegarde de la mémoire, d’une réécriture des corps dans la guerre ?

L’actuel ministère des Armées est riche d’un patrimoine photographique de plusieurs dizaines de millions de clichés répartis entre plusieurs institutions telles que l’ECPAD, le Service Historique de la Défense, les musées de l’Armée, de l’Air et de l’Espace et de la Marine principalement. Chaque établissement suit une politique qui lui est propre en la matière mais complémentaire de celles menées par les autres établissements du ministère. Pourtant, l’armée n’a pas immédiatement adopté la photographie comme support de représentation de l’institution et des guerres. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, au sein du Dépôt de la Guerre, des artistes sont en effet missionnés pour garder une trace iconographique des guerres en cours. Dessinateurs et peintres partent alors sur les champs de bataille après les conflits pour en restituer la topographie et les actions décisives.

MÈhÈdin LÈon-EugËne (1828-1905). Paris, musÈe de l'ArmÈe. 7204.1.

Léon Méhédin (1828-1905), Guerre de Crimée. Sébastopol en ruines après le siège, 1855,
épreuve sur papier salé, Inv. 7204/1
© Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Christian Moutarde

Des expérimentations photographiques sont néanmoins  menées : en 1859, des officiers formés à la photographie auraient accompagné l’armée française sur les champs de bataille d’Italie ; en 1861, le célèbre Disdéri adresse un mémoire au ministre de la Guerre présentant les avantages que tirerait l’armée à mettre en place un service de photographes. Rien ne se concrétise pourtant de façon officielle même si de nombreuses initiatives individuelles d’officiers permettent de conserver aujourd’hui de nombreuses traces photographiques de la vie militaire, des expéditions coloniales ou des expérimentations techniques. Pour une bonne part, cette histoire reste à écrire.

Terrier Henri (1887-1918). Paris, musÈe de l'ArmÈe. 27962.118.

Henri Terrier (1887-1918), Deux soldats français se recueillent devant
la tombe de camarades
, Aisne, hiver 1914-15,
négatif gélatino-argentique sur support nitrate de cellulose, Inv. 27962-118
© Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette

C’est la Première guerre mondiale qui donne naissance à la Section Cinématographique et Photographique des Armées au printemps 1915. Son rôle est alors de constituer une documentation visuelle de la guerre ainsi qu’un support de propagande à destination de la France et de l’étranger. Ce service, dissous en 1919 puis recréé en 1939, existe encore de nos jours sous le nom d’ECPAD. Sans attendre la création de ce service, le musée historique de l’Armée (créé en 1896 et prédécesseur du musée de l’Armée aux Invalides) conservait déjà des photographies par souci de documentation des conflits et de la vie militaire. Le général Joseph-Emile Vanson (1825-1900), premier directeur du musée historique de l’Armée, a ainsi amassé une importante collection de dessins, estampes et photographies pendant sa carrière militaire. Son but était alors vraisemblablement de constituer une documentation sur la représentation de la guerre et les costumes militaires. Celle-ci constitue la base des collections de photographies du musée.

Vous arrive-t-il de participer à la mise en visibilité des œuvres, sous forme d’événements, d’ouvrages, d’exposition et quels est les moments, les séries photographiques qui vous ont le plus ému et pourquoi ?

L’activité de recherche, de publication et de diffusion des collections constitue une part non négligeable de mon travail. Je participe régulièrement aux expositions organisées par le musée par la mise à disposition d’œuvres pour les collègues chargés des expositions ou en tant que commissaire. Nous collaborons également de façon régulière aux expositions organisées en France et à l’étranger par le prêt d’œuvres mais aussi par l’écriture de notices, d’essais et il m’est également arrivé d’être associé à des commissariats d’expositions hors les murs. Je dois avouer que la production de certains photographes amateurs, que nous avons publiée en 2004, est très touchante à mes yeux. Elles ont en effet été réalisées par des hommes que rien ne prédisposait à prendre les armes et qui ont montré la guerre dans laquelle ils étaient plongés d’une façon intime. Derrière chaque ensemble se trouve un destin personnel ! Plus récemment, nous venons d’acquérir un ensemble de photographies réalisées par Emmanuel Ortiz sur la guerre du Kosovo en 2000. C’est un reportage sur les réfugiés kosovars qui fuient la répression serbe et sont forcés d’émigrer dans les pays voisins. Les images d’Emmanuel Ortiz sont très émouvantes et constituent des documents pour l’histoire.

Du 12 octobre 2017 au 28 janvier 2018 est proposé au public l’exposition « Dans la peau d’un soldat de la Rome antique à nos jours » (1) et qui s’intéresse entre autre, à la condition universelle du combattant. Provenant pour la plupart des collections du musée de l’Armée, plus de 300 pièces dont de nombreuses acquisitions récentes, sont présentées au sein du parcours.

Scénographie Exposition Dans la peau dun soldat de la rome antique à nos jours_©Paris musée de l’Armée_Pascal Segrette

 
Vue de l’exposition « Dans la peau d’un soldat. De la Rome antique à nos jours. »
©Paris, musée de l’Armée/Pascal Segrette


Présentez-nous cet évènement !

Cette exposition présente les éléments qui constituent ce qu’on appelle la culture matérielle du soldat. En effet, le combat ne représente qu’une infime partie de la vie du combattant et l’exposition présente au public ce qui constitue l’essentiel de la vie d’un soldat en campagne : manger, s’habiller, dormir… de l’âge du bronze jusqu’au XXIe siècle. Dans ce parcours, le public est invité à s’interroger sur l’humanité et la condition du soldat grâce au témoignage d’objets et de représentations qui montrent les persistances et les évolutions de la vie sur un théâtre d’opérations. Deux reportages photographiques acquis récemment présentent ces éléments de la vie matérielle du soldat mais aussi des moments plus difficiles comme la blessure et le deuil des familles.

Comment procédez-vous pour enrichir le manque d’information qui pourrait survenir sur des collections photographiques reçues ou collectées sans suffisamment de références ?

Assurer une bonne transmission des connaissances a autant d’importance que la conservation des collections elle-même. Une œuvre coupée de sa source, de l’intention de son auteur et de son contexte de réalisation perd une bonne part de sa substance. C’est pourquoi la documentation et la recherche sur les collections est primordiale. Lorsque nous sommes à l’origine de l’acquisition, il est capital de collecter et de conserver le maximum d’informations possibles, surtout lorsque l’on traite directement avec un auteur.  Mais sur plus d’un siècle d’acquisitions de photographies, les éléments manquants peuvent parfois être nombreux. C’est alors un patient travail d’enquête qui débute. Nous cherchons tout d’abord dans les archives et la documentation du musée pour tout ce qui concerne l’acquisition puis nous nous tournons vers les bibliothèques, les musées, les centres d’archives publics mais aussi les familles des donateurs ou des auteurs. Nous travaillons également en réseau avec des collègues en France et à l’étranger. Des collègues allemands nous ont ainsi aidés dernièrement à identifier avec succès les auteurs d’un album de photographies rarissime sur la guerre franco-allemande de 1870-1871.

Actuellement le fond des collections possède-t-il combien de tirages papiers, négatifs, de daguerréotypes…?

La collection de photographies n’est pas intégralement décrite. L’ensemble est estimé à environ 60000 phototypes parmi lesquels près de 20000 photographies sur support verre (négatifs et positifs), 3800 négatifs sur support souple (nitrate de cellulose essentiellement), près de 380 albums, quelques calotypes, une dizaine de daguerréotypes et plusieurs milliers de tirages positifs sur papier. Notre travail de récolement et de saisie de la collection continue chaque année et le prochain chantier sera consacré aux tirages sur papier.

Anonyme. Paris, musÈe de l'ArmÈe. 5965 ; Fa 496.

Anonyme, Le colonel Alexandre-Hippolyte-Félicité Breton (1805-1855), vers 1845,
daguerréotype, Inv. 5965, Fa 495
© Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais


Plus largement comment votre service communique auprès du public ? Les médias sociaux sont-ils une priorité dans l’évolution nécessaire du digital et auquel du reste, toutes les institutions publiques sont aujourd’hui confrontées ?

Notre premier mode de communication demeure bien entendu l’accès physique aux œuvres. L’ouverture au public, début 2018, du cabinet des estampes, dessins et photographies rénové va en outre s’accompagner d’une communication spécifique pour faire connaître l’existence de ce centre situé au cœur de l’Hôtel des Invalides. La dimension digitale est évidemment un moyen incontournable pour la diffusion de nos œuvres. A ce titre, la numérisation de la collection est l’aboutissement de nos travaux d’étude et de conservation. Elle va s’accroître afin de la mettre en ligne par étapes sur la base de données des collections, désormais accessible sur le site internet du musée. Nous préparons également une série de portfolios sur notre site dédiés aux acquisitions en photographie contemporaine. Les médias sociaux sont une partie très importante de la communication du musée et ils permettent, pour la photographie notamment, à nos abonnés de suivre l’actualité des collections, des acquisitions ou des prêts.

Développé par Malraux dès la fin des années 1930, publié en 1947, le « Musée imaginaire » a trouvé son aboutissement en 1951 dans « Les Voix du Silence », puis dans la « Métamorphose des Dieux » en 1957, jusqu’à la disparition de son auteur en 1976. André Malraux assignait au musée la charge de rendre visible ce qui est invisible et, au spectateur, de s’approprier cette éternité, de la comprendre, dans le sens philosophique du sens premier du terme. Comment envisagez-vous le devenir de votre profession ?

Dans le Musée imaginaire, Malraux attribuait à la photographie le pouvoir de rendre le musée accessible par la reproduction photographique. Je crois que l’essor des ressources en ligne, l’accès donné aux bases de données et aux reproductions des œuvres peut complètement se lire dans cet esprit. Donner accès à ces œuvres, que l’on ne peut montrer à demeure en raison de leur sensibilité à la lumière, de façon virtuelle et à distance constitue un moyen puissant de répondre à notre mission d’éducation et de pédagogie. Il y a toutefois le risque de déconnecter le public de la matérialité des œuvres. Déjà certains chercheurs ne se déplacent plus et se contentent d’images à distance. En tant qu’historien, on m’a appris que la consultation d’une archive originale était capitale. En matière de photographie, le risque est grand de n’en considérer que le référent (la chose représentée) au détriment du support et de tout ce qu’il peut véhiculer comme information. A Malraux, on pourrait opposer cette phrase de Brecht rapportée par Walter Benjamin dans sa Petite histoire de la photographie : « Moins que jamais, une simple “reproduction de la réalité” n’explique quoi que ce soit de la réalité ». Une part de notre mission consistera, je crois, à développer cet accès à distance et dématérialisé aux collections pour donner toujours plus envie de venir dans les musées y voir des œuvres originales !!

(1) http://musee-armee.fr/expoDansLaPeauDunSoldat/

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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