Peut-on encore croire à l’information médicale et scientifique ?

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Focus de Stéphanie Chevrel pour l’Observatoire de l’Information Santé sur les enjeux de l’information santé au risque des dérives et buzz médiatiques.

 

Observatoire de la santé_Home

 

Lors de La Matinale de la FNIM, Fédération Nationale de l’Information Médicale, organisée le 25 octobre dernier, Stéphanie Chevrel, fondateur de l’Observatoire de l’Information Santé et de l’agence RP Capital Image, a passé au crible une dérive médiatique, portant sur le cancer et le hasard*, suite à la publication d’un article dans la revue scientifique internationale Science. Sandrine Cabut, journaliste santé-médecine au Monde ; Claudine Proust, journaliste santé free-lance et Marc Gozlan, journaliste-blogueur médico-scientifique, collaborateur au Monde et à Le Temps (Suisse) ont ensuite débattu des pratiques du journalisme santé lors d’une table ronde animée par Nicolas Bohuon, président d’honneur de la FNIM, PR Editions.

Stephanie chevrel

 

Cancer et hasard, une dérive médiatique passée au crible

Stéphanie Chevrel s’est attachée à analyser** une dérive médiatique de façon à comprendre ses origines, ses mécanismes, ses conséquences, la position et les enjeux des différents acteurs et en tirer des enseignements et des propositions :

– Une dérive médiatique repose sur une information réelle, authentique, mais traitée de manière incomplète, erronée ou biaisée, par la grande majorité des médias pendant quelques jours. Cette information va être reprise dans le monde entier sans recul, sans mise en perspective et sans analyse critique. Or, lorsqu’il s’agit de santé publique, elle peut avoir de graves conséquences.
– La dérive médiatique portant sur le cancer et le hasard prend naissance un 1er janvier, jour férié, à 20h… C’est une dépêche de l’AFP titrée « Le cancer plus souvent dû à un manque de chance qu’à des causes génétiques » et une dépêche de Reuters qui précise dans son titre la fréquence des cancers (2/3 des cancers) qui vont déclencher l’emballement médiatique. A l’origine de ces deux dépêches, un article à paraître dans la revue Science, le lendemain.
– Moins de deux heures plus tard, la course au copier/coller (reprise in extenso des dépêches avec des titres accrocheurs) est lancée dans le monde entier : pour BBC News « Most cancer types just bad luck », pour Le Soir (Belgique) « De nombreuses formes de cancers sont dues à un manque de chance » et le lendemain, plus d’une centaine d’articles sur ce sujet sensationnel sont référencés à la une de Google, allant à l’encontre de toutes les politiques de prévention des cancers.
– Certains journalistes vont demander confirmation de cette information à des experts, mais ils ne donnent guère d’éclairage à l’information. En réalité, 48h après la publication, combien de journalistes et d’experts ont-ils lu la publication ?
– Le site du Monde est le premier à reprendre l’information, quelques minutes après la diffusion de la dépêche AFP. La journaliste a, quant à elle, eu accès à l’étude quelques jours plus tôt sous embargo et l’a bien lu. Son article très complet au titre plus mesuré – Cancer : le rôle du hasard réévalué – souligne un biais important de l’étude de Science : « Deux tumeurs parmi les plus fréquentes, sein et prostate, n’ont pas été prises en compte ». Le 2 janvier, Sciences et Avenir s’interroge, « Le cancer serait dû à un manque de chance, vraiment ? », tandis que The Guardian prend position : « Bad Luck, Bad Journalism and Cancer Rates ».
– Sur les réseaux sociaux, les réactions de la communauté scientifique sont nombreuses et immédiates aux Etats-Unis. En France, seuls les titres des articles parus dans les médias sont partagés sur Twitter et Facebook et ce sont les malades qui s’expriment sur les fils de discussion de Doctissimo et de L’Obs se demandant si on les prend au sérieux en véhiculant de tels messages.
– En France, la Fondation Arc va publier un communiqué de presse décryptant l’information le 6 janvier et il faut attendre le 13 janvier la position officielle de l’OMS : « Non, la plupart des cancers ne sont pas dus à la malchance ». Ce même jour, la journaliste scientifique réputée de Science, va faire son mea culpa sur le site de la revue, reconnaissant qu’elle a fait un contresens dans son article. Les journalistes scientifiques vont alors revenir sur l’article de Science pour dénoncer sa médiatisation, remettre l’étude dans son contexte et rappeler les règles essentielles de prévention.
– Alors, pourquoi Science a-t-il employé les mots de « bad luck » dans l’abstract et le résumé de la publication ? Pourquoi avoir titré en Une : « Are most human cancers due to bad luck ? » et déclencher ainsi ce buzz mondial ? Pourquoi ces mêmes mots ont-ils été employés dans le communiqué de presse adressé sous embargo aux journalistes par la prestigieuse université Johns Hopkins dans laquelle travaillent les deux auteurs de l’article incriminé, dont l’un est nobélisable. Chacun a, en réalité, des impératifs de notoriété – « publish ou perish » selon l’adage américain bien connu -, de classement et de budget. Plus un auteur et son université sont cités, plus la revue est citée, plus l’article est cité et plus, tous se retrouvent en bonne place dans les classements, comme celui, par exemple, de Shanghai pour les universités, lesquels classement sont purement quantitatifs.

L’Observatoire de l’Information de Santé pour intervenir rapidement lors de dérives médiatiques

En conclusion, Stéphanie Chevrel partage quelques observations propres à la France : une absence de position commune de la communauté scientifique, un manque de réaction coordonnée des autorités et institutions, une absence des acteurs publics et des professionnels de santé sur les réseaux sociaux et Internet, où ils auraient pu corriger le message initialement donné, puis revenir avec pédagogie sur les règles essentielles de prévention. Elle pointe également l’absence totale de modalité pour intervenir, voire stopper ces dérives médiatiques, d’où son idée de mener l’enquête avec l’Argus de la Presse*** auprès d’une centaine de journalistes santé-médecine-sciences afin de réfléchir à des solutions. Puis de créer l’Observatoire de l’Information Santé**** avec le soutien de la Chaire santé de Sciences-Po, ainsi qu’un compte Twitter @obsinfosante destiné à fédérer tous les acteurs pour intervenir rapidement et avec fiabilité dans des cas de dérives tels que celui-ci.

Les nouvelles pratiques de l’information santé

De nombreuses questions ont été posées lors de la Table-ronde qui a suivi à Sandrine Cabut, Claudine Proust et Marc Gozlan
– En ce qui concerne la nécessité d’être médecin pour être journaliste santé, Claudine Proust indique qu’ « il n’est pas plus nécessaire d’être footballeur pour écrire des articles sur le foot que médecin pour écrire sur la santé, à condition que le journaliste fasse son métier de manière professionnelle (vérifier les sources etc.). C’est même quelquefois un avantage de ne pas être médecin car en posant des questions naïves – celles que se posent le lecteur qui n’y connaît rien – à tel ou tel spécialiste, on s’oblige à être simple et clair ». Marc Gozlan rapporte qu’ « une excellente journaliste santé canadienne, qui a un background d’économiste et n’est donc ni médecin, ni scientifique de formation, dit : « Quand j’écris un papier, je mets autant d’application, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle que lorsqu’un médecin rédige une ordonnance. Je n’ai pas droit à l’erreur, en principe ». Tout journaliste doit travailler, travailler et encore travailler ». Quant à Sandrine Cabut, elle rappelle que « la rigueur et la curiosité sont primordiales » et ajoute « j’ai beau avoir fait médecine, sur certains sujets, je suis aussi ignorante qu’un journaliste non médecin ».

– Sur la hiérarchisation de l’information et la vérification des sources, Sandrine Cabut précise : « Au Monde, nous travaillons sous embargo, donc dans un relatif confort, et nous pratiquons une veille des grandes revues scientifiques et médicales, ce qui nous permet de planifier, de faire un pré-choix de sujets avec les conseils de scientifiques, de juger de leur importance. Mais le problème reste l’accélération de l’information qui oblige les journalistes à travailler très vite sur des thèmes complexes ». Pour Marc Gozlan, « Avant, on recevait les éditions papier de Nature, Science, Cell, PNAS, The Lancet ou le New England Journal of Medicine, on dépouillait les sommaires papier ou que nous recevions par fax et on voyait ce qu’il fallait traiter sans trop de pression de temps. Les choses ont changé en 1996, avec l’arrivée d’EurekAlert! Ce site d’information scientifique mis en place par l’AAAS***** est une plateforme, sorte de guichet unique, où tous les journalistes accrédités s’inscrivent pour avoir accès aux articles sous embargo, 48h avant qu’ils soient publiés dans des revues scientifiques de très haut niveau et à très fort impact. On dispose donc (d’un peu) de temps pour interroger des experts et inclure leurs propos dans nos articles. Plus grave est la confusion que peuvent créer certaines dépêches, notamment celles de l’AFP, qui seront copiées/collées par de très nombreux médias (notamment par des sites web lambda) et diffuseront erreurs et/ou approximations instantanément et dans le monde entier ».

*Publication : Chevrel (Stéphanie), Cancer et hasard. Une dérive médiatique passée au crible. Les Tribunes de la santé 2016/4 (n°53), Presses de Sciences-Po.
**Analyse de plus de 200 retombées médias, articles, TV, radio et blogs, forums, réseaux sociaux, françaises et anglo-saxonnes, de janvier à décembre 2015, agrémentée de 14 entretiens de journalistes, directeur d’école de journalisme, sociologue des médias, responsables éditoriaux d’éditions scientifiques, et de patients, de cancérologues et de la Fondation ARC.
*** Enquête réalisée par l’Argus de la Presse et l’Observatoire de l’Information Santé auprès de 1 854 journalistes santé, médecine et sciences dont 101 répondants par questionnaire auto-administré en ligne, du 16 juin au 1er octobre 2015.
****www.observatoiredelinfosante.com et #InfoSanté
*****Association américaine pour l’avancement des sciences, fondée en 1848 et basée à Washington.

Stéphanie Chevrel, Fondateur de l’Observatoire de l’information sante et de Capital Image
En 2002, Stéphanie Chevrel fonde avec Gaël de Vaumas, Capital Image, agence de Relations Presse et de Relations Publiques Santé. En 2015, soutenue par la Chaire Santé de SciencesPo, elle crée l’Observatoire de l’Information Santé. Aujourd’hui, expert en information et communication santé, elle forme les responsables d’institutions, d’associations et d’entreprises aux nouveaux médias et anime des conférences sur l’évolution des nouvelles pratiques du journalisme et du traitement de l’information santé dans les médias et sur les réseaux sociaux. Elle enseigne dans différents MBA et ExecutiveMaster.
Stéphanie Chevrel est diplômée de l’Institut Français de Presse (IFP) et de Sciences Po.
Publication récente : Cancer et hasard. Une dérive médiatique passée au crible, Les Tribunes de la santé 2016/4 (n°53), Presses de SciencesPo.

 

Merci à Barbara LETSCHER, International Relations Officer L’Argus de la presse | Groupe Cision.

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