#ParoledExpert
L’avenir sera à coup sûr passionnant, riche, incroyable. Mais il sera d’autant plus heureux que nous serons nombreux à vouloir reprendre notre destin numérique en main.
Jérôme Bondu, Directeur du cabinet de conseil en veille et intelligence économique inter-ligere.fr
Les influences et manipulations ont toujours existé. Le XXème siècle est riche d’expériences en la matière. On peut donc se demander légitimement ce que le XXIème siècle et la révolution numérique vont apporter de particulier.
Dans le livre très intéressant de David Colon « Les maitres de la manipulation – un siècle de persuasion de masse », l’auteur développe l’idée qu’il y a trois grands vecteurs de persuasion au vingtième siècle.
- Le premier est la persuasion par la répétition. Il s’agit ici de diffuser un message, d’arroser, nous serions tentés de dire, sans souci de ceux qui le reçoivent. Ce sera ce que fera Creel pour vendre la Première Guerre mondiale aux Américains rétifs à une intervention en Europe. Il multipliera les affiches de propagande (dont la célèbre « I want you for U.S. army »), les harangueurs de foules (que l’on a appelé les « Four minute men ». C’est ce que feront dans un autre style Disney ou Biao, l’auteur du petit livre rouge dont la lecture sera obligatoire pour tous Chinois. Et qui sera le livre de chevet de certains de nos brillants intellectuels.
- Le deuxième est la persuasion par une approche scientifique. Ces méthodes bénéficieront de la découverte et de l’exploitation des études de marché. C’est ce que feront Lasker, Ogilvi, Bongrand ou Rove. Il s’agira de tester ce qui fonctionne le mieux en termes de persuasion, et de le reproduire. Savoir pourquoi telle ou telle chose influençait mieux que d’autres n’était pas primordial. L’important était l’efficacité sur la cible.
- Le troisième est la persuasion par une approche psychologique avec une détermination des mobiles des actions humaines. L’auteur met dans ce dernier segment le célèbre Edward Bernays, Dichter ou Steve Bannon éminence grise de Trump. Bernays, était le neveu de Freud. Et quand il s’agira de faire fumer les femmes, il vantera la cigarette comme outil, que dis-je, comme symbole de leur émancipation ! Passé entre les mains du docteur Bernays, la cigarette deviendra une « torche de la liberté ». Il fallait oser jouer sur les ressorts psychologiques des Américaines en recherche de reconnaissance. Il l’a fait. Ça a marché. Chapeau bas…
Bien sûr, ces maitres en influence et en manipulation ont bénéficié des avancées techniques de leur temps.
Et c’est sur ce point qu’il nous faut nous interroger. Qu’est-ce que la révolution numérique va nous apporter de bon ?
S’il y a une structure qui a bénéficié des avancées techniques, c’est bien Facebook. La grande force de Facebook est d’avoir réussi à combiner et améliorer les trois approches utilisées au XXème siècle : répétition des messages (manipulation des fils d’actualité), tests sur des immenses cohortes d’utilisateurs (par exemple le test de la contagion émotionnelle sur 700 000 facebookiens) et utilisation fine des ressorts psychologiques (neuroergonomie, captologie). Sa capacité d’influence est donc inédite dans l’histoire de l’humanité. David Colon présente Facebook comme l’arme absolue, le feu nucléaire appliqué à la manipulation. Avec cette grande différence qu’il n’y a pas de régulation de ce domaine, et que Facebook se loue au plus offrant. Le scandale Cambridge Analytica et là pour nous le rappeler.
Loin de s’arrêter là, Facebook cherche à compléter son arsenal de persuasion. L’outil est devenu un véritable aspirateur à comportement dans le but de créer pour chacun d’entre nous un double numérique, un utilisateur « in silico » (comme il y a eu le « in vitro » et « in vivo »). Il est essentiel de trouver un nouvel équilibre, un modus vivendi avec ce type d’outil (Google n’étant pas beaucoup mieux) qui pend comme une épée de Damoclès sur nos régimes démocratiques. Les risques sont réels ! Le capitalisme de surveillance vous tend les bras.
Mais les motifs d’espérer sont nombreux aussi !
Déjà dans « Apocalypse cognitive » Gérald Bronner se réjouissait de ce que l’avènement du numérique pousse les citoyens-internautes dans une introspection salvatrice, et nous permette de nous révéler à nous même. C’est d’ailleurs le sens premier du mot « apocalypse » qui signifie « révélation ». Il n’est pas le seul. Dans « Le grand basculement » Philippe Dessertine voit lui aussi dans la révolution numérique la solution à beaucoup des maux qui sont apparus avec ce siècle commençant : menace climatique, financière, sociale, …
L’avenir sera à coup sûr passionnant, riche, incroyable. Mais il sera d’autant plus heureux que nous serons nombreux à vouloir reprendre notre destin numérique en main. La maitrise des techniques d’influence, la capacité à veiller, à analyser, à décrypter sont des atouts essentiels. Les outils d’intelligence économique sont là pour aider les citoyens-internautes et les sociétés du XXIème siècle. Je vous souhaite une belle aventure numérique.
Bio Jérôme Bondu :
Fondateur et directeur du cabinet Inter-Ligere.fr, spécialisé en veille, intelligence économique, influence digitale et sécurité informationnelle.
Il est auteur de trois ouvrages : « Voyage aux pays des réseaux humains » 2011, « Maitrisez internet … avant qu’internet ne vous maitrise » 2020, et « Petit bestiaire de la gestion des informations » 2021 Éditions Inter-Ligere.
Il est titulaire de trois mastères de troisième cycle : histoire contemporaine, gestion des entreprises et intelligence économique.
Il est formateur pour l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, expert APM (Association pour le Progrès du Management), a créé un réseau de conférences sur Lille et Paris en intelligence économique, et a alimenté son blog de plus de 1600 billets dont plus de 100 fiches de lectures.
Merci à Pauline Antoine, Client Insights Manager – Market Intelligence Chez Cision France 🙂
