#JaimeLaCom
Depuis plus de 10 ans, et en partenariat étroit avec les entreprises, les instituts d’études et les agences, Semiosine accompagne les marques dans la construction, la gestion et le développement de leur stratégie d’expression et de positionnement. Culture RP avait déjà interrogé Gaëlle Pineda cofondatrice de l’Agence Sémiosine : Une image est toujours invisible, ce n’est pas elle qu’on voit. Cette fois-ci nous avons décidé de proposer une interview croisée avec Nicolas Jung, cofondateur pour revenir sur leur vision métier et connaître ce qui a changé dans leur pratique mais aussi pour les marques.
Vous avez des parcours différents et complémentaires, comment définiriez-vous Sémiosine et tout singulièrement la sémiologie aujourd’hui ?
Quand nous avons créé notre bureau d’études en 2011, Sémiosine se voulait « l’usine à sémio » proposant une sémiologie opérationnelle, « les mains dans le cambouis », quelles que soient les problématiques de communication rencontrées. Aujourd’hui, nous nous sommes centrés sur une sémiologie narrative et culturelle qui n’a qu’une ambition : permettre à nos clients de bien dire ce qu’ils veulent dire en maîtrisant surtout ce qu’ils disent, et ainsi d’entrer en résonance avec les aspirations profondes de leur public. Dès nos débuts, nous étions certains de l’efficacité de la sémiologie pour le positionnement des marques autour d’un récit qui ait du sens pour elles et pour leurs audiences.
Qu’est-ce qui a changé depuis la création de votre Agence ?
La demande a changé. Avant, on nous demandait surtout d’incarner la posture du sémiologue – typiquement la grosse étude sémiologique livrée à un commanditaire sur un sujet de type exploratoire : la couleur rouge aujourd’hui, la figure du Génie, l’expression de qualité de service, etc., et présentée « en séance plénière » dans le but de nourrir la réflexion et l’inspiration des équipes marketing et/ou de communication. Aujourd’hui, on est beaucoup plus sur le conseil et la co-construction de solutions liées à un problème de communication précis. La sémiologie semble aujourd’hui moins vue comme une discipline que comme un outil de diagnostic et d’amélioration du discours. Nos clients nous voient ainsi de plus en plus comme des collaborateurs, des partenaires.
Votre triptyque d’intervention se veut être l’expression de la marque, la culture et l’audience tout en vous appuyant sur une analyse de l’existant. Quelles sont vos solutions ?
Notre solution, c’est le récit. Nous apportons des clés de lecture sur les forces et les faiblesses d’un discours de marque préexistant, pour permettre dans un deuxième temps la construction d’un récit signifiant, singulier et sensible, en phase avec le monde dans lequel la marque évolue et l’univers de sens qu’elle a elle-même créé au fil de son existence.
Sémiosine privilégie une sémiologie opérationnelle et inspirante, outil créatif et narratif particulièrement efficace pour donner des recommandations, quels sont vos formats d’interventions ?
Notre seul format spécifique, c’est d’essayer d’intégrer dans nos livrables et dans nos interventions un fil rouge narratif qui permettra aux équipes en charge du projet d’interpréter, de mettre en pratique nos recommandations. Bref, nous racontons la marque tout en déconstruisant son récit. Nos restitutions se veulent elles-mêmes récits.
Quelles différences faites-vous entre sémiologie et sémiotique ?
Nous assumons le terme sémiologie, qui depuis Ferdinand de Saussure se veut « la science des signes au sein de la vie sociale », avec donc tout ce que cela implique d’analyse culturelle. Mais nous utilisons au quotidien les outils développés par la sémiotique, comme le carré sémiotique, le schéma actanciel, etc.
Quelle différence faites-vous entre le récit d’une marque et l’histoire d’une marque, entre sa raison d’être et sa raison de dire ?
L’histoire d’une marque est factuelle et chronologique, sa création, les dirigeants qui ont marqué son évolution, les événements qui ont jalonné son existence, etc. Certaines marques se contentent de communiquer sur cette histoire qui leur est propre, dans un discours relativement autocentré qui finalement court le risque de ne parler que d’elles-mêmes à elles-mêmes. Le récit de marque, c’est avant tout un parti pris, c’est ce que la marque propose comme univers singulier à son public, et cette vision qu’elle entend partager avec lui. Une histoire s’énonce et s’écoute. Un récit s’incarne et se partage, au public de s’en emparer. La force d’Apple, c’est bien son récit de la différence construit quasiment depuis ses origines.
Comment envisagez-vous la question de l’interculturalité pour les marques, à quel moment vous mettez le curseur dans un monde multiculturel et mondialisé même si la marque souhaite communiquer en France ?
Nous nous concentrons sur la communication faite en France pour un public français, donc l’interculturalité reste présente mais en arrière-plan si la marque pour laquelle nous travaillons est internationale. Si le message de la marque est le même quel que soit le pays, nous pourrons expliquer les forces et faiblesses de son récit pour un public français, et nous nous entourerons de sémiologues spécialistes d’autres cultures s’il s’agit de mettre cette réception française en regard d’une réception chinoise par exemple.
Si vous aviez un conseil à donner aux marques et aux DirMarCom ce serait lequel ?
Les marques ont tendance à faire preuve d’ouverture, mais elles oublient parfois de se regarder. Le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes est symptomatique : toutes les marques en parlent mais sans, souvent, prendre conscience que leurs visuels et plus généralement leurs communications peuvent signifier le contraire. Elles cherchent à intégrer ce sujet sans réfléchir à la façon dont cela peut se connecter à leur récit de marque. Il est essentiel de connaître son récit et de travailler l’expression de ce récit plutôt que de « coller » à ce qu’on suppose que son public désire. Il faut donc que les marques s’interrogent régulièrement sur ce qui les différencie des autres et comment exprimer cette différence au regard de leur identité propre et de leurs fondamentaux. Et la sémiologie a ici tout son rôle à jouer.