Culture RP a rencontré Milarépa Bacot, fondateur et dirigeant des éditions La Manufacture de l’image, des éditions Lelivredart. Il lance aujourd’hui ART INSIDER, la revue professionnelle des artistes et des acteurs de l’art.
Milarépa vous êtes un boulimique de travail, vous avez une idée toutes les deux secondes et êtes un entrepreneur dans l’âme. Quel est votre parcours, ce qui vous anime au fond et pourquoi avoir fondé ces trois entités au service des artistes, des galeries, des collectionneurs… ?
Plutôt que boulimique de travail, pour être honnête je suis plutôt un paresseux contrarié. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Dès que je m’aperçois qu’il y a quelque chose d’intéressant et amusant à faire, je ne peux pas m’empêcher de me lancer. Du coup les choses s’accumulent un peu parfois (souvent, en fait).
L’activité d’édition est partie d’un constat simple. Le milieu de l’édition de livres d’art était l’apanage des musées et institutions qui travaillent avec quelques grandes maisons sur des budgets énormes. La majorité des artistes et des galeristes n’y avait pas accès et devait se rabattre sur de toutes petites structures ou des freelance.
Avec mon associée Myriam Lefraire nous avons voulu apporter à ces artistes et ces galeries la même qualité et la même exigence que les grandes maisons, mais avec des budgets plus adaptés. Nous avons rendu cela possible avec des frais de structure allégés au maximum, une approche très low-cost pour toute l’intendance, une grande exigence en terme de qualité vis-à-vis de nos fournisseurs et en mettant toute notre énergie dans la proximité avec les artistes et les galeristes pour imaginer un livre qui leur ressemble vraiment, en tenant compte du fait qu’ils ne sont pas du tout des professionnels de l’édition et en les aidant parfois à réunir une partie du budget.
Aujourd’hui nous publions pratiquement un ouvrage par semaine et nous nous plaisons à penser qu’une grande partie d’entre eux n’auraient tout simplement pas pu voir le jour sans nous.
Avec le digital, les opportunités abondent pour les artistes qui souhaitent obtenir une visibilité optimale et des informations essentielles pour leur développement professionnel. Pourquoi selon vous était-il nécessaire de créer ART INSIDER et pourquoi en papier ?
Vous avez raison, les opportunités abondent, les informations aussi et avec le digital les supports de communication se sont multipliés (Facebook, Twitter, sites, newsletter, etc.). C’est une chance, mais la contrepartie est qu’il est devenu très difficile de s’y retrouver. Les infos passent trop vite et dans tous les sens. Nous-mêmes qui baignons quotidiennement dans ce milieu nous avons du mal à tout suivre, à faire le tri entre les informations et à retenir celles qui sont importantes. Et du coup on n’en profite pas vraiment.
C’est ainsi que la nécessité de cette revue s’est fait sentir. Et c’est ainsi que le support papier s’est imposé : pour sortir du flux continuel d’informations et, une fois par mois, faire le point et se concentrer sur les informations vraiment utiles, celles qui aident à progresser.
Par ailleurs, le milieu de l’art s’est beaucoup développé, ce qui est heureux, mais il s’est aussi beaucoup complexifié et beaucoup professionnalisé. On s’est aperçu que ceux qui arrivent à émerger, qu’ils soient galeristes ou artistes, ont bien souvent une bonne appréhension du fonctionnement du milieu de l’art (des milieux de l’art faudrait-il plutôt dire, tant ce secteur recouvre des réalités diverses).
Or, ceci personne ne vous l’apprend, ni dans les écoles d’art ni ailleurs. Si vous n’avez pas des mentors pour vous initier vous êtes perdu. C’est pourquoi nous nous sommes dit qu’il serait utile de lancer une revue professionnelle, comme il en existe dans tous les autres secteurs, avec l’idée d’accompagner nos lecteurs dans la professionnalisation de leur démarche, leur donner les clés et les codes.
Quels accueils, soutiens auprès des institutions, galeries, experts, critiques, le monde de l’art en général, avez-vous reçu pour votre projet ?
On commence seulement à en parler depuis quelques mois et on est agréablement surpris par les encouragements que l’on reçoit de toutes parts. On nous avait pourtant mis en garde contre de possibles défiances d’un milieu souvent décrit comme jaloux de son « entre soi ». Peut-être, mais il est quand même constitué de personnes passionnées, curieuses, attentives et souvent plus désintéressées que dans d’autres secteurs, c’est une vraie chance.
Quel sera l’éditorial, les grandes thématiques de cette revue ?
Il y en a plusieurs. L’une de nos idées est qu’aujourd’hui pour un artiste ou un galeriste il n’y a plus de parcours type. Chacun doit inventer sa propre voie et les possibilités sont innombrables. Par exemple certains artistes émergent en partant à l’étranger, d’autres en étant très actifs localement, d’autres en entretenant des liens étroits avec des collectionneurs, d’autres en travaillant avec les institutions, d’autres en se regroupant en collectifs, d’autres en ouvrant leur propre espace de monstration, d’autres en travaillant avec les entreprises, etc.
Ce qui importe c’est d’avoir une idée à peu près claire de là où on veut aller. Mais pour imaginer son parcours, le meilleur exemple reste l’expérience des autres. Alors nous allons interviewer chaque mois des artistes, des galeristes, des collectionneurs, des mécènes, des commissaires d’exposition, etc. pour comprendre comment ils fonctionnent concrètement, comment ils ont construits leur parcours, quels ont été leurs succès ou leurs échecs. Avec l’idée de permettre à chacun de profiter de ces bonnes idées et ces bonnes pratiques.
Il en va de même avec la quantité de prix, concours, appels à projet. Les infos en apparence sont là, disponibles à tous, mais en réalité il est très difficile de bénéficier de ces opportunités si on ne connaît pas ce qui est réellement attendu et la façon de répondre. Résultat, quantités d’artistes et de galeristes répondent à des appels sans jamais être retenus et les porteurs sont débordés de propositions loin de ce qu’ils recherchent. Et seuls les initiés en profitent. Ce n’est pas le résultat d’une quelconque volonté mais simplement lié au fait que les informations vraiment importantes ne sont pas clairement exprimées et circulent mal.
On voudrait remédier à cela en allant interroger les porteurs de projet ou les membres des jurys pour permettre à nos lecteurs de répondre à peu d’appels à projet mais de répondre à ceux qui leur correspondent vraiment et d’y répondre correctement.
Ces deux exemples illustrent bien notre double volonté : d’une part permettre à nos lecteurs de prendre de la hauteur et du recul sur leur quotidien, les aider à faire le point, à réfléchir sur le long terme et à appréhender les mécanismes du milieu. D’autre part leur apporter des informations très concrètes, applicables et utiles.
Pour lancer le projet et tester les premiers numéros, vous avez décidé pendant 40 jours de proposer une souscription sur la plateforme de crowdfunding Ulule (1) en devenant lecteur fondateur. Quelles sont vos attentes, pourquoi cette campagne basée sur l’engagement, l’esprit collaboratif d’une communauté qui semble chaque jour plus encline à devenir acteurs de ce qu’on leur propose et non plus de simples consommateurs ?
Lancer une nouvelle revue papier aujourd’hui est un pari qui semble aller à revers du sens de l’histoire. Je suis persuadé qu’à terme il n’en est rien. En revanche dans le contexte actuel il est difficile d’assumer tous les coûts financiers. Nous aimerions donc réunir un nombre suffisant de pré-abonnés avant de commencer à faire paraître la revue. C’est une des raisons de cette campagne Ulule.
Mais notre objectif n’est pas seulement celui-là. Nous avons appelé nos pré-abonnés des « lecteurs-fondateurs » parce que nous pensons que la revue ne peut se construire qu’en collaboration étroite avec ses lecteurs. Nous voulons constituer à travers la revue une sorte de communauté d’acteurs de l’art qui se partagent les bonnes informations, échangent et réfléchissent ensemble pour évoluer et façonner le milieu dans lequel ils vivent.
Une fois la publication lancée, quelle communication envisagez-vous et souhaitez-vous être plus présent sur les médias sociaux et si oui comment comptez-vous exercer cette présence ?
Pour notre communication nous utilisons beaucoup internet, en particulier notre site – pour lequel nous avons fait un gros travail de référencement – et notre lettre d’info, mais nous ne sommes pas très actifs sur les réseaux sociaux et c’est un tort. C’est en partie une question de disponibilité en temps mais aussi une question de culture, ne les utilisant pas à titre personnel.
Avec le lancement de la revue notre petite équipe va grandir et se rajeunir. On compte bien en profiter pour améliorer cet aspect. Mais on compte aussi beaucoup sur le bouche-à-oreille qui jusqu’à présent nous a bien aidé à nous faire connaître. Pour nous c’est le meilleur des médias.
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