Culture RP a rencontré Daniel Bô, Fondateur de QualiQuanti, il explore le potentiel créatif des études marketing et de la recherche.
Pouvez-vous nous donner votre définition du Brand Content ?
Le Brand Content désigne le fait qu’une marque crée ou édite du contenu. Celui-ci peut être informatif, culturel, pratique, ludique ou divertissant.
Le contenu de marque apporte de la valeur (service, information, divertissement) : il est intéressant en soi, indépendamment de l’achat du produit. Il se présente comme un don adressé à une personne, qui dépasse la fonction commerciale et vise une implication dans une expérience enrichissante.
Pourquoi être passé du brand content au brand culture ?
Le Brand Content est un moyen alors que la brand culture est une fin. Le fait de créer du contenu est un moyen utilisé par les marques pour développer des relations privilégiées avec les consommateurs, pour assurer leur visibilité sur le web, pour expliquer leur raison d’être. La brand culture, c’est le résultat : un univers culturel riche de sens.
En quoi le brand content est une étape vers la brand culture ?
Le brand content correspond à la prise de conscience que les marques peuvent devenir des médias en élargissant leur discours au-delà du message commercial.
Avec la brand culture, on élargit encore le regard sur la marque en s’intéressant à sa réalité multisensorielle faite d’objets, de techniques, de sons, d’implication physiologique en la considérant comme une réalité sociale partagée non exclusivement discursive. La brand culture oblige à penser la marque de façon holistique.
Selon Raphaël Lellouche, on a trop privilégié la parole, le verbe, les mots, comme étant le vecteur fondamental du sens. La représentation discursive que nous avons de la culture est un atavisme qui nous est resté de l’ère Gutenberg. Or, toute la culture contemporaine est conditionnée par les médias techniques, qui enregistrent du réel et pas seulement du symbolique. C’est fondamental parce que le sens ne passe plus uniquement par le véhicule de la parole ou de l’écriture mais se branche directement sur notre physiologie. Il a fallu une illusion fantastique pour qu’on croie que le sens passait exclusivement par la parole. Quelqu’un qui écoute de la musique avec un casque audio, ce n’est pas du discours, et pourtant, c’est déjà de la culture.
On ne comprend vraiment ce qu’est la nature culturelle de la marque que lorsqu’on a dépassé la notion de discours.
Comment voyez-vous la relation entre les marques et les artistes ?
Voici ce que dit Raphaël Lellouche dans la postface et auquel je souscris totalement : « Aujourd’hui, on constate que les marques ont accédé au statut d’agent dans l’économie de la culture et cela même au niveau de la culture “élitaire”. C’est particulièrement prégnant dans le luxe, où les marques se font véritablement mécènes de plasticiens ou de musiciens contemporains.
Les marques sont légitimes dans cette fonction. D’abord le lien entre les artistes contemporains, les médias techniques et les marques n’est pas récent, contrairement à l’illusion rétrospective : l’art n’existerait pas sans les médias techniques, qui sont eux-mêmes portés par des marques. La musique, par exemple, est aujourd’hui un produit de l’industrie musicale, qui ne suppose pas seulement des instruments mais des studios où est produit le « sound », ce qui n’est pas tout à fait la même chose que le « son », elle suppose des médias, des investisseurs, etc. ; tandis que certains plasticiens comme Jeff Koons ou Takashi Murakami sont carrément devenus eux-mêmes l’équivalent de marques sur le marché de l’art.
Ensuite, à l’accusation de détournement des buts de l’art, il faut répondre que de tout temps, les puissances publiques ont été la condition d’existence de l’art. Sans l’Eglise médiévale, pas de peinture religieuse ni même de tradition picturale en Occident ; sans les familles princières et patriciennes comme les Médicis à Florence, pas de Renaissance artistique italienne ; sans la monarchie absolue et Louis XIV, pas de Versailles ni d’essor du goût français. Le pouvoir dominant qui, à l’époque articulait le politique et le religieux, a simplement fait place aujourd’hui au pouvoir économique, qui a naturellement pris le relai du mécénat. La question du biais ou de la manipulation n’a ici pas lieu d’être : l’art pur, « l’art pour l’art », est un fantasme de la fin du XIXe qui a abouti à la dissolution de la forme ; pour le reste, l’art a toujours participé aux puissances, jusqu’à faire l’apologie des puissants, il a toujours été utilisé à des fins de prestige et de propagande. Il n’en va pas autrement aujourd’hui. En dehors du fait que, certes, la plus grande partie de cette production culturelle et artistique est simplement médiocre, la critique de principe de sa légitimité n’en est pas moins pour une grande part irrecevable. »
Vous avez écrit : La brand culture oblige à penser la marque de façon holistique. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Selon Pascal Somarriba, « toute démarche de brand culture est holistique et doit plonger dans une recherche de valeurs et d’expressions spécifiques à mettre en œuvre à tous les niveaux. Le principe holistique conduit à un « alphabet de la Marque », qui ne doit pas être que contraintes avec appauvrissement du potentiel créatif mais trouver un équilibre entre cohérence distinctive et efficacité. Cela passe par un travail passionné et acharné d’alphabétisation et d’évangélisation, qui prenne en compte les valeurs, l’éthique, les expériences et stimule le potentiel d’application créative au sein de l’entreprise et chez ses prestataires. »
Selon vous comment aider les marques à repérer dans leur patrimoine de marque des gisements de contenus qui permettront d’exprimer au mieux leur Brand Culture ?
Les marques ont des sources d’ancrage culturel qui peuvent être d’abord liées à leur secteur d’activité, puis plus individuellement à leur métier ou à l’histoire de l’entreprise : lieu d’origine (La Havane pour Havana Club, les Alpes pour Evian), mythe fondateur, figure charismatique (Gabrielle Chanel, Christian Dior mais aussi Marc Jacobs et Karl Lagerfeld), interaction avec son époque (La Belle Epoque pour Perrier Jouet), usages et savoir-faire…
La culture de marque oblige à réconcilier l’interne et l’externe des marques et des entreprises. Penser en termes de « marketing », c’est s’orienter vers l’extérieur des marques, pour se projeter sur un marché. Quelles seraient selon vous les bonnes pratiques ?
Patrick Mathieu, expert conseil interviewé dans cet ouvrage, analyse en ces termes la notion de culture de marque : « La culture de marque oblige à réconcilier l’interne et l’externe des marques et des entreprises. Penser en termes de « marketing », c’est s’orienter vers l’extérieur des marques, pour se projeter sur un marché. Mais il peut très bien exister une dichotomie entre ce que l’on dit au consommateur sur le marché et ce que les managers ou les professionnels de la marque vivent et pensent en interne. Parler en termes de culture, c’est différent, car une culture qui ne serait qu’un argument de vente pour les consommateurs, sans être vécue par les équipes, par l’intérieur de la marque, ne serait pas une culture, ce serait un mensonge. La culture crée, nécessairement, un lien entre externe et interne parce que la culture devient opposable en interne. »
Ainsi, si la culture véhiculée au public n’entre pas en cohérence avec la culture interne de la marque, alors cette culture affichée se dénonce elle-même comme imposture, fausse culture et masque marketing. Toute culture qui ne serait que partiellement vécue se trahirait comme jeu d’acteur ou comportement de touriste.
Pouvez-vous nous donner des exemples de stratégies culturelles de marque à côté d’une stratégie marketing classique?
Nike, Coca-Cola, Harley Davidson, Repetto, Happy Pills, Sushi Shop, Patrick Roger, Pierre Hermé, Ladurée, Kusmi Tea, Mariage Frères, Petit Bateau, Desigual, La Cure Gourmande, sont des marques qui ont réussi à maximiser le sens pour leurs consommateurs.
En devenant des pôles de densité sémantique consistants, elles ont créé un arsenal d’expression riche et ont généré des éléments signifiants, qui se renforcent mutuellement.
Les marques de luxe ont un savoir clé dans la gestion de leur expression culturelle avec une prise en compte subtile de l’ensemble de leurs canaux d’expression.