Culture RP a rencontré Yo-Jung CHEN. Ancien diplomate à la retraite, il a passé toute sa carrière comme chargé de presse dans différents postes diplomatiques français à Tokyo, Los Angeles , San Francisco, Singapour et à Pékin. Chevalier de l’Ordre National du Mérite, 2011.
Le cas du Japon – Part 2
Cette structure de la presse n’est pas sans conséquence, même indirecte, dans l’accident nucléaire de Fukushima causé directement par le tsunami du 11 mars 2011 mais attribué par la commission d’enquête parlementaire à des fautes humaines. La première de ces fautes est la négligence de TEPCO, électricien exploitant la centrale condamnée, qui avait privilégié la rentabilité au détriment d’investissements dans la sûreté. La seconde faute revient au gouvernement qui avait, depuis 40 ans, mené une promotion aveugle de l’électronucléaire au mépris de toutes les mises en gardes, et dont l’agence de contrôle de la sûreté nucléaire était sous la tutelle d’un ministre chargé de la promotion de l’industrie nucléaire, en flagrant délit de conflit d’intérêt.
Normalement, c’est là que la presse devait jouer son rôle de contrôle. Ce n’est pas le cas à « Fukushima ». Selon un journaliste qui était au club de presse de TEPCO, ses confrères, qui étaient tous conscients des risques sécuritaires que posait la politique de TEPCO, n’avaient pas eu le courage de tirer l’alarme, craignant de casser « l’entente cordiale » entre le club et la direction de TEPCO laquelle, en plus, plaçait des pubs coûteuses dans les journaux. Privé ainsi de contrôle effectif du gouvernement et de la presse, TEPCO avait donc, jusqu’au jour de l’accident, carte blanche pour ignorer les appels, pourtant nombreux et pressants, au renforcement de la sûreté.Attaché de presse à l’Ambassade de France au Japon dans les années 80, j’ai eu moi-même un « accrochage » avec le « Kisha Club ». Suite à des vols de tableaux survenus en 1984 au Musée Semur-en-Auxois, la Police Nationale française a en 1987 dépêché au Japon la commissaire divisionnaire Mireille Ballestrazzi qui, à l’issue d’une mission difficile, a réussi à récupérer les tableaux rachetés par des collectionneurs nippons. Son succès et l’image d’une belle policière à élégance parisienne ayant défrayé la chronique, Mme Ballestrazzi a accepté de donner une conférence de presse avant de repartir. Or, la conférence ayant été organisée par le « Kisha Club » de la Police japonaise, la commissaire française et moi-même avons eu la désagréable surprise de constater qu’aucun des correspondants français à Tokyo (des étrangers !) n’y était admis. J’ai donc organisé une 2e conférence de presse invitant, cette fois, uniquement la presse internationale (dont bien entendu les Français !). A la joie des participants, c’est dans cette 2e conférence que la commissaire a montré, pour la première fois, les tableaux récupérés.
C’est surtout pour ces maux reprochés au « Kisha Club » que le Japon n’a jamais eu un score élevé dans le classement mondial annuel de la liberté de la presse publié par les Reporters Sans Frontières : 29e en 2008, 22e en 2011.Mais pour son honneur, rappelons qu’il y a bien des journalistes nippons qui ont réalisé des exploits journalistiques méritant le respect de leurs confrères ou qui risquent incognito leur vie sur les champs de batailles dans le monde. Le 20 août 2012, Yamamoto Mika, d’une petite agence, est tuée par balles en Syrie. Il a fallu le choc de son décès tragique à l’étranger pour que les Japonais découvrent comment la jeune journaliste a consacré sa vie à porter des coups de projecteurs sur la souffrance des femmes dans la guerre et dans l’intolérance. Jusqu’à son décès, pratiquement aucun des média institutionnels japonais avaient mentionné l’existence de cette femme qui incarnait pourtant de façon héroïque l’esprit même du journalisme.
Par ailleurs, des initiatives ont bien été tentées par certaines institutions, comme le ministère des affaires étrangères, et par des hommes politiques audacieux, pour surmonter la « dictature » des « Kisha Clubs » et ouvrir leurs points de presse aux reporters étrangers. Mais ces initiatives demeurent isolées et il y a encore un effort à faire pour que le Japon retrouve, dans le palmarès des RSF, la place digne d’une démocratie, 3e puissance économique du monde.
Yo-Jung CHEN