#JaimeLaCom
Le consommateur, ou plutôt le citoyen n’exige plus seulement que le service qui lui est rendu, le soit dans les meilleures conditions possibles, mais que les marques se montrent respectueuses – bien au-delà des simples conditions contractuelles donc – des individus et de la planète.
François Laurent, Directeur de Consumer Insight.
« Comment avancer dans un monde complexe ? » : ainsi le Conseil Scientifique de l’Adetem sous-titrait-il son dernier Manifeste, en 2020 … et force est de reconnaître que, question complexité, rien ne s’est réellement amélioré !
Complexité liée à l’arrivée de nouveaux entrants – les fameuses startups, ces outsiders qui, avec pratiques différentes – pour ne pas dire parfois violentes – comme le growth hacking, peuvent tout autant constituer un risque qu’une chance pour le marketing, en le forçant à se renouveler.
Complexité liée aux évolutions sociétales, parce que sous les coups de boutoir – mais pas seulement – du digital, le monde s’est transformé à une vitesse jusque-là inconnue – d’où la nécessité de se réinventer sans cesse, avec des collaborateurs qui eux-mêmes présentent de nouvelles attentes : en fait, il devient difficile de distinguer le consommateur du collaborateur … on ne devrait plus parler que de citoyens.
Complexité liée à l’omniprésence de marques digitales – que l’on adule tout autant qu’on les craint, les Google, Amazon et autres AirBnB … – capables, voire coupables, de dominer le monde en une ou deux décennies … mais aussi de mourir parfois encore plus vite que leurs ainées : Yahoo, AOL, etc.
Complexité bien évidemment accrue avec la crise sanitaire, bien évidemment !
Une crise qui a profondément bouleversé le monde du travail, et notamment en forçant au télétravail … et en soulignant les limites : la distanciation crée de la souplesse, favorise certains liens … tout en détruisant d’autres et tuant la créativité : raison pour laquelle IBM, un des pionniers en matière de télétravail, avait justement pris la décision de l’abandonner en 2017.
Une crise qui a aussi mis en avant la précarité de certains emplois liés à ce qu’on nomme assez pudiquement « le dernier kilomètre » : aucune protection sociale pour ces travailleurs dits indépendants – en réalité corvéables à merci – qui passent plus de douze heures par jour au volant de leur camionnette pour livrer les produits commandé en masse sur le Web ou pédalent à longueur de soirée pour les Uber Eats et autres Deliveroo.
Une crise qui a tout aussi violemment accéléré la prise de conscience par les citoyens de la nécessité de préserver la planète : le discours novateur d’une Greta Thunberg, les actions militantes d’Extinction Rebellion, se révèlent comme autant d’évidence : impossible pour les marques de ne pas en tenir compte, de ne pas se montrer plus responsables à cet égard.
Ubérisation, catastrophes écologiques, … ne datent évidemment pas de la crise sanitaire : mais cette dernière a joué un rôle de catalyseur, et en ce sens, il y aura un avant et un après Covid ; mais toutes ces évolutions sociétales étaient depuis longtemps en gestation et certaines entreprises les avaient déjà anticipées.
Au nombre des best in class, on pourra citer Fleury Michon, qui se définit elle-même comme une « entreprise engagée et responsable », la Camif, qui ne vend que des meubles fabriqués en France pour restreindre son empreinte écologique, et ferme son site durant le Black Friday.
Et puis il y a « les autres », celles qui se contentaient d’assurer leur business au quotidien, du mieux qu’elles pouvaient, sans anticiper, non pas la crise – ça, personne ne pouvait la prévoir –, mais les grandes tendances qui traversaient notre société depuis quelques années – depuis le début du millénaire, pour simplifier.
Pour certaines, la crise s’est révélée une sacrée aubaine, Amazon en tête ; et pour de nombreuses autres, une catastrophe sans nom : je pense bien évidemment ici au monde du spectacle, mais pas que.
Entre ces extrêmes, se situe la grande majorité des entreprises, pour qui il faut, après avoir su surfer sur la conjoncture pour ne pas disparaître, assurer le redémarrage des activités … vite, très vite !
Vite, très vite … et parfois, trop vite ! La tentation sera forte – et en fait, nous y sommes déjà – de singer les startups et leur Growth Hacking. Or rappelons que ledit Growth Hacking n’est que la conjugaison d’une vieille technique marketing, le « test ad learn », métissée d’une bonne absence de scrupules.
Rappelons que son succès, AirBnB le doit moins à l’originalité de sa proposition – le bed and breakfast est ancestral dans les pays anglo-saxons – qu’au siphonnage assez peu délicat des petites annonces du Bon Coin américain, Craigslist.
L’absence de scrupules peut se faire aux détriments de la concurrence, comme dans l’exemple précédent ; de ses employés, mais je ne reviendrai pas sur la problématique ubérisation des conditions de travail ; de la planète, en optimisant ses bénéfices sans se soucier de son empreinte écologique ; et … de ses clients !
Clients qui, dès que la situation prend une mauvaise tournure, vont de moins en moins hésiter à se lâcher sur les médias sociaux – encore ici, rien de nouveaux sous le soleil, les auteurs du Cluetrain Manifesto nous avertissaient dès … 1999, la fin du millénaire précédent (!) : « Les marchés sont des conversations ».
Mais là, la rébellion du consommateur – pardon, du citoyen – prend désormais une autre tournure : ce dernier n’exige plus désormais seulement que le service qui lui est rendu, le soit dans les meilleures conditions possibles – après tout, c’est la base du marketing – mais que les marques se montrent respectueuses – bien au-delà des simples conditions contractuelles donc – des individus et de la planète.
Les sondages sont éloquents : ainsi 8 consommateurs européens sur 10 estiment que « les marques de mode devraient publier les usines servant à la confection de leurs vêtements » [1] ; ou la même proportion de Français, que « la consommation responsable est un changement profond de la manière de consommer » [2] !
Toutefois la voie du respect, de la responsabilité constitue – et constituera certainement longtemps – un chemin périlleux truffé d’embûches : les récentes mésaventures d’Emmanuel Faber à la tête de Danone montrent bien que la quête effréné du profit prime pour les financiers toute idée d’une mission de service aux citoyens … compliqué de développer un management irréprochable à la tête d’une entreprise cotée en bourse !
Malgré tout, difficile de ne pas s’inscrire dans le sens de l’histoire …
En entreprise, c’est au marketing de prendre son bâton de pèlerin, d’expliquer à la finance, aux ingénieurs, aux commerciaux les nouvelles tendances sociétales … de porter la voix du citoyen jusque dans les comex : la prospective ne constitue-t-elle pas une de ses attributions essentielles ?