Une analyse de Florian SILNICKI, Expert en stratégies de communication et fondateur de l’agence LaFrenchCom
En disant avoir opéré une «transformation radicale» depuis l’affaire dite Falciani (du nom de celui qui est aujourd’hui considéré comme le Snowden de la fraude fiscale) allant jusqu’à assurer que l’âge de l’évasion fiscale est révolu, la banque HSBC a tenté une ultime pirouette misant sur le fait que la faute avouée est à demi pardonnée.
Cela pourrait rendre les juges moins intraitables s’ils venaient à se saisir de ce dossier.
Mais à entendre les voix qui s’élèvent, les Français et les Suisses risquent d’être peu indulgents. Pourtant, il faut bien reconnaître que de mémoire de communicants, ces déclarations représentent un acte de contrition inédit de la part d’un acteur de la sphère économico-financière suisse.
Comme cela se pratique couramment outre-Atlantique, la banque semble vouloir retrouver une virginité médiatique en déballant tout pour obtenir une rédemption. Au mieux, elle compte que l’opinion publique oublie cette affaire et ne l’associe plus à sa marque comme ce fut le cas dans l’affaire BNP. Pourtant force est de constater qu’en France, la virginité ne se regagne pas si facilement.
Un réseau d’évasion fiscale de 130.000 clients et 180 milliards d’euros… C’est l’information publiée aujourd’hui, annoncée hier soir, par le quotidien Le Monde sous forme de révélations. Le coupable est tout désigné : l’établissement bancaire HSBC.
Pour surmonter cette crise, la maison HSBC a fait siens, à raison, les principes du célèbre Ivy Lee, inventeur de la communication de crise. Journaliste initié à la politique, c’est lui qui a changé en profondeur la façon de communiquer des grandes entreprises. Avec pour socle, une règle essentielle : dire la vérité. Ce qui, il faut le remarquer, ne signifie pas tout dire. Transparence ne signifie pas maison de verre.
Face à ce qui peut être perçue comme une catastrophe pour son image, le groupe bancaire a choisi d’assumer. De ne pas nier sa responsabilité. Dire la vérité est le choix stratégique qu’il fallait faire. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer les entreprises qui n’ont pas jugé utile de suivre ce principe essentiel de la communication de crise et qui l’ont payé très cher, à l’image de Total au moment du dramatique naufrage dit Erika ou de Coca-Cola au début de la crise des canettes contaminées.
Ses règles tiennent en notamment en deux principes incontournables :
Premier principe : « Agir et ne pas réagir »
On sait que les banques sont aujourd’hui très conscientes du risque de réputation qui pèse sur elles. Ce risque est même considéré comme la menace principale.
La banque HSBC s’est ici retrouvée davantage dans une posture de réaction que d’action puisque c’est l’annonce des révélations qui déclenche une prise de position.
Pour rester maitre du temps, donnée essentielle de la communication de crise, la banque a tenté de démontrer dans son communiqué de 4 pages qu’elle n’avait pas attendu ces révélations pour agir et rompre tout lien avec l’illégalité. Elle le dit en ces mots : La « nouvelle direction a procédé à un examen en profondeur des affaires, ce qui inclut des fermetures de comptes de clients qui ne correspondaient pas aux standards élevés de la banque et la mise en place d’un système très poussé de contrôle interne » comme pour matérialiser et rendre concret cette mutation.
Second principe : « S’il y a une crise, il faut le dire »
Sur ce point, la banque fait ce qu’il faut. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle reconnaît la crise. Elle reconnaît ainsi « les défaillances passées ».
Il faut remarquer qu’HSBC a tenté de ne pas perdre le contrôle de l’information alors que les révélations du Monde pouvaient offrir à l’opinion publique le spectacle d’une citadelle assiégée. La banque ira jusqu’à affirmer de façon très claire : « Ces révélations concernant des pratiques du passé doivent rappeler que ce vieux modèle d’affaires de la banque privée suisse n’est plus acceptable ». Ces mots révèlent que la banque cherche à avoir une politique d’information vers le public, à recréer un climat de confiance avec lui en condamnant les pratiques qui ont été les siennes comme pour mieux montrer qu’elles sont aujourd’hui parfaitement dépassées et surpassées. Il s’agit de montrer que l’entreprise est consciente de la gravité de la situation, qu’elle prend en compte les conséquences de la crise. Elle tente de démontrer que le respect de la légalité reste au cœur de ses préoccupations.
Ce qu’on appelle la communication de crise c’est en fait l’ensemble des moyens mis en oeuvre par une marque afin de limiter les atteintes à sa réputation. La réputation de l’entreprise et la valeur de sa marque constituent un actif aussi précieux que fragile qui doit absolument être protégé. Pour cela, l’équipe de communicants de la banque s’est penchée sur les épisodes de crises précédentes pour ne pas renouveler les mêmes erreurs que par le passé. Sans doute avaient-ils constitué un précieux corpus d’expériences.
Face à cette catastrophe potentielle en termes de capital image, l’arbitrage stratégique de la banque est de ne pas multiplier les interventions médiatiques. Et, quand elle intervient, c’est par mail écrit. Pas d’interview en live pour ne pas risquer de dérapage.
Chaque mot est pesé.
La banque a préféré adopter cette posture plutôt que de prendre le moindre risque. La mobilisation de l’établissement bancaire est matérialisé par une prise de parole au plus haut niveau hiérarchique : celui de son Directeur Général : Franco Morra.
Sur le terrain périlleux de la communication de crise, la banque évite les plus grosses erreurs.
La banque apparaît réactive et maitrisant ses messages à travers une prise de parole engagée, compréhensible par tous et rigoureuse (par écrit). La banque réussit plutôt son exercice de transparence et ajoute même un petit rappel de l’origine de ces documents comme pour les abîmer : ils ont été volés… comme si la banque, au détour de ce communiqué, s’offrait le petit plaisir de souligner la déloyauté du procédé. N’en doutons pas, cela préfigure quoi qu’il arrive sa défense judiciaire.
La banque comme toutes les entreprises en France, fait face à l’exigence « zéro vice ». La raison est simple : l’opinion publique n’accepte plus que tout n’ait pas été mis en œuvre pour empêcher qu’un vice vienne altérer le lien de confiance qui le lie à une organisation. Cela se comprend aisément. En tant que consommateur, vous n’avez pas envie de voir une souris se balader dans les vitrines de votre boulangerie, vous n’avez pas envie de voir le scooter de votre enfant se briser alors qu’il le conduit, vous n’avez pas envie de trouver un cafard dans votre pizza. Vous n’avez, a priori, pas non plus envie de confier la gestion de vos comptes à une banque qui pratique l’exil fiscal, opère à travers des montages illégaux dans les endroits les plus reculés et les plus secrets de la planète ou encore mette en danger vos fonds.
Les communicants mesurent quotidiennement à quel point les Français sont devenus soupçonneux à l’égard des entreprises. Pour l’opinion publique, toute entreprise est susceptible de mentir pour des raisons commerciales. Les communicants savent aussi que gérer judicieusement une crise est plus simple et moins coûteux que de reconstruire une réputation endommagée.
Le groupe HSBC a par ailleurs tenté d’isoler la crise afin d’éviter contamination et dissémination. Ainsi, le groupe rappelle à qui veut l’entendre que c’est une filiale suisse qui est concernée et non la marque. Or, la banque semble oublier un peu vite qu’il n’est plus possible de circonscrire à un pays un problème, avec Internet, tout est désormais planétaire.
De plus, sous les effets combinés « des Webs » et des réseaux sociaux, la communication de crise ne peut évidemment plus rester basée sur une relation “top-down”.
Cette crise a conduit les responsables politiques français et suisses à réagir très vite. Ainsi, Le ministre français des Finances Michel Sapin a jugé qu’il fallait être « intraitable » avec les « fraudeurs du passé » mais a jugé que les récentes mesures mises en place contre la fraude fiscale avaient permis d’entrer « dans une nouvelle période ». La crise était évidemment aussi politique. Il fallait démontrer que tout était mis en place politiquement pour que cela ne se reproduise plus. Exercice réussi pour Michel Sapin qui s’offre le luxe d’être humble en reconnaissant que « techniquement, ça peut toujours se reproduire, mais je pense que nous sommes passés dans une nouvelle période ».
Les prochains jours verront peut-être la banque passer d’une communication de crise classique à une communication sous contrainte judiciaire alors que la Belgique envisage un mandat d’arrêt contre les dirigeants d’HSBC. La banque doit dès lors se préparer à un marathon en termes de communication de crise avec les développements de l’enquête…et le risque d’un retournement d’image. A l’ouverture d’une enquête comme à l’annonce d’un procès, la banque devient vulnérable.