#ParoledExpert
Les émotions sont en nous. L’amour exige autre chose qu’une simple émotion. Aux marques et aux équipes qui travaillent pour elles, de réaliser que tout reste à faire en ce domaine.
Patrice Laubignat, Conteur d’histoires et créateur de sens chez EforBrands
L’année d’après commence et nous sommes encore sous le choc émotionnel d’une crise inédite et incontrôlée. Émus nous sommes, émus nous serons toujours. Comme le rappelle joliment une campagne du géant rouge, symbole immortel de l’Amérique mixant bonheur partagé et consommation irresponsable, chaque crise trouve sa réponse dans la fraternité, dans l’esprit humain. D’ailleurs, si j’étais un optimiste, je dirais ici ma conviction que l’humain se portera mieux en 2021. Et pourquoi pas ?
Après tout, le marketing et la communication, semblent peu à peu se rallier à l’émotionnel et à l’impérieuse nécessité de raconter de belles histoires. J’ai même cru qu’un constructeur automobile avait compris la pertinence de ce changement fondamental dans un film dédié à la technologie hybride montrant combien la passion de certains peut améliorer la vie des clients ! Et puis, tout à coup, mon écran s’est rempli de toutes ces voitures magnifiquement alignées sur la piste dans un défilé harmonieux et ridicule à la fois. Patatra ! Retour vers le futur des voitures à vivre ! So eighties !
Chaque être humain est un vecteur d’émotions. Les marques l’ont bien compris et s’emploient désormais à nous tirer larmes et sourires face aux images de personnages de la vraie vie, de ces héros du quotidien que nous applaudissons, que nous admirons sans même les connaitre. Oui nous aimons les poissons rouges, les cadeaux un brin éculés pour Noël, les écrans qui nous relient pendant les couvre-feu, les merci et les bravo à tous ceux qui nous aident. Oui encore nous voulons les voir, les entendre chanter, les écouter nous faire part de leurs misères ou de leurs joies.
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Émus, nous sommes ensemble.
Mais le marketing ne se résume pas à créer l’émotion. Ni dans les contenus que les marques nous proposent, ni dans le cœur des hommes et des femmes. Les marques ne doivent pas seulement nous toucher, nous divertir, nous sensibiliser à leurs causes ; elles ne doivent pas non plus nous faire témoins de la bonne volonté de leurs équipes fidèles et courageuses. Notre confiance de client ne s’achète pas à grand coup d’émotionnel ! Nous sommes émus, certes, mais nous avons envie de croire. Croire que demain sera différent, et que les marques pourront contribuer à un avenir meilleur pour nous et pour notre belle planète. Mais de quel changement de société parlons-nous ?
Car l’émotion n’est pas une mission pour les marques. L’émotion est dans toute communication humaine. Les marques ont pour mission de changer nos vies en mieux. Alors on imagine facilement que leur marketing, leur communication vont évoluer aussi. On l’espère vivement !
Enfin, le Comex va se résoudre à considérer que le marketing est stratégique et que la relation affective entre la marque et ses clients fixe la valeur d’une entreprise. « Affective ? Tu n’y penses même pas ! Nous on fait du business ! » Je me doute que le trait est un peu trop épais, mais c’est pourtant ce qui m’éblouit (au sens de la perte de vue), tel un lapin dans les phares au xénon les plus performants du marché, lorsque je constate le grand écart entre la prise de parole médiatisée et la réalité du terrain. Parce que l’émotion que nous vivons avec la plus grande et belle intensité, réside tout de même dans notre expérience d’une réalité d’échange, d’interaction entre la marque et nous, en tant que client.
A ce moment-là, les effets « émotionnels » de la marque disparaissent, voire sont dramatiquement contrecarrés, devant l’afflux de nouveaux signaux ressentis vraiment par le client. Évidemment, les belles histoires nous séduisent. Mais nos récits sont empruntés à cette réalité vécue dans l’accord commercial, dans l’achat, dans l’usage, dans l’après-vente ou le service client ; autant de moments dont nous sommes le héros. Et si la séduction est une entrée positive dans la relation, les consommateurs sont devenus plus exigeants quant à la concrétisation des promesses. Séduire c’est bien, prouver c’est mieux !
Pour le dire autrement, être séduit n’est pas davantage un objectif pour un client dans sa relation à la marque, que ne l’est l’impératif d’être ému pour aimer. Si j’aime, c’est parce que ma première émotion s’est vérifiée dans l’expérience. Émouvoir sans proposer une expérience passionnée, n’a plus guère de sens aujourd’hui. Sans doute avons-nous accepté d’être dragués par les marques dans les années d’hyper consommation, mais la société a changé, et le harcèlement des consommateurs n’est plus supportable. Quand je pense qu’une marque de Pizza, m’envoie un mail quotidien depuis 2 ans, parce que j’ai eu la faiblesse passagère de lui passer commande sur internet, d’une reine avec un œuf, je suis à la limite de la désinscription !
Nous sommes émus, mais seulement quand nous le désirons.
On pourrait aussi se demander, non sans optimisme, si nous avons réellement besoin des marques pour être émus. Après tout, le marketing qui répondrait aux besoins des clients devrait s’interroger sur sa légitimité à porter des engagements, des combats et à les affirmer comme autant de raisons d’être. Les humains que nous sommes tous, ne sont-ils pas capables de s’émouvoir sans aide extérieure ? Faut-il qu’un lessivier ou qu’une marque de luxe nous expliquent qu’ils ont contribué sans hésiter à mobiliser leurs forces pour produire des masques ou du gel hydro-alcoolique, non sans remercier chaudement les soignants qui nous soignent ? Trop d’émotions tueraient-elles l’émotionnel ?
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Nous sommes émus, mais nous souhaitons surtout être aimés.
Et si nous pouvions être aimés d’un amour authentique, avouez que ce serait préférable ! Car outre l’émotion qui nous a sauté à la gorge en 2020, la recherche d’authenticité s’est précipitée dans nos prises de parole publiques. Nous serions ainsi émus par l’authentique ! Les marques sont-elles sincères lorsqu’elles tentent de nous séduire ? Est-ce vraiment une question ? Car si je ne devais être séduit que par ce qui est incontestablement une vérité, par ce qui ne peut être contesté, ne prendrais-je pas alors le risque de n’être séduit par personne ? Et qui m’aimerait qui sache aussi l’intégralité de ce que je suis, de ce que j’ai fait, en toute et absolue transparence ? Si nous aimons, est-ce vraiment en toute sincérité ? Il me semble curieusement avoir lu ici ou là que l’amour rendait aveugle.
Bref ! Si l’émotion est sincère, elle n’est authentique que pour celui qui l’exprime ou qui la ressent. Elle reste étrangère en revanche, à l’analyse rationnelle. Ainsi être authentique n’est pas nécessairement émouvant, et plus rarement encore la source de la séduction (amis de la cosmétique bonjour !). Oui je vous entends objecter qu’être aimé pour qui nous sommes est tellement plus beau ! Laissez-moi vous répondre que la beauté est subjective et, par conséquent, très éloignée de l’authenticité. Aussi, comme nous tous, préférez-vous le beau à l’authentique ?
Nous sommes émus et nous aimons les marques.
Pas toujours ! Pas celles qui nous proposent des expériences décevantes. Pas celles qui ne nous aiment pas sincèrement, pour nos singularités, nos différences, nos exigences humaines et sociales. Les émotions sont en nous. L’amour exige autre chose qu’une simple émotion. Aux marques et aux équipes qui travaillent pour elles, de réaliser que tout reste à faire en ce domaine. Prouver que la marque mérite l’amour des clients est une très belle mission pour le marketing et la communication. Exprimer, raconter ces expériences qui font d’eux et d’elles, les héros de notre quotidien, nous donnerait envie d’aimer la marques en retour.
En 2021, serons-nous encore capables d’aimer les marques ?