Entre risques, contraintes et bénéfices pour les marques françaises après le covid-19

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Tribune d'Olivier de MAISON ROUGE, Avocat – Docteur en droit, auteur et expert pour LexisNexis : il faut se rappeler que l’industrie n’est pas un gros mot et concourt directement à la richesse nationale...

#JaimeLaCom

L’industrie nécessite des savoirs-faires, des compétences et met en œuvre une chaîne de valeurs complète. Ce n’est donc pas seulement rouvrir un atelier de production. C’est un éco-système entier avec ses sous-traitants, ses fournisseurs, un approvisionnement sécurisé en matières premières, ses équipementiers et sa maintenance, etc...

Olivier de MAISON ROUGE, Avocat – Docteur en droit, auteur et expert pour LexisNexis

Le « made in France » n’a jamais été autant à la mode. Il aura néanmoins fallu attendre plusieurs années de déshérence industrielle pour voir enfin de nouveau s’affirmer un engouement pour les produits français. L’autonomie stratégique est désormais prônée, alors même qu’il n’existe plus de grand ministère de l’industrie, démantelé à l’instar de son intitulé.

Aussi, doit-on se réjouir du retour en force des savoirs-faires français ?

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Qu’est-ce que le made in France ?

Il faut tout d’abord bien s’entendre sur la question même du « fabriqué en France ». Cela répond à des conditions strictes ; il ne s’agit pas seulement d’apposer une cocarde bleu-blanc-rouge pour en faire un article fabriqué sur le sol français.

Selon le Centre de documentation Économie Finances : « L’origine non préférentielle permet d’établir la « nationalité » d’un produit quand des facteurs de production provenant de plusieurs pays interviennent : composants, matières premières et diverses étapes de la fabrication. En résumé, le produit prend l’origine du pays où il a subi la dernière transformation substantielle. » ; il s’agit ici seulement d’une considération douanière. En d’autres termes, peu importe l’origine des matières premières ou des pièces usinées, il convient qu’elles soient assemblées sur le territoire français. 

Dans cet ordre de grandeur, on pourra toujours continuer à se fournir en Asie et conserver une chaîne d’assemblage sur le territoire français pour revendiquer le label. Beaucoup de nos ateliers industriels fonctionnent ainsi actuellement. Dans ces conditions, la « relocalisation » à l’œuvre ne se traduit pas mécaniquement par la réouverture d’usines de production industrielle.

Il conviendra en conséquence d’être vigilant sur la véritable origine des éléments entrant dans la composition d’un produit et ne pas se satisfaire du liseré tricolore posé sur son emballage.

Par ailleurs, si d’aventure cette réindustrialisation se traduit dans les faits, quelle en est la valeur ajoutée pour les marques françaises ?

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De nouvelles tendances de production et de consommation

La globalisation qui s’achève a conduit à se déposséder d’un pan entier de la fabrication de produits, parmi lesquels les plus essentiels comme les masques de protection individuelle.

En réalité, ces délocalisations n’ont pas affecté tous les domaines d’activité. Par application du principe de Ricardo (dit « de spécialité »), la France a délaissé des productions de produits à bas coût, jugés peu rentables, comme le textile et la mode, pour se focaliser sur les savoirs-faires à haute valeur ajoutée, comme l’industrie du luxe notamment, regroupés au sein du Comité Colbert, ou encore le secteur aéronautique civil et de défense.

De petites productions ont ainsi vu le jour dans la confection haut de gamme, en matière de bijouterie, maroquinerie, parfums, etc. qui persistent à incarner « la vie à la française ». Il n’est pas impossible que la tendance se renforce dans l’avenir, afin de privilégier la mise en valeur du savoir-faire français.

De même, dans l’alimentaire, les circuits-courts sont privilégiés, mettant en avant les marques de producteurs locaux, face à un mode de consommation standardisé. Les clients sont prêts à payer plus cher pour un produit local, plus qualitatif et nécessairement moins exotique. Petit à petit, les clients ont pris conscience de l’impact carbone des produits alimentaires importés, et plus simplement du respect des cycles de production et des saisons. C’est un fait majeur que la crise va accentuer davantage, agissant en vérité comme un accélérateur de tendances déjà actées. De fait, les crises ne sont pas des tournants, mais davantage des tremplins, la continuation d’une courbe déjà enregistrée. 

Sur le même mode, des brasseries indépendantes ont vu le jour, rognant les parts de marché des géants de la fabrication de bières. Les rayons de la distribution font d’ailleurs de plus en plus de place aux produits estampillés « local » que les consommateurs apprécient de plus en plus.

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Quelle valeur ajoutée pour le made in France ?

En revanche, comment apprécier la valeur réelle d’une marque dite « française » grand public, qui continue à supprimer des emplois sur le territoire national, délocalise ses centres de coûts, défiscalise à l’étranger et fabrique in fine l’essentiel de ses produits à l’étranger ? 

C’est le cas de l’industrie de l’automobile auprès de laquelle les autorités nationales sont au chevet, pourtant stigmatisée quelques années plus tôt par Arnaud Montebourg, alors ministre du « redressement productif ». Il faut d’ailleurs relever que Bruno Le Maire a conditionné le prêt garanti à l’état (PGE) à Renault, sous condition sine qua non de maintien de l’emploi.

La réindustrialisation tant vantée sera somme toute délicate. L’industrie nécessite des savoirs-faires, des compétences et met en œuvre une chaîne de valeurs complète. Ce n’est donc pas seulement rouvrir un atelier de production. C’est un éco-système entier avec ses sous-traitants, ses fournisseurs, un approvisionnement sécurisé en matières premières, ses équipementiers et sa maintenance, etc. Il ne faut donc pas se leurrer, tous les anciens bassins industriels en jachère ne vont pas revivre.

Il ressort donc de ces quelques éléments d’appréciation que le « made in France » n’est pas un tout et embrasse plusieurs formes hétérogènes.

Les marques notoires et appréciées des français doivent elles-mêmes véhiculer les valeurs du fabriqué français, et ne pas disjoindre la valeur commerciale, immatérielle, de la production industrielle ouvrière sur le sol français. C’est ce mécanisme mortifère qui détruit la valeur ajoutée française.

C’est pourquoi la réindustrialisation, au-delà de l’affichage, devra véritablement se faire avec discernement de manière à recréer une véritable valeur ajoutée pour la France et lui permettre de se doter d’outils de séduction suffisamment attractifs pour se vendre par ailleurs et attirer les capitaux.

Cela ne peut se faire sans une impulsion forte et engagée des pouvoirs publics en association avec les forces vives économiques.

Très concrètement, cela nécessite non seulement de définir les axes cardinaux, avec un soutien du plus haut niveau de l’Etat et un investissement financier souverain, le cas échant alimenté par un grand emprunt national, outre des ressources provenant notamment de l’assurance-vie (qui représente actuellement 2.000 milliards d’Euros de placements par les Français).

Les actions combinées doivent être dûment orientées : des mesures incitatives pour réimpatrier les exilés fiscaux sont à envisager, sous condition d’investissement industriel. Les impôts de production doivent être supprimés et la TVA dite « sociale » doit trouver à s’appliquer (se traduisant par un allègement significatif des charges sociales) ainsi que la création de crédits d’impôts investissement dans les équipements industriels pour les entreprises.

En définitive, il faut se rappeler que l’industrie n’est pas un gros mot et concourt directement à la richesse nationale ; l’indépendance économique doit consécutivement être définie comme un objectif de priorité et de solidarité nationales qui sont les deux mamelles de ce redressement impérieux.


Olivier de MAISON ROUGE – Lex-Squared

Avocat (domaines de compétences : numérique, protection des données, secret des affaires, intelligence stratégique et sécurité économique, droit des affaires, protection du patrimoine informationnel).

Membre associé www.lex-squared.com

Docteur en droit. Diplômé de Sciences politiques. Auteur et expert pour LexisNexis et enseignant. Professeur associé à l’Ecole des relations internationales (ILERI) et à l’Ecole de Guerre Economique (EGE), intervenant régulier à l’IHEDN et à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). Coprésident de la commission Renseignement et sécurité économique de l’ACE (Avocats conseils de l’entreprise).

Rapporteur du Groupe de travail (Ministère de l’Economie et des Finances / SISSE) sur la transposition de la directive n°2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires.

Ayant été amené au cours de sa carrière à défendre des entreprises confrontées aux tentatives d’espionnage économique et ingérences économiques (notamment pillage technologique), il a développé une véritable doctrine en matière de contre-mesures juridiques et de protection du patrimoine informationnel. Il est ainsi un des spécialistes de la sécurité des actifs incorporels et de leur valorisation. Il contribue ainsi à l’élaboration de références et standards en matière de sécurité économique et de souveraineté en matière d’informations sensibles.

Auteur de nombreux articles et d’ouvrages :
Cyberisques. La gestion juridique des risques numériques, LexisNexis, 2018
Penser la guerre économique. Bréviaire stratégique. VA Editions, 2018
Le droit du renseignement – renseignement d’Etat, renseignement économique, LexisNexis, coll. Actualité, 2016
Le Droit de l’intelligence économique. Patrimoine informationnel et secrets d’affaires, Lamy, coll. Axe Droit, 2012.

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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