Laurence Serfaty est auteur et réalisatrice de documentaires. Réalisatrice de l’excellent documentaire « Neuromarketing, des citoyens sous influence ? », elle apporte un regard décalé,par rapport à notre vision de la société.
Qu’est ce que le neuromarketing ?
Le neuromarketing, c’est l’utilisation d’outils d’exploration employés habituellement par les neurosciences, comme l’électroencéphalogramme et l’IRM fonctionnelle, pour des visées marketing. C’est-à-dire, en principe pour observer ce qui fait réagir positivement ou négativement un consommateur par rapport à un produit ou à une publicité.
Qu’est ce qui vous a poussé à réaliser ce film ?
J’ai découvert l’existence du neuromarketing en 2005, en lisant un article d’Alternatives Economiques. Comme la plupart d’entre nous, je suppose, ma première réaction a été l’étonnement, pour ne pas dire la consternation, que l’on puisse employer de supposées techniques de manipulations basées sur les dernières recherches des neurosciences pour nous vendre du coca, des voitures ou des pâtes. C’est à peu près à la même époque que Le Lay, ancien PDG de TF1, disait vendre, avec les espaces publicitaires, du « temps de cerveau disponible » aux annonceurs. J’ai voulu en savoir davantage, creusé le sujet et pour cela, j’ai peu à peu accumulé des informations, affinant la réflexion.
Vous dites que le neuromarketing est un argument de vente plutôt qu’une menace : qu’entendez-vous par cela ?
Mon sentiment, c’est que les impacts réels du neuromarketing sont gonflés par leurs promoteurs. Les grandes marques comme Coca, Mc Do, les dictateurs comme Hitler ou ceux des pays arabes qui semblent tomber les uns après les autres n’ont pas attendu le neuromarketing pour manipuler les foules. Ce qui ne signifie pas qu’il faut baisser la garde quant aux multiples tentatives de manipulation des esprits, mais il faut trouver le juste milieu entre l’indifférence et la paranoïa, autrement dit rester vigilant. Et donc, ce nouvel outil du marketing qu’est le neuromarketing sonne davantage comme un argument de vente pour faire payer plus cher des études d’impact ou des études de marché.
Pourquoi le neuromarketing se développe-t-il autant ?
Parce que, dans nos sociétés dont la dynamique économique est basée sur la croissance continue, il faut vendre encore et toujours plus. Le marché est très compétitif, il ya plus de biens à vendre que de consommateurs pour les acheter, la lutte est rude. Cela coïncide avec les avancées rapides des neurosciences qui permettent, en principe, d’y voir un peu plus clair dans nos comportements. Le marketing a toujours fonctionné en se basant sur les travaux de la psychologie comportementale, il est donc normal qu’il s’intéresse aux travaux des neurosciences.
En quoi le neuromarketing peut-il nuire à l’image d’une enseigne ou d’une marque ?
Voulez-vous dire « pourquoi les annonceurs ne tiennent-ils pas à dire qu’ils ont eu recours au neuromarketing ? » Si c’est votre question, c’est parce qu’il y’a cette idée sulfureuse de manipulation derrière, je suppose. Mais, on sait bien que le marketing est sinon la « science » (j’insiste sur les guillemets !) de la manipulation du moins de celle de l’influence.
Considérez-vous le neuromarketing comme moral ?
Il n’est ni moral ni amoral. Pas plus que la science n’est morale ou amorale. La morale est individuelle ou collective. Les comportements sont moraux ou pas, en fonction des cultures, des sociétés. Le neuromarketing est un outil, dont les résultats sont en cours d’observation. C’est la façon dont on l’utilise qui est morale ou pas. Par exemple, on pourrait trouver amoral d’utiliser le neuromarketing pour nous vendre des produits mauvais pour la santé mais moral de l’employer pour améliorer les campagnes de prévention sanitaire.
N’est-il pas dangereux pour l’avenir de se baser sur les émotions des gens pour vendre ?
Mais c’est ce qu’on fait depuis toujours ! La différence, c’est qu’aujourd’hui, on comprend mieux les mécanismes entre nos émotions et nos décisions, entre l’émotion et la raison. Ce qui est important, c’est de comprendre comment fonctionnent nos émotions, c’est d’en finir avec le fantasme que nous sommes des êtres très rationnels capables de prendre des décisions rationnelles, sans qu’intervienne le moindre affect. Si au moins, le neuromarketing a le mérite de nous sensibiliser au fait que nous sommes sans cesse traversés d’émotions et qu’elles jouent un rôle dans nos décisions, il aura au moins servi à quelque chose.
Quelle attitude doit adopter le consommateur selon vous ?
C’est à chacun de se déterminer en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il veut pour la société dans laquelle il vit. Personnellement, et ce n’est que mon avis, j’essaye de me demander si j’ai vraiment besoin de ce que je suis en train d’acheter mais j’accepte aussi les achats « plaisir ». J’essaye de trouver un équilibre, de ne pas avoir un comportement ni compulsif ni obsessionnel du « bien acheter ». Et puis, souvent, c’est mon porte-monnaie qui dicte sa loi 😉