#JaimeLaCom
À une époque où toute information est désormais remise en cause, quel que soit son émetteur, où la confiance est donnée à celui ou celle qui affirme ce que l’on a envie d’entendre, plutôt qu’aux faits qui s’imposent, où les faits ne s’imposent même plus d’ailleurs, puisque certains prétendent qu’il y aurait des vérités cachées qui contrediraient les faits… on finit par douter, par s’enfermer sur soi, s’isoler dans ses convictions, au point de ne plus écouter, refusant toute remise en cause, voire même la moindre ouverture.
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
Frédéric, comment fait-on alors pour communiquer quand on est un DirCom aujourd’hui ?
Frédéric Fougerat : La base de la communication est toujours la même. C’est toujours au départ une histoire à raconter, un contenu, une intention, pourquoi je m’engage dans cette démarche, une émotion, comment toucher mon public, des cibles, à définir, pour finalement décider des outils de communication opportuns, pour atteindre ces objectifs. Le tout devant être guidé par une forme d’éthique : ne jamais mentir, même si on n’est pas obligé de tout dire.
Ce qui a changé aujourd’hui, par rapport à des temps pas si lointains, c’est le temps de la communication et le risque de perte de la maîtrise de sa propre communication. La technologie nous fait vivre dans l’immédiateté, avec pour conséquence de travailler de plus en plus en mode crise. Chaque sujet peut devenir une urgence. Non pas qu’il s’agisse de sauver des vies, ce que sont les vraies urgences, celles des pompiers ou de l’hôpital, mais d’éviter l’envenimement voire l’inflammation de sujets, tous potentiellement sensibles.
Le risque est de devenir spectateurs d’une opinion publique qui peut s’emparer à grande vitesse de tout sujet, pour rendre une justice populaire sur les réseaux sociaux dont le bruit médiatique peut infliger une sanction bien plus dure que la Justice de la République, sans aucun respect du Droit. C’est notamment pour échapper à ce tourbillon infernal qui ne laisse, parfois, même plus la place à l’analyse, à l’enquête ou au compte rendu journalistique, que la communication doit sans cesse se réinventer pour tenter de conserver la maîtrise de son action.
Pourquoi avoir donné dans Le dico de la com 14 définitions du mot « communication »… ? Signe sans doute de son importance ?
Communicateur : Synonyme du mot communicant utilisé dans certains pays francophones, principalement sur le continent africain. Il permet de distinguer celui qui a des facultés personnelles d’être communicant, et celui qui dispose de compétences professionnelles de communicant.
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
FF : Le dico de la com a été imaginé comme un dictionnaire qui puisse faire référence et témoigner de l’histoire de toute une profession. Son ambition est de documenter une partie de l’histoire et de la culture communication, où se côtoient anciennes expressions issues de l’imprimerie et néologismes de l’ère numérique. La communication étant multiple, je la définis d’ailleurs souvent comme un écosystème de métiers. Il était donc important d’en décrire toutes les facettes. C’est ce qui explique pourquoi ce dictionnaire propose une longue définition du mot communication. Puis autant de définitions associées pour communication corporate, de crise, employeur, financière, institutionnelle, interne, politique, publique, scientifique, territoriale… et j’irai certainement plus loin dans la prochaine édition sur laquelle je travaille déjà.
N’est pas communicant·e celui ou celle qui parle le plus fort, mais celui ou celle qui sait convaincre et parfois même se taire !
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
Ce dictionnaire s’adresse à toutes celles et ceux qui veulent mieux comprendre les métiers de la communication et l’environnement dans lequel ils s’exercent. Les métiers de la communication requièrent de nombreuses compétences éditoriales, artistiques, juridiques, graphiques, mais aussi techniques et numériques… liées à l’édition, la publicité, les relations presse, l’évènementiel, les médias sociaux…
Pourquoi est-ce que diriger la communication d’une entreprise, ce n’est pas chercher à plaire au plus grand nombre, mais s’engager ?
FF : Valoriser et promouvoir l’image et la réputation d’une entreprise est un métier. Ce n’est pas une question d’avis ou de goût personnel, mais de vision, de convictions, d’organisation, et de capacité à décider et mettre en œuvre une stratégie. Diriger la communication d’une entreprise n’est pas un exercice démocratique. Il ne s’agit pas de chercher à plaire au plus grand nombre ou à créer un consensus autour de soi.
Une bonne communication n’est d’ailleurs pas nécessairement celle qui va faire plaisir, mais celle qui sera efficace. Un directeur ou une directrice de la communication ne doit donc pas avoir pour première qualité d’être démocrate dans le cadre de sa fonction (ce qui ne l’empêche pas d’être diplomate). Ce doit être un décideur ou une décideuse, capable d’avoir une vision globale, et de mettre en œuvre une stratégie de communication pour atteindre des objectifs, au service de la stratégie de l’entreprise.
C’est quoi un DirCom ? C’est la question à laquelle Frédéric Fougerat propose de répondre, en partageant ses réflexions sur le métier de directeur de la communication, qu’il exerce depuis plus de trente ans, et qu’il a vu se transformer et se professionnaliser, notamment avec l’informatique, Internet, puis les réseaux sociaux.
Un DirCom n’est pas un démocrate – Frédéric Fougerat (EAN13 : 9782749539447) | Librairie Studyrama
Le métier d’attaché·e de presse est-il au cœur de la gouvernance de l’entreprise ?
Les relations presse, c’est un métier. C’est une expertise qui allie de nombreuses compétences, dont la compréhension d’un sujet ou d’une situation, son éventuelle vulgarisation, des capacités rédactionnelles, un grand sens du relationnel.
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
FF : Être un ou une stratège des RP est une des compétences clés de la fonction de DirCom. Que l’on soit, en fonction de la taille de l’organisation, directeur ou directrice de la presse, attaché presse, conseillère presse, responsable des relations presse… ces fonctions sont essentielles dans un dispositif global et une stratégie de communication. La presse reste un support incontournable et de qualité, par sa capacité à toucher des populations, larges comme ciblées. Sa force est aussi le crédit qu’elle confère aux messages qu’elle véhicule d’où la nécessité :
- d’entretenir de bons contacts avec les journalistes,
- d’instaurer des relations de confiance,
- de collaborer à leurs demandes,
- d’être réactif,
- et de savoir leur proposer les informations et sujets qui peuvent les intéresser.
La qualité des relations presse passe aussi par la capacité de savoir choisir et travailler avec une agence de RP, quand on en a les moyens. Là aussi, cela demande des compétences professionnelles et de l’expérience, pour ne pas se laisser séduire par des agences de renom historiques, aux méthodes parfois dépassées, trop anciennes, voire déconnectées. Enfin, la presse est bien une compétence clé au cœur de la gouvernance, notamment parce qu’elle tutoie la crise, de plus en plus présente dans la gestion quotidienne de la communication.
Pourquoi l’honnêteté de la démarche doit être regardée et vécue par chacune des parties prenantes, marques tout comme influenceurs ?
Une bonne collaboration avec des influenceurs passe nécessairement par une forme de complicité. Celle-ci n’est pas nécessairement acquise à l’origine. Elle peut se construire, grâce à de bonnes relations personnelles et professionnelles, dans le temps, avec la construction d’un projet, dans le partage et le plaisir de la mission à accomplir ensemble, dans l’intérêt porté au projet et dans la sincérité de la collaboration.
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
FF : Le bon influenceur n’est pas uniquement celui ou celle qui compte le plus d’abonnés sur les réseaux sociaux. C’est un indicateur, mais ce n’est certainement pas suffisant. Mieux vaut s’associer à un nano influenceur, sérieux, engagé, motivé, qu’à une méga star des réseaux qui porterait moins d’intérêt à sa collaboration ou qui s’y investira tellement peu, sans réel engagement, que sa communauté sera peu sensible à cette collaboration, ou peu impactée.
Celui ou celle qui accepte de prêter son image uniquement pour toucher un chèque ne donnera pas toute la puissance attendue à un partenariat. La sincérité dans la démarche est clé. L’influenceur doit manifester de l’intérêt pour la marque, le produit ou le service auquel il décide de s’associer. On ne lui demande pas d’aimer la marque, et c’est mieux si c’est le cas, mais au minimum de la respecter, de la considérer. Si le public ou le consommateur ne ressent pas que la fierté de l’influenceur d’être associé à une marque, si son attitude, ses postures trahissent une réserve, un manque d’intérêt, alors l’association avec l’influenceur ne pourra pas être un succès, voire sera un échec, ou un non évènement, mais qui aura eu un coût !
La démarche doit aussi être honnête et sincère de la part de l’entreprise. On peut parfaitement apprécier un influenceur, en être fan, avoir envie d’une collaboration, sans que cela n’ait de sens pour la marque, parce que cela ne sera pas la bonne personne, pas au bon moment, pas pour le bon produit… Alors il serait ridicule, et surtout non professionnel et irresponsable, de vouloir pousser une collaboration, sur la base de ses propres goûts, fantasmes, sans prendre en considération les objectifs, comme les cibles à atteindre.
Quelles sont les conséquences de l’utilisation du « name and shame » ?
La mécanique du name and shame est intéressante à analyser, car elle est proche d’une technique de communication : avoir un impact ou provoquer une émotion pour susciter une réaction. Si la démarche s’apparente à une stratégie de communication, son intention est toute différente.
Frédéric Fougerat, VP Communications Emeria.
Pour moi, si le name and shame (nommer et faire honte) est effectivement proche d’une technique de communication, cela ne peut pas être, ne devrait pas être, un principe de communication.
Le name and shame désigne le fait de mettre au pilori une personne, une organisation privée ou publique, voire un gouvernement. Le principe est simple. C’est l’action d’avoir recours à la dénonciation publique, à la délation ouverte, dans l’intention de provoquer un sentiment de honte, d’appliquer une pression pour tenter d’imposer la modification de pratiques, de comportements…
Il ne s’agit donc pas de promouvoir, mais de dénoncer. Il ne s’agit pas de défendre, mais d’attaquer. Il n’est plus ici question de valoriser un principe ou une idée, mais de les imposer, par la force, par la pression populaire, que le sujet soit juste ou qu’il ne le soit pas. Il n’est plus éventuellement question de s’appuyer sur la Justice, mais de se faire justice soi-même.
Ceci n’est pas pour moi de la communication. Encore moins de la communication publique. Pourtant des administrations et des élus utilisent le name and shame, au mépris même des valeurs républicaines qu’ils sont supposés représenter, promouvoir et protéger.
Le name and shame illustre parfaitement un des grands risques modernes : s’abandonner à la facilité ou à la simplicité, et alimenter ou légitimer des pratiques qu’on ne supporterait pas voir se retourner contre nous. Cela en appelle à la vigilance et à la responsabilité, notamment des professionnels de la communication.
Que pensez-vous de la culture woke !
FF : A l’origine, la culture woke se veut le reflet d’un état d’esprit militant pour la protection des minorités. Si l’idée, louable, est de lutter contre les injustices et les inégalités, le risque de dérive est de violer toute notion de Droit, en se référant à ses propres règles, pour rendre sa propre Justice.
La communication est directement concernée via la cancel culture, une des plus regrettables illustrations et conséquences de la tyrannie des réseaux sociaux. Il s’agit de boycott où la violence est légitimée au nom d’une « justice sociale » en faveur d’un monde meilleur. Son objectif est simple : tenter d’interdire le débat, pour imposer des idées, en faisant pression sur les personnes ou les organisations pour leur dicter une façon de penser, voire d’agir. C’est la pratique de groupes de pression qui utilisent le harcèlement, l’intimidation, la dénonciation publique pour affaiblir, détruire ou éliminer celui ou celle qui ne porterait pas la bonne voix ou la bonne pratique.
Ces pratiques de menaces, d’humiliation, de désinformation sont bien évidemment contraires à nos lois et à notre culture de liberté. C’est pourquoi nous devons ou devrions rejeter fermement ces dangereuses dérives. En tant que communicants nous devons aussi les dénoncer, les décrypter, les expliquer, pour les rendre visibles de toutes et tous, et compréhensibles pour le plus grand nombre.
Pourtant, nous pouvons aussi parfois être facilement, volontairement ou involontairement, les complices de la cancel culture. On peut en être complice passivement, en laissant faire quand il faudrait réagir, en se taisant au lieu de dénoncer, en préférant se cacher plutôt que s’exposer, par manque de réactivité, par lâcheté ou simplement pour éviter les coups à prendre. À titre personnel, on peut également en être complice par opportunité immédiate et facile, pour régler des comptes, se faire justice soi-même… Cela peut se traduire par la simple publication d’un avis négatif, subjectif, en réaction immédiate à une situation, une émotion, une déception… pouvant donner à celui-ci un écho disproportionné par rapport aux faits, risquant de créer des dommages personnels, professionnels, économiques, hors proportions, durables, injustes…
Finalement, la cancel culture ne doit son développement et sa prospérité qu’à notre complicité ou à notre passivité. Ce n’est pas toujours chose facile de lutter contre, surtout face à des adversaires souvent anonymes, aux intentions pas toujours claires, aux moyens ou soutiens parfois insoupçonnés. Quoi qu’il en soit, il faut être conscient des méthodes et pratiques dont on peut être victime, les refuser, les dénoncer et surtout les expliquer. Cette communication ne permettra pas d’éviter le mal, mais de l’affronter et d’en réduire les impacts négatifs. Pour cela, il faut déjà pouvoir se dire : la cancel culture ne passera pas par moi !
Finalement, Frédéric, c’est quoi être un DirCom en 2022 ?
FF : Être DirCom en 2022 est une grande mission de responsabilité et d’exemplarité, une mission de plus en plus stratégique, exigeante et sensible. Vis-à-vis de l’organisation pour laquelle on travaille, c’est une incroyable responsabilité d’avoir à piloter l’image et la réputation d’une marque, comme celles des dirigeants et salariés qui l’incarnent. Quelle responsabilité est-ce :
- de décider de répondre ou pas à un tweet,
- d’utiliser un mot plutôt qu’un autre,
- d’adopter un ton ferme ou empathique, avec pour conséquence finale d’apaiser ou d’alimenter une crise, voire de la faire exploser !
C’est aussi une mission d’exemplarité vis-à-vis de ses parties prenantes, à commencer par ses propres équipes, avec un devoir de transmission de pratiques et d’expériences professionnelles, faites de savoirs, d’être, d’éthique, de sens politique, pour préparer les générations futures à une profession qui sera de plus en plus exigeante et exposée.
La communication est-elle un vrai métier ? C’est la question à laquelle Frédéric Fougerat répond, en partageant son expérience et ses réflexions sur le métier de directeur de la communication, qu’il exerce depuis plus de trente ans, et qu’il a vu se transformer et se professionnaliser.
La Com est un métier – Frédéric Fougerat (EAN13 : 9782749551517) | Librairie Studyrama
Bio :
Autodidacte, Frédéric FOUGERAT, directeur de la communication de grands groupes internationaux. Son sens de l’observation et de l’écoute, et son goût des autres, l’ont amené à développer des qualités d’empathie indispensables au management et à la communication. Enseignant en écoles supérieures de communication, il est très présent sur les réseaux sociaux où il livre, au travers de tribunes, sa vision de l’entreprise et du management. Considéré comme un des « DirCom » les plus influents de ces dernières années, il a été classé par le magazine Forbes numéro 1 des 100 personnalités les plus influentes de la communication en 2021.