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En quoi la sémiologie est-elle une méthode d’analyse qui s’applique particulièrement bien à la stratégie de marque et à l’innovation ? Cet article tente de donner des éléments de réponse et de démontrer comment la sémiologie permet d’ajuster, d’affiner, ou véritablement de (re)définir une stratégie de marque avec beaucoup de finesse.
Tribune Dora JURD DE GIRANCOURT, sémiologue et stratégiste de marque DJG BRAND STUDIO.
Repartons de la définition générale de la sémiologie, soit la « science des signes dans la vie sociale » selon Ferdinand de Saussure (1). Tout ce qui nous entoure est signe, car les signes peuvent être à la fois visuels, verbaux, sonores, olfactifs, sensoriels, textuels, etc. Or il se trouve que les marques sont aussi des écosystèmes de signes : elles sont faites d’un certain nombre de signes iconographiques, textuels, sensoriels, présents dans le logo, la typographie, la charte graphique, les mots, la tonalité, la mise en scène, le merchandising, les supports de communication, le site internet ou les réseaux sociaux de la marque. Tous ces attributs et points de contacts de la marque sont autant de signes porteurs de sens pour le sémiologue qui veut étudier et faire évoluer cette marque.
L’audit sémiologique : une méthode de mise à plat de la marque
Si les marques sont des écosystèmes de signes, il s’avère parfois nécessaire de faire un audit sémiologique d’une marque qui est une sorte de mise-à-plat de l’ensemble des éléments visuels, graphiques, textuels et sémantiques de la marque. L’audit sémiologique est particulièrement utile quand la marque se pose la question de sa cohérence sur ses points de contact, quand elle se demande comment réutiliser dans sa communication actuelle des signes présents dans son histoire dans le but de renforcer son identité ou quand elle se demande si son message résonne culturellement avec une cible visée. À l’issue d’une première phase d’observation, commence alors un travail de mapping, à partir duquel le sémiologue dégage les axes de sens qui structurent l’expression de la marque sur un marché.
L’ancrage culturel : une analyse de contexte, indispensable pour une stratégie de marque pertinente
Si les marques sont des systèmes de signes, elles sont aussi des entités culturelles dans le sens où elles interagissent toujours avec la culture qui les environne. En façonnant des changements culturels, en réagissant aux tendances, en étant perméables à l’art, à la pop culture, aux mouvements sociétaux, les marques sont des entités culturelles. Le travail du sémiologue est alors de décrypter les codes et les récits qui façonnent ces mouvements sociétaux, ces changements culturels, ces sous-cultures émergentes et d’analyser en quoi la marque y répond et se les approprie : le sémiologue va analyser l’ancrage culturel de la marque qui permettra de mieux faire résonner le positionnement, la mission, la vision et le « purpose » de la marque avec les attentes et les imaginaires des consommateurs.
Ce travail est particulièrement utile lorsqu’une marque cherche à s’internationaliser et à comprendre l’image qu’elle produit auprès des consommateurs d’un nouveau marché ou lorsqu’une marque cherche à cibler de nouvelles sous-cultures de consommateurs, à l’image de la récente campagne Lacoste qui fait dialoguer avec brio les multiples sous-cultures qui constituent l’ensemble des consommateurs Lacoste : https://djgbrandstudio.com/lacostepatrimonial-brand-deep-modern-cultural-footprint
La sémiologie au service de l’innovation
La sémiologie n’est pas seulement une méthode d’analyse utile à la stratégie de marque, elle est aussi une méthode créative qui vient nourrir l’innovation produits et l’innovation de marque. C’est à mon sens une de ses fonctions les plus intéressantes et les plus méconnues. Par sa capacité à analyser avec granularité chaque détail visuel et verbal d’une marque et à les mettre en perspective avec la culture environnante, la sémiologie peut inspirer les créatifs jusqu’à prendre la forme d’un brief créatif.
À chacune des phases du processus d’innovation – inspiration, idéation, prototypage – la sémiologie s’avère un outil stratégique précieux.
En phase d’inspiration, grâce à sa méthode de mapping des catégories et des marchés, elle permet d’identifier les white spaces, les ilots non occupés, les opportunités de croissance, pour une marque, un produit ou un service. Elle permet aussi d’évaluer avec profondeur le potentiel de cette opportunité : est-elle en accord avec la culture dans laquelle baignent les consommateurs visés ? Va-t-elle vraiment résonner pour eux ? en quoi est-elle véritablement nouvelle et émergente ?
En phase d’idéation, la sémiologie aide à ancrer les idées dans un contexte culturel plus large pour leur permettre une meilleure acceptation de la part des consommateurs. Lors de la phase d’idéation d’un nouveau produit par exemple, le sémiologue va analyser chaque bénéfice ou composant du produit au regard de la culture : ce bénéfice ou composant fait-il sens pour les consommateurs dans l’utilisation qu’ils feront du produit ? Comment ce bénéfice ou composant est-il perçu dans un pays en particulier ? Quels en sont les usages ? Que peut-on améliorer en termes de couleurs, de formes, de sons, pour être plus performant ?
En phase de prototypage, la sémiologie permet de faire un audit détaillé du prototype, qui vient en complément des tests consommateurs. Alors que les tests permettent aux consommateurs de donner leur opinion sur ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, la sémiologie permet une analyse de chaque bénéfice ou composant du produit au regard de la culture. Pourquoi ce composant ou bénéfice sera-t-il plus performant qu’un autre pour ce pays ? Où doit-on mettre le focus ? Sur quelles idées et quels types de composants ou bénéfices doit on communiquer en premier lieu et pourquoi ?
La stratégie de marque, l’innovation et la sémiologie sont finalement des disciplines proches dans le sens où elles demandent au praticien de se questionner, d’être curieux et de se mettre à la place des consommateurs. Le but pour une marque ou un produit est de se faire une place et de faire sens dans un marché, donc dans une culture. Intégrer la sémiologie dès l’amont dans le processus de stratégie de marque et d’innovation permet d’éviter les fausses routes, les trop nombreuses itérations et les insights parfois décevants issus des focus groups ou des tests consommateurs. Grâce à sa rigueur méthodologique et sa finesse d’analyse, la sémiologie permet donc aux marques de gagner du temps et de l’argent lorsqu’elles se posent des questions stratégiques de premier ordre.
(1) – Linguiste, philosophe et père de la sémiologie, 1857-1913.
Bio : Dora JURD DE GIRANCOURT est sémiologue et stratégiste de marque depuis plus de 20 ans. Elle a travaillé en France, aux USA, en Afrique du Sud et au Maroc, pour les groupes TBWA et Kantar, servant des clients du luxe et de la grande consommation tels que Pernod Ricard, L’Oréal, L’Oréal Luxe, Shiseido, SAB Miller, Jack Daniels, Kelloggs, Nestlé Waters, etc. Elle a enseigné la stratégie de marque à l’ESCA École de Management au Maroc et a fondé en septembre 2023 DJG Brand Studio qui a pour but de mettre la sémiologie au service de la stratégie de marque. DJG Brand Studio travaille en partenariat avec plusieurs agences de cultural insights et de sémiologie basées au Royaume-Uni.
www.djgbrandstudio.com / https://www.linkedin.com/in/dora-jurd-de-girancour/
