#JaimeLaCom
Annoncé le 16 mars 2020 et mis en place dès le lendemain, le confinement de la population en réponse à la pandémie COVID-19 a représenté une étrange parenthèse de deux mois au cours de laquelle nos vies ont été parfois ébranlées, nos activités (professionnelles ou non) souvent suspendues, nos habitudes et repères systématiquement bouleversés.
Pour la majeure partie de la population, le temps s’est figé, mettant un terme à notre frénétique agitation quotidienne. Le vide laissé par la disparition brutale de nos multiples sollicitations a ainsi créé l’espace d’un mouvement introspectif. Sorti de sa roue et débarrassé des obligations sociales, le hamster a pu se regarder dans le miroir et (re)découvrir une face souvent remisée de son identité.
Dans le même temps, nos liens aux autres ont été ressentis d’autant plus profondément qu’ils ont été entravés par la limitation stricte des déplacements et de toute forme de rassemblement. Qu’ils s’agissent de nos proches (et nos aïeux notamment), de nos amis voire de nos collègues (« Zoom, c’est super, mais ça ne remplacera jamais la machine à café ! »), nous avons expérimenté, par le manque, notre besoin irrépressible de connexion à l’autre, notre nature profondément communicationnelle.
C’est ainsi que se sont multipliés les élans de solidarité, de fraternité et de gratitude. De manière inattendue, le vacarme incessant de nos vies a ainsi laissé la place aux paisibles essentiels de nos existences (santé, sécurité, alimentation, amour, lien aux autres…). Notre nature d’être vivant, incarné, s’est rappelée à nous. Dans les emails et les conversations au travail de nouveaux mots, improbables quelques semaines auparavant, sont apparus. « Pense à tes besoins ». « J’espère que toi et tes proches allez bien ». « Prends soin de toi ». L’environnement affectif du salarié, avec la famille en fond d’écran, a fait irruption dans l’univers professionnel. Pendant cette drôle de « guerre » contre le COVID, la réunion forcée de nos espace-temps personnel et professionnel a inévitablement écorné l’injonction d’un paradigme passé supposant de compartimenter vie privée et vie professionnelle.
La crise a-t-elle vraiment changé les métiers de la communication ?
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Un autre verrou qui a sauté lors du confinement est celui de la confiance accordée à chacun. En effet, les modalités nouvelles de travail qui ont dû être mises en place durant la période n’avaient plus d’autres choix que d’intégrer la confiance dans leur postulat de départ. Cela a été vrai aussi bien pour toutes les organisations ayant dû se convertir au télétravail que les autres, notamment les hôpitaux.
Le hamster s’est ainsi découvert animal empathique, social, conscient de son entièreté et digne de confiance.
C’est dans ce contexte, et encouragé par les éléments de langage gouvernementaux (« les métiers essentiels à la vie de la nation »), que le hamster, libéré de sa roue mais confiné, s’est questionné sur le sens de son activité quotidienne. Le vide créé a pu révéler à certains la vacuité de leurs activités professionnelles ou leur caractère « bullshit » pour reprendre la terminologie de l’anthropologue David Graeber. Ce questionnement a pu être d’autant plus dérangeant que le caractère inique de notre société n’a pu échapper à quiconque s’est intéressé à la corrélation frappante entre caractère essentiel d’un métier et faiblesse du niveau de rémunération.
En bouleversant nos habitudes, nos priorités et nos schémas de pensée, le confinement a donc fait voler en éclats certaines de nos croyances les plus fermes et a ouvert une brèche : des impossibles sont devenus pensables, des questions souvent reléguées se sont invitées au menu de nos pensées. Voilà au moins une heureuse conséquence à la pandémie.
Si beaucoup de ces changements soudains ont été subis, le choix nous revient désormais de savoir quelle place accorder dans nos entreprises à ces découvertes et prises de conscience individuelles. En appliquant le questionnement de Bruno Latourau monde du travail, les organisations sont invitées à s’interroger : que souhaite-t-on garder (ou non) de ces lignes qui ont bougé ? Dans quelle direction se fera notre prochaine foulée collective après ce pas de côté personnel ?
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Les éléments observés qui ont émergé pendant le confinement (conscience de soi, des autres et de nos interdépendances, approche holistique de l’Homme, confiance, recherche du sens…) résonnent avec les caractéristiques de l’entreprise dite « opale » décrite dans Reinventing Organizations ; Frédéric Laloux y utilise la métaphore de l’organisme vivant, ne disposant pas de centre décisionnaire mais permettant une communication fluide et distribuée entre chacun de ces éléments. L’épanouissement personnel et la responsabilité individuelle y sont des éléments nécessaires à la compréhension mutuelle et à la confiance. L’expression de ses émotions et besoins, dans l’esprit de la Communication Non Violente (CNV), n’est plus synonyme de fragilité, mais devient le terreau de l’intelligence collective, de la mise en mouvement du groupe au service d’une raison d’être porteuse de sens.
Isaac Getz, auteur de plusieurs ouvrages sur les entreprises libérées (dont Liberté & Cie) le confirme : « le confinement a été un révélateur », mais reste à présent à savoir si « les directions d’organisations qui ont vu comment les équipes sur le terrain pouvaient résoudre leurs problèmes ont compris désormais l’importance de la subsidiarité ».
Quel que soit le vocable utilisé (entreprise opale, entreprise libérée…), ce nouveau paradigme managérial est une réponse pertinente à la question de savoir que faire, dans nos organisations, des réalités nouvelles décrites plus haut. Vecteur de performance humaine en favorisant la fidélisation des équipes, la Qualité de Vie au Travailet l’épanouissement individuel, source de performance économique en stimulant la créativité, l’innovation et en réduisant les coûts cachés du modèle « command and control », l’entreprise réinventée est aussi le ferment d’une véritable responsabilité sociétale des organisations en cultivant la question du sens. Enfin, sa résilience représente une réponse adaptée au niveau inédit d’incertitude et de complexité de notre environnement.
Ni panacée ni recette miracle, l’entreprise opale ou libérée doit plutôt s’envisager comme une intention, une source d’inspiration pour dessiner la réponse idoine à ce nouvel environnement dans lequel les organisations ont plus que jamais besoin de développer leur agilité et d’embarquer leurs équipes pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle.
A l’heure où se pose la question de la relance de l’économie, le hamster déconfiné serait bien inspiré de commencer par sortir de sa cage.
Les auteurs :
Claire Burlat est professeure associée à la faculté d’Audencia Business School. Ses recherches et enseignements portent sur les formes de pouvoir dans la communication des organisations.
Remi Gagliardi est le fondateur et dirigeant de plusieurs entreprises engagées dans une transformation humaine de leurs pratiques, notamment EMA et LegiVox. Il est par ailleurs chargé d’enseignement à HEC sur des sujets d’innovation et d’entrepreneuriat et intervient en tant que coach pour différentes start-up.