Cet article est le premier d’une série de 3 articles de Cédric Hervet (@CedricHervet), Directeur Recherche Opérationnelle de SOCIO Logiciels (groupe NP6). Retrouvez Cédric Hervet aux NP6 Marketing Insights le 28 janvier à Paris.
La communication marketing via le canal email est une composante essentielle du dialogue qu’une marque peut engager avec ses clients. Elle permet de toucher de très larges audiences pour un coût très faible, d’obtenir une mesure facile et objective des KPIs de chaque campagne (la plupart des routeurs emails proposent gratuitement les remontées de taux d’ouverture, de clic, de désabonnement…) et de personnaliser le message en fonction de l’individu.
En dépit de ces avantages, il est de plus en plus admis que « l’âge d’or » de l’email est révolu. En effet, si les coûts de routage restent faibles, les marketeurs cherchent à mieux cibler leurs audiences afin d’augmenter le ROI de leurs campagnes. De plus, et c’est ce qui rend le métier complexe, la délivrabilité des emails en boîte de réception joue aujourd’hui un rôle majeur dans la réussite des campagnes, surtout depuis que les MSP (Mail Service Providers) ont entrepris de proposer à leur client des outils anti-spams avec des politiques allant du plus simple (si une campagne génère plus de X plainte, alors les mails sont bloqués) au plus complexe et individualisé (analyse par utilisateur des ouvertures / clics par sujet, corrélation avec la pression marketing…).
Le nouvel âge d’or de l’email ?
Ce dernier aspect pourrait laisser penser que l’email en tant que média de masse est sur le déclin, tant son audience d’autrefois a diminué et que les contraintes imposées par les MSP se sont rigidifiées. En réalité, il faut voir dans cet état de fait une opportunité de faire passer l’email dans un nouvel âge d’or, beaucoup plus mature et moderne, où les envois de masse indifférenciés deviendront des campagnes ultra-ciblées permettant aux marques de s’adresser à leurs clients de façon complètement personnalisée, conversant avec eux plutôt qu’en leur parlant : c’est le paradigme de l’email marketing one-to-one.
Passons rapidement sur ce qui doit toujours être le pré-requis indispensable de toute base email : le consentement à recevoir des offres commerciales par email, que le prospect doit activer consciemment, si possible deux fois (le « double opt-in »). Cela permet d’avoir des bases hautement qualifiées qui seront très réactives, faciles à travailler, avec peu de problèmes de délivrabilité.
Repenser la segmentation
Passer au one-to-one nécessite en premier lieu de « casser » la logique de segment. En effet, usuellement, le responsable marketing va définir, souvent empiriquement, un segment de prospects auquel faire parvenir sa campagne. Ces segments sont majoritairement construits sur des bases sociodémographiques intuitives (une campagne pour des parfums de grand luxe sera par exemple à destination des femmes de plus de 40 ans), à la fois car il est plus simple de traduire la cible marketing du produit en ces termes, et parce que c’est souvent la seule donnée à disposition.
Néanmoins, on observe en pratique que les segments sont loin d’expliquer à eux seuls la réactivité des prospects. Les Data Scientists le savent : ce qui est le plus « prédictif » d’une réaction positive à une communication provient plus des données comportementales du prospect que de ses données personnelles. Le contenu d’une communication peut ainsi rencontrer des intérêts parfois variés et transversaux aux grands segments de population, et qui dépendent de la période de l’année. Inversement, concrètement (et heureusement), ce n’est pas parce qu’on est une femme de plus de 40 ans qu’on est forcément intéressée par les parfums de luxe.
Casser la logique de segment permet donc de faire un premier pas vers le one-to-one en transformant la question « Quel(s) groupe(s) d’individu(s) serai(en)t intéressé(s) par cette campagne ? » en « Quels sont les individus dans ma base susceptibles d’être intéressés par cette campagne, qui traite tel sujet, en ce moment ? ». De cette façon, on va chercher, pour chaque campagne, les meilleurs candidats pour la recevoir à l’instant présent. Au lieu d’avoir des grands segments qu’on manipule simplement, chaque campagne aura son propre segment, son propre ciblage.
Passer au prédictif grâce aux algorithmes
Pour réussir cette transition, il est nécessaire d’obtenir des données de qualité et de créer les algorithmes capables de la travailler afin de prédire le comportement des prospects. La plupart des entreprises ont énormément progressé sur le premier point, notamment au travers de la mise en place de CRM performants, qui permettent d’identifier à la fois qui sont les clients/prospects de la marque (données sociodémographiques, éventuellement enrichies via l’open data), et surtout ce qu’ils font (historique d’achat, de connections, etc.). Plus la donnée est dé-silotée, plus il est possible de réaliser des jointures complexes et d’enrichir la connaissance que l’on a de l’individu. Aux Data Scientists d’effectuer ces regroupements pour construire un aperçu le plus complet et précis possible des prospects.
Une fois cette étape réalisée et automatisée, on peut s’attaquer à la prédiction, qu’on retrouve sous des noms divers tels que « scoring » ou « Machine Learning ». Pour cela, les algorithmes mathématiques bien connus des Data Scientists vont aller fouiller les données pour « apprendre » ce qui fera qu’un individu sera plus appétant qu’un autre à ouvrir ou cliquer sur une campagne en particulier.
Cette étape fait appel à des mathématiques poussées mais, assez étonnamment, elle n’est qu’une formalité quand l’étape de structuration des données a été réalisée correctement. On retrouve ici l’adage du « garbage in, garbage out » : aussi puissants que soient ces algorithmes, ils ne font pas de miracles et ne peuvent pas voir ce qui n’existe pas dans les données. Inversement, et c’est leur force, s’il y a un schéma caractéristique (ou « pattern ») des individus qui seront réactifs à une campagne, alors ces algorithmes les trouveront. L’enjeu majeur pour le Data Scientist : avoir des données en entrée qui contiennent ces schémas pour pouvoir les découvrir. La donnée doit donc être réparée, corrigée, « imputée » quand elle manque et jointe quand elle est éparpillée dans l’écosystème « data » de l’entreprise. Il s’agira toujours du plus gros levier d’amélioration des prédictions.
Prédire la propension d’un individu à réagir à une campagne
Que trouve-t-on, idéalement, en sortie d’un tel processus ? Tout simplement : pour chaque individu, sa propension à réagir à une campagne. Concrètement, l’algorithme aura prédit que l’individu A aura une probabilité de réagir de 86%, quand un individu B n’aura qu’une probabilité de réaction de 13% : chaque individu est donc un segment, avec une propension plus ou moins forte.
Si l’on décide alors de ne garder pour une campagne que les individus ayant plus de 70% de chances de réagir, on obtient alors un segment propre à cette campagne, dans lequel on pourra retrouver des profils que l’on n’aurait pas intuitivement ciblé, ou en tout cas pas aussi précisément. Ces derniers pourront également être très « transverses » à la base, socio-démographiquement parlant. Ainsi la campagne de parfums de luxe sera sans doute envoyée à des femmes de plus de 40 ans, mais également à des plus jeunes ayant manifesté un intérêt par le passé, ainsi qu’à leurs maris si l’on est à l’approche des fêtes ou de leur anniversaire, par exemple.
Une véritable conversation avec le prospect
La force de cette approche est qu’une autre campagne, à un autre moment, donnera des propensions individuelles très différentes. On parvient ainsi à coller directement aux attentes des prospects, qui reçoivent des communications pertinentes pour eux au moment où ils les reçoivent. On réalise alors la transition d’un marketing sur le mode d’une communication unique à large audience à une véritable « conversation » avec le prospect, où la marque s’adresse directement à lui sur les sujets qui l’intéressent, qui sera le standard de demain d’un canal marketing enfin arrivé à maturité.
Néanmoins, l’irruption du prédictif dans les pratiques de l’emailing, si elle brise la logique de segment dont on a montré qu’elle est parfois trop simple dans son approche des prospects, casse également la facilité de gestion « logistique » que ces segments offraient (notamment pour la gestion de la pression marketing), et pose des problèmes nouveaux qu’il convient de résoudre en même temps que le reste afin de faire de ces approches un véritable succès. Ce sera l’objet d’une prochaine tribune dès la semaine prochaine sur Culture RP et intitulée : « Le prescriptif dans l’email marketing, le one-to-one automatisé et optimisé ».