Il y a quelques mois déjà Yves Charmont, délégué général de Cap’Com m’avait transmis son ouvrage Bienvenue à Flangy.gvw. Je l’ai lu d’une traite un samedi après-midi – le dévorant comme un gâteau avec un café noisette pour l’accompagner, mon chat à mes côtés – ce qui je vous l’avoue ne m’étais pas arrivé depuis des années ; même si la gourmandise est un trait de mon caractère, mais c’est sans doute comme cela que l’on reste vivant…
Au-delà du côté science-fiction et des faux airs de Bienvenue à Gattaca qui nous plonge dans les méandres structurés et hyper contrôlés d’une ville, Bienvenue à Flangy.gvw préfigure un devenir relationnel global vu du prisme de la communication publique et de l’administration locale et qui n’a de cesse de questionner l’emprise de la logique Marketing sur ces employés comme ces administrés ! L’auteur aborde aussi les ambitions personnelles de Mourad impliquant au quotidien sa relation avec l’autre proche, c’est-à-dire sa famille qui partage sa vie.
Un monde où l’on ne sait plus très bien à qui se vouer, telle la confiance qui n’est plus axée sur la relation pourtant si importante dans nos professions, mais bien dans une fuite en avant, portée par des avatars et la question de l’image et de l’influence !
L’auteur, au fil des pages, nous interpelle donc sur la perception de nos libertés et ce que nous sommes prêt à renoncer pour « posséder » davantage de pouvoir, ou simplement survivre tels des automates dans un monde fluidifié par l’optimisation de l’I.A. et du digital et où l’instantanéité et la réputation semble, dans certain « univers », bien difficile à défendre ! De fait, la projection narrative et la réalité est troublante car Yves Charmont pose cette question qui semble simple mais brulante d’actualité : Est-ce que ce monde sera-t-il bientôt la réalité, où l’est-il déjà ? Sans que nous n’ayons pu nous rendre compte que cette transformation, basé sur la simplicité, était déjà à l’œuvre dans notre quotidien ?
La transformation digitale vue par les communicants
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Entretien avec Yves Charmont
Marc Michiels :
Votre propos sur l’évolution de la communication publique s’inscrit finalement dans une réflexion sur les mutations de la profession, surveillée en temps réel dans un registre de flexibilité, de dérégulation comme l’illustre le développement du marché des « slashers ». Une idée intéressante de plus dans votre ouvrage…
Yves Charmont :
Oui, cette cogitation était sous-jacente depuis des années. La pandémie à servit de déclencheur. Comme beaucoup, j’ai voulu mettre à profit cette « retraite » forcée – transformant nos domiciles en cellules – pour trouver un sens, pousser le raisonnement, écrire… car écrire est un acte réfléchi qui permet de clarifier ses pensées. Au sein du réseau de la com publique, l’observation des mutations, qui est permanente, m’a nourri.
J’avais également pris des notes, gardé quelques publications sous le coude, comme cet article d’Albert Meige « Je ne travaille plus, je transfère » qui m’a inspiré certains aspects du livre. Le reste provient d’un double travail :
- d’abord une recherche documentaire sur les évolutions techniques et sociétales réelles (leur impact sur nos métiers ainsi que leur prolongement dans un futur proche), mais aussi sur l’évolution du vivant dans un contexte de changement climatique (les essences d’arbres, les migrations d’espèces, les chauves-souris…) ou sur les dernières évolutions en matière de guerre électronique !
- ensuite une méditation (j’ose le mot, mes excuses à Matthieu Ricard !) sur la place du ou de la communicante publique dans des collectivités locales en proie aux fortes évolutions de la relation citoyenne. Il fallait laisser l’imagination prendre le dessus afin qu’elle rebatte les cartes pour produire une histoire réaliste, humaine, mais futuriste.
Marc Michiels :
Mais qu’est-ce qui vous a conduit dans cette aventure risquée ?
Yves Charmont :
C’est le mot ! Car raconter ce genre d’histoire est une mise en danger, comme lorsqu’on entame une impro en jazz. Mais, au fond, se lancer dans ce projet n’était pas si aventureux. Je m’explique : comme pour beaucoup, l’été dernier et ses longues prises de paroles sur « le monde d’après » m’avait laissé sur ma faim. Il nous était délicat de nous projeter dans l’avenir sans devenir sentencieux et certaines démonstrations pouvaient manquer de références, voire relevaient de la méthode Coué.
Je me suis alors souvenu d’un excellent passage d’un auteur traitant du fait climatique, Frédéric Denhez, qui, dans sa « Brève histoire du climat » chez L’œil neuf éditions avait choisi, au dernier chapitre, le récit, la narration romancée, le style littéraire, pour être plus abordable, plus pédagogique. Je suis également tombé sur un bijou d’anticipation, façon Jules Verne, « Ignis »de l’énigmatique Didier de Chouzy, qui avait imaginé à la fin du 19esiècle des communications qui nous sont familières !
Au final, avec le parti-pris de la fiction, il m’était plus facile de tenter d’y voir clair sans avoir à rendre trop de compte sur les fondations de cette vision. C’est l’avantage du récit romancé. Il répond à une autre logique et trouve ses propres justifications, à conditions de rester cohérent. De plus, la description « au ras du sol », du quotidien d’un dircom permettait d’aborder beaucoup de questions sans avoir à y répondre sur le fond. Il m’a suffi de placer, dans les dialogues, les points de vue contradictoires et ainsi de laisser la porte ouverte sur certains sujets pour lesquels je n’avais pas à trancher.
J’ai, au passage, beaucoup apprécié de pouvoir donner vie à des confrontations entre générations, toujours en allant puiser de la positivité en ce qui concerne les plus jeunes.
La transformation digitale vue par les communicants
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Marc Michiels :
La question de la porosité des mondes, dans une instabilité permanente structure votre texte. Est-ce une vision du monde prospectif et collectif pour nous alerter sur notre propre incapacité à appréhender la convergence entre monde virtuel et réel ? Et si oui, est-il déjà trop tard pour une remise à zéro ou faites-vous l’éloge du monde intérieur comme acte de distance, comme seul espace de résilience possible ?
Yves Charmont :
Oui, c’est trop tard ! Ce qui m’amuse aujourd’hui c’est que plusieurs lecteurs trouvent le monde de flangy.gvw effrayant alors que c’est à 99% le nôtre ! Et il est d’ailleurs loin d’être déplaisant ; mais les règles changent.
La question de fond est effectivement notre capacité à gérer la porosité entre mondes virtuels et réels. Elle traverse le livre et il propose des réponses. C’est un point sur lequel j’ai pu revenir longuement lorsque j’ai répondu à des étudiants en communication qui avaient utilisé ce support pour un échange sur l’avenir du métier ; le leur en l’occurrence ! On peut y voir la crainte d’un asservissement volontaire ; ou au contraire l’émergence d’une nouvelle agilité, un état de conscience détaché du temps et de l’espace. Je note que les nouvelles générations peuvent se positionner de façon post-nationale (voir « Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie» publié par l’Injep) ou expriment un attachement de manière cumulative pour leur ville, leur région, la France, l’Europe et le monde.
À l’évidence, la notion de « proximité » dans le sens « affinité » devient, par le fait numérique, une « proximité » dans l’espace virtuelle.
Vous avez raison, en définitive, ce que nous sommes, intérieurement, déterminera encore plus notre champ relationnel. Quant à la résilience dont il faudra faire preuve, je pense que beaucoup de community managers peuvent déjà en témoigner ! Vous voyez bien, en réalité, j’ai très peu inventé d’éléments nouveaux. Je me suis contenté de pousser les curseurs sur des évolutions déjà engagées. Et, ce qui est amusant, c’est que depuis, certains points ont évolué dans ce sens : il y a un an, on ne parlait pas beaucoup des QAnon, mais cela a changé avec l’envahissement du congrès états-unien. Nous sommes encore plus engagés dans une action virtuelle, mais aussi dans la défense de nos moyens numériques, hackés à grande échelle ; la 5G se déploie et les actes de dégradation contre les émetteurs avec…
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Marc Michiels :
Oui, depuis l’écriture de ce texte, le monde a muté, le digital s’est faufilé davantage dans les plis de nos vies. Pour autant certains aspirent à vivre loin des villes ou le vivre-ensemble va prendre d’autres formes. Comment voyez-vous les nouvelles actions de la communication envers ces citoyens pour ne pas augmenter une nouvelle forme de déclassement, une nouvelle fracture sociale ?
Yves Charmont :
Nous sommes nombreux à pousser pour que l’inclusion, – dans tous les sens du terme -, soit une priorité dans l’acte de communiquer dans le cadre public. La fracture numérique est une fracture sociale, mais elle ne passe pas toujours là où on le croit. Il y a du numérique partout, dans tous les quartiers, dans tous les territoires. Mais ce n’est pas le même et il n’est pas vécu pareil.
Disons-le : l’illectronisme est un fait indiscutable, mais vous voyez bien que je ne parle pas de ça. La pratique numérique marque une appartenance et cela occasionne de nouvelles distinctions. Ne me faites pas entrer dans un débat dans lequel je n’ai pas de légitimité. Il appartient aux spécialistes de décrire ces phénomènes et d’en tirer les conséquences. Je me suis contenté d’imaginer mes enfants, leurs enfants, ceux des voisins et ceux que je ne connais pas.
Comment se construire dans un monde de ce genre ? Quelles seront leurs opportunités ? Leurs références ? Quel sera leur imaginaire ?
J’ai choisi de les confronter à un avenir où quelques-uns se projetteront à corps perdu dans une société sans frontières, universelle et hyper individualiste, où d’autres devront défendre un modèle viable dans des territoires dont la hiérarchie est bouleversée et de faire évoluer des communicants publics dans ce paysage mêlant déclassement et repositionnement. Au final, Mourad n’est pas perdu !
Marc Michiels :
Ne serait-ce pas là une suite logique, un point de départ pour l’écriture d’un nouvel opus qui se voudrait plus proche des territoires, des hommes aux valeurs plus humaine et sans doute à la recherche de la reconquête d’une liberté perdue, celle du narrateur, mais aussi celle du lecteur ?
Yves Charmont :
Il y a un an, j’ai écrit ces six chapitres avec une envie de vagabondage, d’aération, de légèreté – sur ce dernier point j’ai plutôt échoué d’ailleurs, je ne pouvais, en toute lucidité, occulter une part sombre… Mais quel plaisir d’écrire sous cette forme ! Je pense que je me suis vengé des centaines de milliers de signes produits en textes normés et policés, en argumentaires etc. Le métier de communicant est un métier où l’on rédige beaucoup, mais où l’on ne fait pas de littérature. Et c’est sans doute un tort. Car lorsque l’on éprouve du plaisir à faire vivre des mots, les autres peuvent avoir du plaisir à les lire. On connait certains communicants publics qui ont d’ailleurs réussi à devenir de vrais auteurs, comme Marie-Laure Hubert-Nasser.
Je suis prêt à témoigner des vertus de la narration – la méthode de la mise en récit est d’ailleurs de plus en plus utilisée, y compris dans la communication gouvernementale – mais je pense que d’autres devraient prendre le relai. Car, depuis, j’ai pris de nouvelles fonctions à Cap’Com et ce n’est pas dans le rôle du délégué général d’écrire les tribulations d’un communicant, vie personnelle inclue.
Aujourd’hui il m’appartient de traiter ces sujets de façon objective, au présent, en trouvant celles et ceux qui sauront les aborder pour les éclairer, pour apporter des analyses pertinentes ou pour partager leurs expériences. Le réseau Cap’Com doit être animé pour que ce soit le temps d’une imagination collective qui advienne !