#JaimeLaCom
La capacité à engager ses clients et l’ensemble de ses parties prenantes, en créant un lien fort, constitue un atout important pour les marques.
Philippe Le Magueresse, Directeur Général Adjoint d’OpinionWay.
Tribune Philippe Le Magueresse, Directeur Général Adjoint d’OpinionWay.
Depuis quelques années déjà, les marques semblent toujours plus nombreuses à vouloir s’inscrire pleinement dans la société, en mettant en avant leur utilité sociale, sociétale et même environnementale. En s’engageant donc ! Preuve de cette attitude, les investissements publicitaires sur la thématique RSE ont pesé plus de 10 % en 2022. Mais les marques doivent-elles être engagées sous peine de disparaitre ?
L’engagement des entreprises, la hantise de Milton Friedman
En 1970, le célèbre économiste dans une chronique du New York Time appelée à faire date, défendait sa vision de la responsabilité sociale des entreprises. Elle est simple : augmenter ses profits ! Et il rejette l’idée qu’une entreprise ait à s’engager. Pour simplifier et sans doute caricaturer un peu, la priorité est alors donnée aux actionnaires aux dépens des autres parties prenantes, en particulier des salariés ou encore des fournisseurs. Autre grande oubliée : les nuisances, les dommages générés par les entreprises qui ne sont pas compensées (les externalités négatives).
L’engagement des marques : une émergence progressive
Depuis le début de ce siècle, plusieurs questions émergent, notamment celle de la compatibilité entre la croissance et l’utilisation des ressources naturelles et celle du rôle des entreprises dans nos sociétés. Revenons brièvement sur quelques initiatives : Le mouvement Bcorp nait au milieu des années 2000 sous l’impulsion de Bart Houlahan, Jay Coen Gilbert et Andrew Kassoy. La certification porte sur l’impact des opérations et celui du modèle d’affaires. Depuis, 3 800 entreprises basées dans 75 pays différents, sont certifiées Bcorp.
- A partir du milieu de la décennie 2010, sous la pression des instances européennes, le rapport extra-financier des entreprises se généralise. Ce document doit préciser les implications sociales, environnementales, sociétales des activités de l’entreprise et porte également sur sa gouvernance.
- En France depuis 2019, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Loi PACTE), au-delà d’aider à lever les obstacles à la croissance des entreprises, vise à mieux partager la valeur créée par les entreprises avec les salariés. Le PER (Plan Epargne Retraite) en est issu par exemple.
Ce cadre législatif qui se développe rend difficile pour une entreprise aujourd’hui de rester « hors sol », concentrée sur la seule croissance de ses profits. Aveugle ou indifférent à ses parties prenantes ou aux conséquences de ses actions.
On peut rappeler ici le cas d’une des catastrophes les plus meurtrières de l’histoire du travail : l’effondrement du Rana Plaza en 2013. Cet immeuble localisé près de Dacca au Bangladesh avait causé le décès de 1 134 personnes ! Cette tragédie a fait l’objet d’une très large couverture médiatique et a fini par mettre en lumière la responsabilité de grands groupes textile occidentaux. Entamant ainsi l’image de plusieurs acteurs et créant les conditions d’un rejet, au moins dans les propos, de la « fast fashion ».
On peut rappeler également le scandale soulevé par la production massive d’huile de palme pour de grands acteurs mondiaux de l’agro-alimentaire. Cette production entraine des conséquences délétères sur les populations et sur l’environnement en Asie du Sud-Est notamment.
Où mettre le curseur pour les marques ?
Suffit-il pour autant qu’une marque s’engage et communique sur cet engagement pour redorer son blason ? Certes non, et les quelques exemples suivants illustrent les écueils dans lesquels les marques peuvent tomber. A commencer par l’écoblanchiment (greenwashing).
La marque Le Chat, en 2009, s’était appuyée sur un pseudo label qui donnait à penser qu’elle bénéficiait d’un véritable label écologique. Et cela a été dénoncé par une autre partie prenante des marques au poids grandissant : les associations, les ONG. Le WWF en l’occurrence ici !
De même pour HSCB en 2021. L’établissement financier a voulu tirer parti de la COP 26 de Glasgow pour communiquer sur sa contribution environnementale positive. L’Advertising Standard Authority, le régulateur indépendant de la publicité dans tous les médias au Royaume-Uni, a sanctionné cette banque pour « représentation trompeuse de son action sur l’environnement ». Une première à l’époque.
Posture et imposture sont bien proches… et bien risqués !
Autre écueil : l’absence de crédibilité de la marque lorsqu’elle entend incarner des valeurs. C’est ce qui est arrivé à Pepsico en 2017. On est alors en plein mouvement protestataire, « Black Live matters ». La marque cherche à s’attirer la sympathie des manifestants avec un spot publicitaire, porté par Kendall Jenner, qui met en scène la célèbre boisson. Résultat : Un tollé et un retrait quasi immédiat du spot qui fera tweeter la fille du Révérend Martin Luther King « If only Daddy would have known about the power of #Pepsi », retweeté plus de 120 mille fois !
Il vaut mieux pour une marque, avant de franchir le Rubicon, bien peser les avantages et les risques associés à un engagement. Après tout, de nombreuses marques prospèrent, pour le moment, sans pour autant s’engager. Et il ne faut pas oublier que le consommateur n’est pas un « homo oeconomicus ». Il peut afficher une préférence pour les marques engagées sans pour autant renoncer à une marque qui ne le serait pas. Cf. par exemple le succès d’Amazon. Il est par ailleurs soumis à l’infobésité qui rend difficile pour lui de faire un choix éclairé, conforme à son attitude.
Cependant, si une marque décide de s’engager, voici quelques ingrédients indispensables il me semble.
Quelques ingrédients indispensables… et peut-être une recette pour la marque qui s’engage ?
Il est inévitable que des erreurs soient commises par les marques. Savoir les reconnaitre et les dépasser est une aptitude à développer. Par exemple, la marque Le Chat est depuis certifié Ecolabel. Ou encore Primark, impliqué dans la catastrophe du Rana Plaza, a reconnu ses torts, cherché à compenser les victimes et mis en place des actions correctives. La maitrise des data liées à la production, à la chaine logistique, etc. devient un ingrédient clé : à la fois pour suivre l’avancement des mesures correctrices décidées et pour pouvoir opposer aux parties prenantes (ONG, etc.) des sources crédibles. Et bientôt arrive « le passeport numérique des produits » ! L’humilité est clairement une vertu à développer d’autant que tout ne peut pas forcément être changé immédiatement par les marques, que l’apprentissage est continuel. La capacité à engager ses clients et l’ensemble de ses parties prenantes, en créant un lien fort, constitue un atout important pour les marques : ils pourront relayer de façon plus efficiente les messages en cas de crise ou de maladresse sur ces sujets sensibles. Et apporter des gages sur la sincérité de la marque, qui doit être réelle et non feinte.
Cette capacité justement à fédérer autour d’engagements et à respecter toutes ses parties prenantes (clients, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, associations, etc.) produit un terreau fertile pour faire prospérer la marque. La CAMIF – qui avait été avec malice et pertinence associé par son patron, Emery Jaquillat, à Clients, Actionnaires, Monde, Intérieur, Fournisseurs – constitue à ce titre un cas peut-être peu connu mais stimulant !
Et à l’heure où les modèles d’affaires des entreprises doivent être réinventés sous peine de disparaitre, la voie de l’engagement constitue une belle opportunité pour les marques, sous réserves de légitimité et de transparence ! Un modèle qui crée de la valeur sous différentes formes et la répartit mieux en limitant l’impact environnemental : par exemple du sens pour les collaborateurs, de l’expérience pour les consommateurs ou de l’argent pour les actionnaires.
Bio : Philippe Le Magueresse, Directeur Général Adjoint d’OpinionWay (Ex Nielsen, NFO, Kantar) – Data & Innovation. Dans un environnement en profonde transformation, ma mission pour mes clients est de simplifier la compréhension des marchés, aider à construire une vision et faciliter les prises de décisions à l’aide d’une utilisation éclairée de tout type de données (données déclaratives, open data, mesures passives, émotionnelles, etc.). Membre du Comité Scientifique de l’Adetem.
Diplômé ICN 1993 et MBA DMB 2019 (thèse professionnelle sur le thème de la data).
Intervenant au Master II CESSA (Université de Paris Descartes) et pour le MBA DMB (EFAP / Hub Institute).