#Paroled’Expert
L’amour entre le marketing, moteur d’une croissance sans limite, et la RSE, chantre des limites planétaires nécessitant une décroissance raisonnée, n’était pas gagné d’avance !
Les ressources de la planète ne permettraient pas de satisfaire nos besoins ?
Difficile de répondre à la question car, reconnaissons que le marketing a délaissé depuis longtemps l’exploration des besoins non satisfaits pour se concentrer sur la création et le renouvellement de désirs.
Certes de petites voix s’élevaient parfois. La voix de pionniers de l’écologie ou d’artistes inspirés, qui chantaient par exemple « Oh la la la vie en rose / Le rose qu’on nous propose / D’avoir les quantités d’choses / Qui donnent envie d’autre chose / Aïe, on nous fait croire / Que le bonheur c’est d’avoir / De l’avoir plein nos armoires / Dérisions de nous dérisoires ».
Mais les amuseurs amusaient, les marketeurs marketaient et la « foule sentimentale » des consommateurs consommait.
Le premier mariage du marketing fut celui de la digitalisation et de cette union allait naitre un nouveau monde de consommation.
Les marques digitalisées, délaissant les rues bientôt désertées de tout chaland, créaient plateformes et algorithmes pour entrer plus encore dans la vie de chacun. Bientôt la consommation n’avait plus de lieu ni de temps dédiés. Nos vies étaient devenues des espaces consommatoires sans cesse réinventés, à coup de fast fashion et d’obsolescence programmée. L’espace se réinventait grâce au métavers et aux NFT qui nous promettaient un univers infini de possibilités de consommation virtuelle.
Cette course effrénée à la consommation était devenue une course au bonheur, alimentée par des messages publicitaires qui avaient abandonné la réclame argumentée des bénéfices fonctionnels de leurs produits au profit d’une promesse unique, celle du bonheur : du « bonheur à tartiner », du bonheur à ouvrir, du bonheur qui « vous va si bien » jusqu’à « se nourrir de bonheur ».
Le marketing jouait avec les mots autant qu’avec les produits toujours « augmentés » et les services toujours faussement gratuits. Les progrès technologiques permirent au marketing de laisser libre cours à ses pulsions innovatrices, développant sans cesse de nouvelles fonctionnalités et inondant le marché d’un flot continu d’offres superflues mais tellement attirantes ! C’était le nouveau jeu du marketing : rendre l’inutile indispensable.
Mais consommer n’est pas jouer.
Car on ne joue pas avec la planète et ceux qui l’habitent.
On ne joue plus quand les limites planétaires sont presque toutes dépassées et que les inégalités de revenus, de patrimoine, de genre… n’ont jamais été aussi fortes.
On ne joue plus à faire consommer sans entrave, sans limite. On ne joue plus à faire croire à ce conte de fée de la consommation-bonheur.
Certains l’ont compris bien plus tôt.
PATAGONIA qui avait connu les affres de la course à la croissance dans les années 90 s’est totalement réorienté vers un modèle d’affaires et des produits « responsables » : des produits conçus pour avoir le moins d’impact possible sur l’environnement et pour durer le plus longtemps possible. Fini le renouvellement permanent de l’inutile, place à l’essentiel garanti à vie.
Pour autant, PATAGONIA, comme toutes les autres marques « engagées » n’a pas abandonné le marketing en cours de route. Mais, dans ces entreprises le marketing a changé d’objectif : il n’est pas activé pour faire consommer plus mais pour faire consommer mieux. Il se dote même d’une nouvelle mission, celle d’éduquer les consommateurs à un nouveau modèle où consommer n’est plus une finalité, un rêve, un symbole de réussite, une échappatoire, un idéal.
Là, le marketing fait la promotion d’un monde où consommer n’est pas jouer et voilà l’union avec la RSE qui se dessine.
Cette union est d’abord un mariage de raison. La RSE a besoin d’alliés au sein de l’entreprise. La Finance est une prétendante qui lui tourne autour depuis longtemps. Les nouvelles réglementations en matière de reporting extra-financier jouent en sa faveur.
Mais le marketing a des atouts à faire valoir, car, en étant en prise directe avec l’offre et les consommateurs, il peut démultiplier l’impact de la RSE.
C’est une opportunité pour le marketing que de s’unir à la RSE, une opportunité pour se réinventer, pour se transformer et pour retrouver un rôle, une utilité forte au sein des entreprises.
De cette rencontre va se créer petit à petit un lien fort entre RSE et marketing, un lien fort mais ambigu. Est-ce que le marketing ne serait pas un conjoint un peu trop sulfureux pour la vertueuse RSE ? Est-ce que le marketing ne risque pas d’entraîner la RSE vers un green-social-washing destructeur ?
Quand la RSE va prôner le ralentissement, l’effort porté sur les hommes et la planète plutôt que sur le profit et la croissance, quelle sera l’attitude du marketing ? Allié ou adversaire ?
Le marketing a toujours été un outil au service des changements de comportements, des changements d’habitudes, un raconteur de nouvelles histoires, un créateur de nouvelles offres et de nouveaux imaginaires, un détecteur des besoins, un générateur de désirs.
Le marketing peut donc naturellement être aux côtés de la RSE pour contribuer à mettre en œuvre ce nouveau modèle durable, car rien ne changera sans prendre en compte les difficultés à changer et le nécessaire accompagnement que cela exige.
En effet, une RSE qui fustige cette fuite en avant de la consommation effrénée, se heurte à la réaction négative de consommateurs culpabilisés.
C’est au marketing de porter ces messages, en douceur, en immisçant progressivement de nouveaux imaginaires dans ses produits et ses communications.
C’est ce que fait EVANEOS. En effet, cette plateforme qui propose des voyages sur mesure avec l’ambition de transformer le tourisme pour le rendre « plus respectueux des milieux naturels, des peuples, des économies et des cultures locales », accompagne la réorientation de la demande de ses clients vers cette nouvelle offre de voyage. Pour cela, EVANEOS développe un marketing à la fois pédagogique, bienveillant et surtout qui rend très désirable leurs propositions.
Quand le groupe FNAC-DARTY lance son offre Darty Max, il ne s’agit pas d’un message qui vise à culpabiliser les consommateurs de privilégier trop souvent le prix à la qualité et de devoir ainsi remplacer trop fréquemment son matériel électroménager. Il s’agit d’apporter une solution à ce problème avec une offre de réparation et ainsi de transférer progressivement des pratiques j’achète-je jette-je rachète par des pratiques j’achète-je répare.
Ce transfert ne se fait pas dans la douleur ou la résignation car les consommateurs vont progressivement goûter au plaisir de ne pas avoir besoin d’acheter et expérimenter la satisfaction de la durabilité. Ce sont ces nouvelles expériences proposées par le marketing qui vont peu à peu permettre à la RSE de s’inscrire dans nos habitudes.
En s’unissant, marketing et RSE peuvent faire grandir une autre approche de la consommation, plus raisonnable et raisonnée, fondée sur les besoins plus que les désirs, qui respecte les limites planétaires et propose de nouvelles sources de satisfactions aux consommateurs, sans culpabilisation. Ainsi marketing et RSE nous apprendront à renoncer à nos mauvaises habitudes consommatoires.
Apprendre à renoncer est un art.
Et ce pourrait bien être l’art marketing de demain…
Mini bio : Philippe Rondeau.
Après 25 ans de marketing dans l’agro-alimentaire, dont 12 ans en tant que Directeur Marketing chez Sodebo, j’ai créé le service Développement Durable au sein de l’entreprise. Depuis je travaille sur une vision systémique de la transformation des entreprises en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux. Ce parcours me permets d’apporter une vision personnelle du métier Marketing et de son évolution que je partage au sein du Comité Scientifique de l’Adetem.