Oui, la consommation reste un bienfait. Merci le Marketing !

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Tribune de Xavier Charpentier, co-fondateur de Freethinking : Fabriquer de l’accès, du commun, et en définitive du futur pour tous, à sa manière, par l’offre, le produit, l’innovation...

#Paroled’Expert

La consommation était une évidence, elle est devenue un paradoxe. Elle était un bienfait qui ne se discutait pas, elle est devenue une malédiction dont on ne peut se passer. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi ? Et pouvons-nous, collectivement, en rester là ?

Une malédiction…

Le mot est fort, mais à en croire l’Observateur Cetelem 2020 [1], c’est bien celui qu’il faudrait employer. Puisque les cinq adjectifs qui viennent les premiers à l’esprit des Européens pour parler d’elle sont « matérialiste, « superficielle », « manipulatrice », « individualiste » et « influencée ». Alors que les trois derniers sont « honnête », « heureuse » et « généreuse ».  

Si notre société de consommation était une personne, ne serait-elle pas quelqu’un d’haïssable ? À la fois futile, égoïste, entièrement tournée vers la satisfaction immédiate de ses désirs, en toute irresponsabilité… Et même, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, à la fois manipulée et manipulatrice.

Mais une malédiction dont on ne peut se passer.

Et pourtant, en 2008, au plus fort de la récession qui a suivi la crise des subprimes, comme en 2022, alors que l’inflation fait irruption à nouveau dans nos économies, les Français souffrent de ne plus, ou de moins avoir accès à la consommation.

En 2008, les classes moyennes que nous interrogeons depuis maintenant 15 ans se plaignaient de devoir se restreindre : « Une fois toutes les charges mensuelles payées (sans compter la nourriture), c’est plus de 60% du salaire de bouffé, alors les marques j’ai dit stop ; je me fringue grâce aux soldes (et encore très peu), j’achète uniquement des 1ers prix, j’utilise les cartes de fidélité des magasins alimentaires, et régulièrement, je vais dans des magasins discount… pas le choix. Des extras, bah y en a quasiment plus !!! Avec un bac+3, je suis censée motiver qui pour bosser à l’école ??? » [2].

En 2022, elles redécouvrent ce sentiment de frustration et même pour les plus modestes d’humiliation que provoque un pouvoir d’achat devenu insuffisant, pour accéder à une consommation raisonnable mais porteuse, aussi, de ces petits plaisirs de tous les jours qui agrémentent le quotidien : « L’inflation change beaucoup ma vie. Je fais très attention à toutes mes dépenses, je n’achète que les produits de première nécessité pour les repas en recherchant les prix les plus bas et j’évite les achats plaisir. » [3]

Pourquoi ce paradoxe ?

Peut-être parce que ce qui faisait non seulement le charme mais le sens et même l’essentialité de la consommation « heureuse » des années 70 et 80 a été perdu de vue, à mesure que nos besoins et nos désirs se sophistiquaient, dans un premier temps… Mais surtout à mesure que les moyens des classes moyennes occidentales et singulièrement françaises se réduisaient, en termes relatifs si ce n’est même absolus.

Car, on l’a trop oublié sans doute, la consommation des années 70 et 80, celles de nos parents ou de nos grands-parents, c’était d’abord une consommation qui, loin des clichés sur « la défonce du consommateur » [4], faisait sens. Parce qu’elle apportait du mieux-être, du confort, du temps disponible, des plaisirs nouveaux ou jusqu’alors réservés à une élite. « Elle veut un réfrigérateur, une machine à laver, la ménagère ! » La célèbre apostrophe du Général de Gaulle peut faire sourire aujourd’hui, elle n’en énonçait pas moins une vérité profonde et respectable : la consommation des générations qui nous précèdent immédiatement, c’est celle qui libère les Français et d’abord les Françaises des heures passées à faire la lessive, la vaisselle, éplucher les légumes, préparer à manger, coudre, repriser…

Des activités dont nous redécouvrons certaines aujourd’hui, dans des ateliers de créativité manuelle. À titre de loisir. En occultant que la société de consommation, c’était le modèle de société qui nous en avait libérés, en tant que contraintes quotidiennes et aliénantes. Que derrière son apparente futilité, il y avait une vraie utilité. Qu’au-delà de sa capacité supposée à faire apparaître de « faux besoins », il y avait surtout l’impitoyable sélection opérée par le consommateur et la consommatrice, qui faisaient le tri entre le pertinent et le superflu – des pages Pinterest entières sont dédiées aux produits et aux marques disparus au champ d’honneur de la concurrence. En occultant, surtout, que la société de consommation de nos parents, c’était d’abord et avant tout une société d’inclusion. Le confort pour tous, la mobilité pour tous, le plaisir pour tous.

Pourquoi ce retournement de situation ?

Une hypothèse à la faveur de beaucoup, aujourd’hui : la société de consommation était trop irresponsable pour durer, il est logique, juste et bon qu’elle soit remise en cause et même peut-être démantelée pour être remplacée par… Quoi, au juste ? Cette hypothèse fait bon marché des régulations et de la pression sociétale qui l’encadrent, la contraignent, la réorientent plus que jamais dans un sens plus responsable.

Une autre hypothèse mérite d’être examinée : si la consommation est aujourd’hui à ce point mise en cause, ce n’est peut-être pas parce qu’elle est devenue mauvaise en soi – mais bien plus parce qu’elle est de moins en moins abordable pour des consommateurs de plus en plus nombreux. Et notamment en France, où les classes moyennes et modestes sont durement touchées par la crise du pouvoir d’achat, de façon structurelle, et plus encore depuis le retour de l’inflation. La remise en cause de la société de consommation, malgré tous les efforts que font, concrètement et même si rien n’est jamais parfait, les marques et les entreprises, malgré la législation de plus en plus ferme – que l’on songe par exemple aux progrès en matière d’information nutritionnelle – c’est peut-être d’abord le symptôme qu’une partie grandissante de la population n’y a plus accès, et que c’est insupportable dans une société qui se veut d’égalité et de progrès. « Cette façon de vivre c’est s’instaurer un confinement obligé. » [5] Quand une part croissante de ces consommateurs qui sont aussi des citoyens et qui forment le cœur du réacteur de la société française éprouvent ce sentiment, face à la baisse de leur pouvoir d’achat et à ce sentiment de voir s’éloigner d’eux toute perspective réaliste d’amélioration de leur niveau de vie, ce n’est pas la consommation qui est en cause, c’est le modèle de société qui la prend en otage. « La population pauvre augmente, en gros, au rythme de la population totale. Au seuil à 50 % (du revenu médian), on comptait quatre millions de pauvres au début des années 2000, ils sont 800 000 de plus en 2020. Au seuil à 60 %, le nombre a augmenté de plus d’1,2 million. Il y a là matière à inquiétude. »[6]

Alors, on fait quoi maintenant ?

Quel rôle pour le marketing dans les années qui viennent ? Trois mots peut-être : inclure, inclure, inclure. Travailler à une nouvelle proposition de valeur, pour la société de consommation. Redéfinir ce qu’est la RSE, en la recentrant – et même si le défi climatique reste essentiel – sur sa dimension sociale, qui est devenue véritablement sociétale, puisque c’est toute la société, et pas seulement ses membres les plus fragiles, qui est concernée, quand la question du sens de notre organisation collective se pose. Fabriquer de l’accès, du commun, et en définitive du futur pour tous, à sa manière, par l’offre, le produit, l’innovation. Le programme n’est pas vaste, il est tout simplement énorme. Mais avons-nous le choix ?

Bio :

Xavier Charpentier a cofondé Freethinking en 2007 avec Véronique Langlois. Ils ont publié en 2009 Les Nerfs Solides. Paroles à vif de la France Moyenne.

Il est titulaire d’un Capes de Philosophie et diplômé de Sciences Po.

Il a publié Je me suis bien plu ici, banlieue première génération en 2015, et 6 octobre 1973, L’été indien des Trente Glorieuses, en 2020, aux éditions Plein Jour.


[1] Observateur Cetelem 2020, réponse à la question « Quels adjectifs parmi les suivants correspondent selon vous le mieux à la société de consommation actuelle ?», 3 réponses possibles.

[2] La France des consommateurs pauvres, étude Freethinking, 2008.

[3] Inflation, le retour, étude Freethinking, février 2022.

[4] Célèbre rubrique dédiée aux gadgets à la mode de Lui, le magazine de l’homme moderne… 

[5] Les Français au temps des crises, étude Freethinking, septembre 2022.

[6] Observatoire des inégalités (reprenant les données de l’INSEE), Octobre 2022.

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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