Dans une précédente tribune, nous avons montré que si les approches prédictives permettent d’adapter le ciblage d’une campagne marketing email en fonction de son contenu et du moment où celle-ci est envoyée, elles rendent la donnée plus complexe à gérer, et la décision optimale moins évidente. Nous avons montré comment les approches prescriptives, issues de la Recherche Opérationnelle, peuvent prendre le relai pour exploiter au mieux, et de façon automatique, la richesse des données prédites en optimisant au niveau individuel les plannings d’envoi de campagne. Accomplir cette transformation revient à implémenter concrètement une stratégie de marketing automation sur le canal email.
Si la transition du prédictif au prescriptif permet d’automatiser (et surtout optimiser) le marketing de l’email, peut-on étendre la logique aux autres canaux ? Y-a-t-il un intérêt à mutualiser les différents canaux au sein d’un même environnement ?
Catégoriser les canaux marketing pour adapter les stratégies
A l’évidence, l’email est un canal marketing spécifique qui possède ses métriques, ses contraintes, ses avantages et ses inconvénients qu’il serait abusif de généraliser à l’ensemble des canaux. Ainsi, les approches prescriptives décrites jusqu’ici ne pourront pas s’appliquer directement aux autres canaux pour lesquels il faudra concevoir, à chaque fois, la combinaison prédictif/prescriptif qui sera la plus efficace pour exploiter ledit canal. L’étude qualitative de la multitude de canaux à portée des marketeurs aujourd’hui est un sujet à part entière, que la présente tribune n’a pas pour prétention de couvrir. Néanmoins, pour éviter de rentrer dans les détails de chaque canal et de la meilleure façon de l’aborder, il convient de les catégoriser d’une façon qui permette facilement d’identifier, selon le type de canal, ce qu’il est possible ou non de faire d’un point de vue prédictif, puis prescriptif.
Séparons d’emblée les canaux marketing entre les canaux dédiés à la collecte de prospects (SEO, Paid Search, Affiliation, etc.), et ceux dédiés à la conversation avec le prospect. Les premiers fonctionnent selon des mécaniques de déclenchement programmées permettant de rapatrier du trafic plus ou moins qualifié vers des canaux conversationnels. On définit un canal conversationnel au sens large par sa capacité à délivrer un message au prospect. Ici, un message a un contenu, chargé de sens, ce dont est dénué un lien de redirection, par exemple. On s’intéresse ici aux canaux conversationnels, car c’est avec eux que se construit la relation entre la marque et le prospect, que l’on cherche à automatiser. On les catégorise à l’aide de deux axes qui décrivent la capacité du canal à connaître le prospect et à interagir avec lui.
Le premier axe indique si le canal permet de connaître, directement ou non, le prospect individuellement. Concrètement, ce sont les canaux capables d’assigner un identifiant unique et partagé à l’individu, ce qui permet de retrouver ce même individu dans d’autres canaux. Ainsi, les canaux qui communiquent via un numéro de téléphone, une adresse mail ou postale « connaissent » leur client, alors que ceux qui communiquent sur du trafic entrant non logué d’un site internet, ou en diffusant à de larges audiences ne le connaissent pas (même si on peut avoir une description précise de cette audience, on ne l’a pas à un niveau individuel). Attention, on parle bien ici de « capacité à connaître », souvent indirectement, via des rapprochements entre les données qu’on réalise au sein d’outils tels que les DMP (Data Management Platform).
Le second axe indique la capacité qu’a le canal à interagir avec le prospect. Celui-ci est actif quand on sait détecter sa réaction, positive ou négative, au message envoyé, comme c’est le cas dans l’email ou le SMS. Il est passif quand le canal ne permet pas de détecter l’intérêt du prospect pour le message, comme c’est le cas pour la télévision ou la radio.
Le schéma ci-dessus reprend les éléments de classification introduits plus haut pour regrouper les canaux selon les deux axes. Bien évidemment, l’évolution technologique fait que les frontières définies ici sont quelques peu poreuses : les cookies ou la connexion de l’utilisateur à un service qui saura tracker son activité online peut permettre de « connaître » un prospect a priori inconnu dans le cas général. De même, on peut arguer que dans le cas de la presse papier ou de la télévision/radio, le prospect n’est pas complètement passif puisqu’il peut réagir par le renvoi de coupons ou de SMS. Néanmoins, le découpage qui est introduit ici fonctionne dans le cas général et permet de définir les stratégies prédictives puis prescriptives à mettre en place pour implémenter une véritable approche de marketing automation pour chaque canal.
Une approche prédictive-prescriptive par type de canal conversationnel
Décrivons ce en quoi les axes connu/inconnu et actif/passif structurent les approches à mettre en place. Le fait de connaître un prospect au sens de la capacité à recouper les données pour le retrouver au sein d’un ensemble de données plus large permet principalement de raccrocher un historique à ce prospect. Ce dernier a pu, par exemple, être client par le passé ! La connaissance du prospect permet de concevoir des scores individuels très précis où il sera relativement aisé de prédire comment il réagira à un canal à partir de ce qu’il a déjà fait sur ce même canal. A l’inverse, un prospect inconnu n’a pas d’historique, ou très peu, et le potentiel de prédiction est beaucoup plus limité.
De plus, le fait d’avoir une capacité à détecter la réaction du prospect permet de pousser des décisions à un niveau individuel, dans une recherche de performance de la campagne. En effet, le succès de la campagne est mesurable directement, et les retombées immédiates. A l’inverse, sur un canal où les prospects sont passifs, la mesure de la réussite de la campagne est difficile et ne doit sans doute pas être analysée sous le seul angle de la performance. Les décisions qu’on poussera dans ce cas sont au niveau d’un ensemble de prospects (un segment horaire d’une chaîne TV, les lecteurs d’un magazine ou le trafic entrant d’un site d’information).
Chaque canal a ses spécificités, mais on peut, à partir de la segmentation introduite plus haut, proposer une ligne générale pour une stratégie prédictive-prescriptive en fonction du type de canal :
– Sur des prospects connus/actifs : c’est le cas idéal pour un marketing de la micro-performance. L’historique permet des prédictions puissantes et le prescriptif peut descendre au niveau individuel pour les exploiter au maximum. Les principes décrits dans la tribune précédente sur l’email peuvent se décliner sur le SMS ou les réseaux sociaux.
– Sur des prospects connus/passifs : c’est le cas idéal pour un marketing à audience très qualifiée et engagée. On maîtrise moins les retombées des actions mais le message touche exactement sa cible. Le prédictif anticipe l’appétence des cibles/segments, et le prescriptif permet de leur assigner les messages de façon optimale. C’est la même logique que pour les prospects connus/actifs, à ceci près qu’on raisonne au niveau de cohortes d’individus ressemblants plutôt qu’au niveau individuel. Les technologies programmatiques visent ce créneau.
– Sur des prospects inconnus/actifs : c’est le cas idéal pour un marketing de la macro-performance. Sur ces canaux, l’art est d’apprendre quelle communication pousser sans savoir à qui on les pousse. Ici, les approches les plus efficaces combinent nativement prédictif et prescriptif au sein d’une seule intelligence artificielle qui va, de façon dynamique, apprendre et décider. Ces algorithmes cherchent le meilleur compromis entre exploration (pour apprendre quelles campagnes fonctionnent le mieux sur quels site/app) et exploitation (pour utiliser la connaissance et pousser les meilleures campagnes). La décision n’est jamais prise au niveau individuel, mais l’IA cherche la performance à un niveau global.
– Sur des prospects inconnus/passifs : c’est le cas idéal pour un marketing à large audience. Ici, on n’a qu’une idée globale de la cible de la campagne, et la mesure de performance est limitée. Le prédictif quantifie le succès des grands segments au sein du canal (telle chaîne de TV, telle station de radio), et le prescriptif est réduit à sa plus simple expression : choisir les meilleurs segments sans dépasser un certain budget.
Ainsi, selon le type de canal, prédictif et prescriptif s’enchaînent ou se lient de façon différentes, plus ou moins élaborées, plus ou moins puissantes, selon les opportunités et les limites de ce canal. Clairement, le cas des canaux où le prospect reste inconnu et passif pose de réelles limites à l’application d’une logique de marketing automation qui ne semble pas avoir beaucoup à apporter. Pour dépasser cet obstacle, il reste une étape cruciale qui sera au cœur des outils de marketing automation de demain.
Unifier les canaux marketing
Jusqu’ici, on a pu montrer comment décliner l’approche prédictif-prescriptif à l’ensemble des canaux marketing. Si cela plaide pour l’automatisation de ces canaux, on voit encore mal l’intérêt qu’il y a à les regrouper au sein d’un même environnement car, a priori, ils peuvent fonctionner indépendamment les uns des autres comme c’est d’ailleurs très souvent le cas aujourd’hui. Ce faisant, on omet complètement de tenir compte des interactions, très fortes, qui existent entre ces canaux. Les praticiens du mediaplanning sont constamment confrontés à l’estimation de ces interactions dans la mesure qu’ils font de l’impact réel d’un canal sur des ventes, tant cet impact peut être indirect. Ces interactions sont le dernier levier qui manque pour avoir une vue unifiée de l’ensemble des canaux et agir sur eux de façon globale et non séparément. Dans cette optique, intégrer les canaux où les prospects sont inconnus/passifs prend tout son sens car ces médias (TV, Radio, Presse papier, etc.) sont connus pour avoir énormément d’impact sur les autres canaux marketing ! On peut donc voir les canaux comme une multitude de leviers à la disposition du marketing pour maximiser les ventes. Mais pour que cela soit utilisable, il faut également ajouter une couche prescriptive à ce niveau, en amont de l’automatisation de chaque canal, pour aider à la conception d’un plan d’action marketing global, dans le temps et multicanal.
Le prédictif au sens où on l’entend habituellement trouve ses limites ici et c’est vers le domaine des études qu’on préfèrera se tourner pour comprendre et modéliser les interactions complexes qui existent entre les canaux. En effet, quand on ne connait ni ne détecte les prospects, seules les études ont la capacité à collecter une donnée suffisamment qualitative pour concevoir des modèles descriptifs de ces interactions, tels que les réseaux bayésiens. Ces modèles seront ensuite utilisables par le prescriptif pour suggérer la meilleure façon d’activer les campagnes marketing.
Et l’Homme dans tout ça ? A quoi ressemblera le marketing si les machines vont jusqu’à décider du planning des campagnes à mener ? Il ne faut pas donner plus de pouvoir aux algorithmes qu’ils n’en ont. Ils sont certes meilleurs, et de très loin, pour calculer des prédictions et des configurations optimales, mais ne savent que penser dans un cadre défini, limité, court terme. L’Homme les surpasse pour innover, sortir des cadres, renouveler ses approches et voir loin. Ils sont une chance s’ils font exactement ce pour quoi ils sont bons, ni plus, ni moins. Les défis techniques derrière la mise en place d’un marketing automation multicanal unifié sont nombreux, mais le vrai défi qui conditionnera la réussite du marketing automation de demain consiste à trouver la ligne de démarcation entre l’Homme et les algorithmes où la synergie est maximale.