Culture RP a rencontré Pierre Zémor, conseiller d’État, membre de la Commission des Sondages, président d’honneur-fondateur de Communication publique, ancien président de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP).
« Dire la complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens » (Michel Rocard)
Vous avez donné divers entretiens mettant en avant un manifeste avec des préconisations d’une soixantaine de personnalités pour aller vers une démocratie mieux communicante. En quoi consiste cette démarche ? A- t-elle du sens aujourd’hui dans le règne éphémère des images ?
Cette démarche « Pour une autre communication politique » est, je vous l’accorde, quelque peu utopique, alors qu’on sait les méfaits pour notre démocratie d’une com’ réductrice du sens, encline à l’éphémère et au spectaculaire. L’essentiel des échanges du monde politique avec la société relève de la propagande, au mieux éclairée par des sondages. C’est l’illusion d’un marketing simpliste pour situation concurrentielle des campagnes électorales. Avec des surenchères de promesses, forcément intenables…
La com’ a su imposer à la politique des pratiques éprouvées de mise en avant d’une marque, d’un produit, d’un service, de valorisation et de personnalisation d’un émetteur, de sacralisation de la promotion qui doit bannir tout élément négatif… Faible aptitude à prendre en compte les contradictions de la société et à encourager le débat !
Ajoutez à cela la compression du temps, l’atrophie du sens, la perte de la mémoire collective. Oui, on est dans la quête du spectaculaire et au règne des images, comme substituts des identités. Cette idéologie a gagné les médias et le monde politique dans sa relation avec les citoyens !
D’où ce manifeste « Pour une autre communication politique » d’une vingtaine de pages. Il crie Alerte, propose des Impératifs vertueux et formule des Espoirs. Ce texte s’est enrichi par des contributions de 67 personnalités préconisant des évolutions souhaitables…
Il faut faire bouger les comportements politiques, les modes d’expression médiatiques et surtout hors médias : savoir impliquer les citoyens en leur disant la complexité des choses et en faisant appel à leur lucidité, à leur responsabilité…
En période de crise, la concertation est le mode de communication qui permet de dire la complexité du monde. Les efforts de communication des institutions publiques ont partiellement répondu à l’impératif constitutionnel. Quelle serait alors la réponse, les enjeux du point de vue de la communication pour accompagner l’exercice du pourvoir en « réanimant » la démocratie ?
Vous avez parfaitement raison ! Lorsqu’il s’agit de l’exercice du pouvoir et a fortiori en période de crise quand la communication doit remplir un rôle de liant social, on ne peut se satisfaire de la com’.
Certes, la communication institutionnelle publique sait maintenant faire œuvre d’écoute, de consultation, parfois de concertation pour mieux répondre à l’exigence constitutionnelle de rendre compte du fonctionnement de l’État de droit : accès plus facile à l’information, plus de transparence des procédures, de l’explication par le dialogue.
On a pris conscience que l’implication du citoyen-usager,
qui a beaucoup plus de droits qu’un client,
contribue à la qualité du service public…
Mais, autrement douloureux est le mal de com’ dont souffre l’exercice du pouvoir. On voit les dégâts à considérer la personne politique comme un produit. À présenter une action politique procédant d’un compromis d’intérêts généraux comme une prestation de service octroyée à des électeurs-consommateurs.
Les citoyens veulent se mêler de la fabrication de l’offre politique.
Quels sont les enjeux attendus du débat public institutionnel et les principes à respecter ?
Dans l’espace public, une communication n’est authentique que si elle est, par principe, en quête d’une vérité, qui ne peut ressortir que d’un débat contradictoire, d’un compromis entre intérêts et difficultés, avantages pour les uns, inconvénients pour les autres.
Aussi le débat public, pris au sens de l’instrument institutionnel de concertation, créé pour les projets importants d’aménagement du territoire ayant des impacts environnementaux et sociaux, est très vite de nature politique et, dans certains cas pour réformer et préparer le changement, devrait relever du Parlement plutôt que de l’exécutif.
Honnêtement mené sous le regard vigilant d’un garant indépendant, tel qu’assez souvent la CNDP, il a une fonction essentielle d’élucidation. On doit entendre tous les points de vue sur les propositions du maître d’ouvrage, enregistrer les points d’accord et les points d’achoppement. Le décideur doit alors faire connaitre les arguments qu’il prend en compte pour l’avenir de son projet : modifications, variante, suppression… Le rôle du garant peut d’ailleurs se prolonger, au-delà de l’exercice de liberté complète d’expression et de concertation, pour s’assurer du respect des compromis intervenus sur la place publique.
Il s’agit d’un instrument de communication d’explication et de prise en considération des autres. Il n’est pas encore assez entré dans nos mœurs ! Plusieurs contributions au manifeste estiment que sans concertation, il n’y a plus aujourd’hui de décision solide, durable.
Ainsi, le pari de la démarche que retrace un Cahier n°1 « Pour une autre communication politique » est d’inciter des politiques, des médias, des associations, des think-tanks, des citoyens,… à faire évoluer la communication politique pour la rendre utile à la démocratie.
Pour accéder au Manifeste + 67 contributions :
Sur le site www.pierrezemor.fr, cliquer à la page d’accueil sur le bandeau :
Pour une autre communication politique ou à la rubrique ‘Ouvrages’