#JaimeLaCom
Lutter contre la publicité par principe, n’est-ce pas se cacher derrière son petit doigt ? Car nous pouvons aussi considérer que publicité et communication ne sont “que“ des disciplines, des outils, des pratiques qui, comme toutes les autres, peuvent être positives ou dangereuses.
Florence Touzé, Enseignante-chercheuse de la Faculté Audencia.
Ces derniers mois, la question de la place et de la responsabilité de la publicité dans notre économie, mais plus largement dans notre société s’est posée ; de façon forte et au plus haut niveau.
Le Rapport de la mission sur la publicité et la transition écologique demandé à Géraud Guibert [1], et Thierry Libaert [2], par mesdames les Ministres Elisabeth Borne et Brune Poirson en est un bon exemple. Il a reposé les bases du débat et ouvert la réflexion sur une possible législation. À cela s’est ajoutée la prise de parole du SPIM et son rapport Big Corpo dont le cœur du message se centre sur la critique du pouvoir social et politique que les multinationales exercent par leur domination du secteur publicitaire. Les auteurs militent pour la création d’un organe de contrôle indépendant.
Cette mise en cause de la publicité n’est pas nouvelle. Des débats sociétaux et éthiques ont émaillé son histoire. Dans les années 1900 déjà, on lui reprochait sa nature abusive, et dans les années 1930 son caractère manipulatoire… Beaucoup ont aussi en mémoire l’ouvrage « No logo » de Naomi Klein en 2000. C’est à nouveau l’instrumentalisation de la publicité par les multinationales qui était décrié… Dans ces critiques, la publicité n’est bien entendu pas seule visée mais la communication dans son ensemble avec sa palette d’outils et de pratiques, et d’une manière plus générale, l’hyperpublicitarisation [3] de la société.
Cette récurrence critique en dit long sur notre rapport paradoxal à la communication. Ces débats, que nous devons plus que jamais prendre au sérieux, sont complexes. Ils peuvent aussi prêter aux amalgames et aux malentendus.
En effet, pourquoi publicité et communication sont-elles ainsi montrées du doigt ? On les critique parce qu’elles symbolisent un pouvoir. Pouvoir qui pourrait nous menacer, individuellement dans notre intégrité ; démocratiquement, via des jeux d’influences déséquilibrés.
On les critique parce qu’elles influencent nos pensées ou nos comportements ; et reconnaître cette capacité, c’est reconnaître notre propre irrationalité individuelle, ce qui nous est inconfortable.
La place des Dircom dans l’entreprise – Lire l’étude
On les critique car elles sont la vitrine de la société marchande. Ou encore de la marchandisation globale et mondiale de la société.
Ce que l’on critique aussi, ce n’est pas tant la publicité que le modèle capitaliste et ses dérives. Dont sa manière d’instrumentaliser la publicité à des fins financières à court terme et aux conséquences environnementales désastreuses.
Aujourd’hui le débat se cristallise bien sûr sur les urgences que nous devons affronter collectivement. Les urgences écologiques et sociales. Et il est en effet nécessaire de questionner la place de la communication et son impact. Tous les deux critiquables à bien des égards. Il est absolument nécessaire de sortir de ces pratiques destructrices qui existent encore. Comme par exemple l’incitation à la surconsommation ou le recours à des créations dont le modèle social n’est plus acceptable. La question de l’image de la femme dans la publicité a d’ailleurs plutôt progressé ces dernières années. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que cet imaginaire publicitaire du “toujours plus pour moins cher“ fasse sa mutation.
Mais lutter contre la publicité par principe, n’est-ce pas se cacher derrière son petit doigt ?
Car nous pouvons aussi considérer que publicité et communication ne sont “que“ des disciplines. Ou encore des outils, des pratiques qui, comme toutes les autres, peuvent être positives ou dangereuses. Porteuses d’avenir ou criminelles. La publicité et la communication ne sont pas des entités supérieures. Elles ne sont que ce que l’on en fait. C’est l’objectif qu’on leur assigne qui doit être l’objet de la plus grande attention. Produire toujours plus et vendre toujours plus sont-ils encore supportables aujourd’hui ?
N’oublions pas non plus que publicité et communication existent aussi en dehors des multinationales. Et bien évidemment en dehors du monde marchand. La communication sociale, la communication humanitaire, la communication de santé publique sont, par exemple des disciplines largement répandues aujourd’hui.
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Il est donc important d’éviter, comme dans d’autres pans de nos débats sociétaux, les amalgames.
Faire de ces disciplines, de ce secteur, de ses acteurs des boucs-émissaires paraît aussi simpliste que dangereux.
D’autant qu’il est possible, à l’inverse d’interroger le potentiel de la communication à accompagner la transition. Plus que jamais, critiquons, surveillons les pratiques. Certes, mais puisqu’il est urgent de construire la transition et que publicité et communication sont capables d’influencer, mobilisons-les activement et positivement. Car elles peuvent contribuer à rassurer, à fédérer, à accompagner les changements de consommation, …
Pour toutes les organisations qui sont sincères dans des démarches responsables, pour les PME, pour les associations,… publicité et communication sont au cœur du cheminement. (cf La Communication Implicative, une piste pour le « monde d’après » ?).
Si, depuis un siècle, la publicité a contribué à construire un imaginaire du bonheur par la consommation, elle doit aujourd’hui contribuer à soutenir un nouveau projet de société, plus sobre et plus juste. Cela doit passer par une mobilisation collective de la profession comme de la société civile. Et bien sûr cela va passer par la formation.
Accompagner les futurs professionnels à appréhender la complexité et les urgences, la responsabilité individuelle et le projet de société. Donner aux étudiants les clés de questionnement, de conscientisation et stimuler la posture critique, voilà un bel objectif. Et ils n’attendent que ça !
[1] Conseiller maître à la Cour des comptes et Président de La Fabrique Écologique.
[2] Professeur des universités, membre du Comité Économique et Social Européen, Président de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, membre du Conseil de l’éthique publicitaire et du Comité d’honneur de l’Institut national de l’économie circulaire.
[3] Voir le travail de Karine Berthelot-Guiet sur le sujet.(https://www.youtube.com/watch?v=8ZNOCKl-0Mc)