#ParoledExpert
Un exercice de mise en distance que les enjeux cachés ne pourraient à eux seuls justifiés car en vérité, l’important est bien de ce confronté à la réalité du présent pour mieux engager un avenir, comme pour engager sa marque vers un renouveau actionnable et utile.
Interview de Patrice Laubignat, Marketer émotionnel et auteur.
Ta citation fétiche : « Dessine-moi un mouton ! » ou « Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu » sans doute ma préférée de Jean d’Ormesson (à toi de choisir).
Hum Patrice, pas facile de choisir en vérité… Tu mets l’imaginaire d’un esprit flottant en action ! Je peux prendre les deux ? On devient gourmand avec l’âge !
Dans une droite ligne de ces interrogations positives sur les marques engagées Patrice Laubignat propose un échange d’une heure, avec des DirMarCom autour de la présentation d’un projet, pour souligner les points forts, mesurer l’impact du projet mais aussi poser là quelques questions ou quelques idées qui peuvent à la fois conforter et interroger la pertinence et la cohérence des choix proposés.
Le résultat, l’expérience n’en fut pas un fruit défendu mais bien une élégance contractuelle des enjeux partagés par tous ! Car décider c’est choisir, mais choisir c’est toujours se poser la question du pourquoi et à ce titre aucun doute, aucun tremblement ne doit être permis…
Patrice si tu devais définir les enjeux, l’esprit, de ce qui donne toute sa valeur au #challenge, quels seraient-il pour la marque, le DirMarCom invité et ses pairs ?
L’enjeu principal pour la marque est la cohérence du discours, de l’histoire qu’elle véhicule auprès de ses différents publics. Cette cohérence holistique qui crée une confiance indispensable à la fois à la relation avec ses clients et à l’engagement des salariés et partenaires. Or tout projet a pour ambition de faire avancer le discours, d’enrichir la relation et de créer de la valeur. Le challenge apporte au DirMarCom une confirmation, une validation de son choix éclairé par la diversité de vue et de perception qui lui sont habituellement inaccessibles. Pour les challengers, c’est aussi un enjeu de générosité entre pairs et de compréhension du monde à travers le prisme d’une marque et dans l’intimité de l’entreprise. Il me semble que l’audace est dans l’acceptation du don.
Un projet doit réunir, doit séduire, doit créer une volonté d’avancer, y compris dans des temps difficiles. Les challengers le savent. Ils vivent les mêmes défis lorsque vient le temps de présenter un plan d’actions, une stratégie marketing, devant le Comex ou devant leurs équipes. Brainstormer ou challenger, c’est quoi la différence ? Et c’est quoi pour toi avoir une âme de challenger dans une offre métier, idéal ?
Tout à fait d’accord pour souligner l’importance de la séduction, de l’adhésion dans le projet. Et le défi à relever pour rallier les suffrages du Comex est d’importance. Depuis les bancs de l’école, nous apprenons à présenter nos idées, parfois pour obtenir une bonne note, souvent pour être accepté et nous conformer à la norme, plus rarement pour étonner, surprendre, ou innover. Le plus souvent, nous n’avons pas de deuxième chance. La séduction opère ou le public s’ennuie et est déçu. A force, tu apprends à ne pas aller trop loin, à ne pas prendre de risque. Or un projet sans risque n’est pas un projet !
Le soumettre au challenge, c’est précisément valider les points forts et entendre les points d’interrogation, avant qu’il ne soit trop tard. Évidemment, tu pourrais imaginer le faire en interne, avec tes équipes. Tu pourrais aussi organiser des séances de brainstorming, où chaque participant est prompt à déclarer qu’il est d’accord avec tout le monde et en particulier avec son voisin ou sa voisine : mais quelle bonne idée ! Le problème est l’énormité des biais cognitifs que tu introduis en faisant cela, du biais d’autorité qui veut que le chef a toujours de bonnes idées à celui de confirmation qui oblige certains à répéter ce qu’ils disent et pensent toujours (et que tu connais déjà). Le brainstorming reste intéressant pour explorer de nouvelles pistes, à condition d’avoir dans ton équipe des personnalités fortes et hyper créatives, capables de dire absolument n’importe quoi sans aucune peur du jugement. Le challenge est beaucoup plus souple dans sa pratique. Les challengers ne cherchent pas à éblouir par leur talent créatif. Ils sont là pour écouter et restituer leur perception, leur compréhension intuitive du projet dans un contexte de connaissance de la marque limité (ce qui est bien plus proche de la réalité du client). Le challenge s’applique à un choix déjà fait. Il le confirme ou le conteste sur certains points. C’est un esprit d’ouverture, d’analyse positive qui est demandé aux challengers. C’est également faire preuve d’empathie pour comprendre les choix faits et ne pas forcément les remettre en cause. Impertinence généreuse.
Si tu devais définir le marketing d’aujourd’hui pour rendre responsable notre écosystème métier de demain. Quels sont les mots, les actions, la vision, les valeurs humaines indispensables que tu aimerais mettre en avant pour vivre dans une société plus juste ?
Il n’y a pas si longtemps, je t’aurais répondu qu’il faut aimer les clients pour faire du marketing. Mon livre sur le marketing émotionnel avait pour titre, dans ma tête naïve, le marketing romantique. C’est d’ailleurs resté sur le blog. Pas la mièvrerie que certains confèrent au romantisme poisseux de littérature de gare comme dirait ma mère, mais un romantisme tourné vers le beau et le mieux. J’aime le beau et je crois qu’il est possible de pratiquer un beau marketing. Loin de l’algorithme, de la feuille de calcul, du reporting que personne ne lit ni ne comprend vraiment, il y a de la place pour créer. Or la question d’une société plus juste repose sans équivoque sur notre capacité à créer. A créer pour les autres (pas pour se prendre en photo sous la douche), sans compter. Je viens des maths et je connais le pouvoir hypnotique des chiffres, mais il me semble que « parle-moi encore de ton taux de conversion, bébé », ne figure ni dans Le Mépris de Jean-Luc Godard (pourtant passionné par les chiffres), ni dans La carte et le territoire de Michel Houellebecq. A vouloir tout compter, le marketing se trompe de performance et nous manque de respect. Sa seule performance responsable serait de nous aider à vivre mieux et dans le respect des autres et de notre environnement, parce qu’il est vecteur d’histoires, de changement de comportements, de découvertes de nouveaux usages plus que de nouveau besoins. Apprendre, jouer et aimer sont les moteurs de l’humain. Ils devraient sans aucun doute être aussi ceux du marketing.
Comment peux-ton participer au prochain #challenge, que l’on soit porteur de projet ou invité pour challenger celui-ci ?
Il suffit d’oser ! Oser se proposer et j’organise le challenge. Soit il est en format court et ouvert à quelques challengers, soit il est plus construit et fait l’objet d’une analyse poussée faisant l’objet d’un livrable et je suis alors l’unique challenger. Dans les deux cas de figure, le challenge est confidentiel. Pour être challenger, il faut être expérimenté, généreux et bien intentionné.
« La raison sans les passions serait presque un roi sans sujets » (1), quels sont selon toi les avantages de la raison et de la passion ? Et à quelle distance « idéale » doit se placer les actions d’une stratégie émotionnelle du marketing pour s’enquérir d’une adhésion la plus efficace ?
La réponse se trouve dans le livre de Daniel Kahneman, « Système 1, Système 2 ». Les deux nous sont indispensables. Nous avons besoin de passion pour vivre et ressentir ce qui se passe en nous et autour de nous, ce qui active notre système 1 ; parallèlement nous avons besoin de la raison, qui nous permet soit d’analyser des situations complexes, soit de corriger notre intuition souvent trompée par des biais cognitifs (ce qui est le fondement de toute démarche scientifique). Mais l’un sans l’autre ne fonctionne que beaucoup moins bien. Sans la pomme qui tombe de l’arbre, Newton n’aurait jamais été Newton (pour prendre une image légendaire comme point d’appui). Et cela vaut aussi pour les inventions, les innovations ayant bouleversé nos modes de vie et nos comportements. Sans émotion, pas de créativité. Sans raison pas d’analyse ni de cohérence.
Pour répondre à la deuxième partie de ta question, je dirai que la fidélité est une résultante d’un état émotionnel, rationalisé dans un contexte défini par un ensemble de contraintes (sociales, économiques, politiques, morales, etc). Il n’est probablement pas possible d’être fidèle en toute circonstance, sauf à finir brulée sur un bucher. Si la fidélité a la même racine que la foi (fideis) ce n’est pas anodin. Il faut y croire. Mais nous vivons dans un monde beaucoup plus rationnel qu’avant, et la croyance mérite aujourd’hui d’être confrontée au principe de réalité. C’est le sens de notre quête illimitée d’information : moins nous croyons, plus nous avons recours aux informations. Désormais, le consommateur lit la nature des ingrédients, exige qu’on lui indique un score nutritionnel ou la nature des engagements pris et démontrés par les marques sur les emballages ou via internet avant d’acheter. Ce qui ne l’empêche nullement de consommer du Nutella, de boire du Coca-Cola, de manger des frites et des hamburgers et d’acheter des gringues chez Shein.
La fidélité est l’expression d’une préférence.
Préférer n’est pas rationnel.
C’est la conséquence d’une émotion.
Si tu avais un dernier conseil à donner à un DirMarCom, une marque pour être un leader épanoui, une entreprise positive pour le collectif, dans cet océan d’injonctions contradictoires, quel serait-il ?
S’interroger toujours et encore avant d’imaginer un produit, une action, une opération à destination du client, sur la valeur créée pour lui. Avant tout. Mais aussi sur la cohérence globale du point de vue extérieur à l’entreprise qui doit valider les choix, les valeurs, les espoirs de chacun de nous. Nous avons besoin, en tant qu’être mu par nos émotions, de comprendre pourquoi nous agissons.
Dans ce contexte d’incertitude accrue et de perte de confiance, la constance, la permanence d’une vision est indispensable. C’est sans doute un luxe que ne se permet pas celui ou celle qui croit changer au gré des indicateurs de performance pourtant si peu fiables. C’est aussi le luxe du luxe en sa force établie par des décennies, des siècles d’excellence. Changer de cap comme on change de direction marketing, courir là où se précipitent les chasseurs de tendance, c’est perdre de vue notre humanité. Nous avons un infini besoin de zone de confort. Depuis que nous avons fait le choix de la sédentarité, nous sommes à la recherche de la sécurité, du confort et du plaisir. Pas par opportunisme, mais davantage par conscience que c’est ce qui nous permet de survivre et d’avancer.
Merci infiniment Patrice pour ta confiance et ton amitié 🙂
Culture RP à beaucoup de chance et moi aussi…
Liens : eforbrands.com / marketingemotionnel.com / marketingzero.fr
(1) Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778).