Par Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication de crise et fondateur de l’agence de communication LaFrenchCom
Alors que les médias français viennent d’être rappelés à l’ordre par les instances administratives indépendantes de régulation et sont actuellement montrés du doigt par les téléspectateurs, il convient de s’interroger sur la relation entre les médias et le terrorisme.
Le sang, les larmes, la colère, la panique et les mouvements de foule attirent les médias parce que l’émotion qu’il génère est un puissant stimulant d’audience.
Plus de huit mois après les attentats de Paris et quatre mois après ceux de Bruxelles, c’est la ville de Nice qui fut à son tour frappée en plein coeur par une attaque terroriste.
Ce jeudi soir, un terroriste au volant d’un camion poids-lourd a en effet foncé dans la foule rassemblée, sur la promenade des Anglais pour assister aux festivités si symboliques du 14 juillet. Bilan provisoire : 84 morts, 202 blessés et 52 en état d’ « urgence absolue » qui ne manquent évidemment pas de rappeler les dramatiques attentats de Paris du 13 novembre dernier qui, il faut le rappeler, sont à ce jour les plus sanglants de l’histoire du terrorisme en France avec 130 morts et 352 blessés.
Chacun de ces épisodes terroristes a révélé l’imbrication toujours plus intense et symbiotique entre les médias et le terrorisme. Quel est aujourd’hui l’état de cette relation ? Comment les médias font-ils face à cette dynamique ? Comment font-ils aujourd’hui pour équilibrer la nécessaire information du public avec la volonté manifeste des terroristes d’actionner le levier médiatique pour diffuser leur idéologie meurtrière et accentuer l’effet de sidération de l’opinion publique ? Quelles mesures les médias prennent-ils pour éviter que la couverture de l’information ne permette aux terroristes de promouvoir leurs croyances haineuses et les actes barbares qui l’accompagnent ?
L’épisode terroriste d’hier a démontré que les médias ont capitalisé sur la confusion et la consternation du public provoqué par l’attentat
terroriste de Nice pour diffuser des images leur permettant de fabriquer des reportages aussi dramatiques que possible garantissant l’attention du public au point de s’en excuser aujourd’hui. Ainsi, France Télévisions, télévision publique, s’est excusé pour avoir diffusé l’interview d’un homme près du corps de son épouse dans l’édition spéciale de la chaîne France 2, lancée au milieu de la nuit. La chaine expliquant que « ce n’est pas le résultat d’un choix éditorial ».
L’attentat terroriste d’hier le démontre une nouvelle fois, les extrémistes calculent soigneusement l’échelle, la cible, le lieu et le moment de leurs assauts pour remuer une grande attention, pour marquer l’opinion et générer la publicité la plus grande possible. Les terroristes cherchent à ce que leurs actes répandent la terreur et l’indignation au public le plus large possible.
En 1956, l’Algérien Ramdane Abane avait théorisé les prémisses d’une stratégie de communication du terrorisme en se demandant s’il valait mieux tuer plusieurs ennemis dans un village reculé alors que personne n’en parlerait ou une seule personne à Alger qui sera médiatisé dès le lendemain et visible par toute la population, influençant les décideurs les plus importants du pays. Daesh, enfant digital du terroriste d’hier, a répondu depuis longtemps à ce dilemme en misant sur les canaux contemporains de diffusion de l’information et en structurant une présence invasive des réseaux sociaux.
Il faut remarquer ici que sans la garantie d’être diffusé, médiatisé et largement relayés, beaucoup d’actes terroristes n’auraient probablement pas lieu. Les terroristes savent aujourd’hui trop bien que la couverture du sensationnel par les chaines d’informations en continue est directement liée à l’emplacement choisi, le nombre de pertes infligées, et le type d’acte commis.
En plus des médias traditionnels, les groupes terroristes actuels comme DAESH s’appuient sur de multiples plates-formes digitales et sur les médias sociaux afin de répandre leur propagande misant sur une radicalisation de la minorité la plus fragile et la plus désocialisée parmi la masse de personnes qu’ils toucheront.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’alors qu’ils misent sur les médias traditionnels pour répandre leurs haines, les terroristes les considèrent comme l’incarnation de l’ennemi. Les terroristes ont aujourd’hui mis sur pied une véritable stratégie de communication conçue pour terrifier. Plus les français assistent à ces scènes dramatiques, plus ils sont susceptibles de souscrire aux théories de Samuel Huntington et son choc des civilisations et plus les partis politiques les plus racoleurs sont susceptibles de convaincre. Les médias constituent un médiateur de l’information qui façonne l’information et donc contribue à forger et à influencer l’opinion publique.
L’épisode de jeudi soir a une nouvelle fois souligné l’émergence d’une série de nouvelles plates-formes numériques accentuant la concurrence dans la diffusion de l’information. Périscope a ainsi connu un succès incroyable. Des milliers de personnes se connectant au réseau social afin de visualiser les images brutes capturées sur le terrain en direct par des citoyens. Périscope est à la limite de l’application et du réseau social qui permet à chacun de diffuser de la vidéo en direct dans le Monde entier. Ce contenu diffusé en direct est notifié instantanément à tous vos abonnés qui sont invités à visualiser le direct.
C’est cette application qui avait été utilisé par une adolescente pour réaliser ce qui est souvent désigné comme le « Suicide d’Océane ».
La télévision reste aujourd’hui la principale source d’information de la population française. Ce n’est cependant plus vrai auprès des jeunes pour qui YouTube et applications similaires ont déjà terrassé les chaînes de télévision.
La conférence de presse, parfait exercice de communication de crise de l’institution judiciaire a démontré comment le procureur de la république de Paris, François Molins cherchait à garder la maitrise de l’information précisant d’emblée qu’il s’agissait non pas d’une conférence de presse interactive basée sur des questions réponses habituelles mais d’une communication unilatérale visant à communiquer « les premiers éléments » déjà tous connus et relayés par les médias traditionnels. Cela est de nature à pousser les médias à chercher, à enquêter et à dévoiler les détails non divulgués en premiers. Une telle couverture médiatique des enquêtes terroristes n’est d’ailleurs pas sans soulever de nombreuses préoccupations dans l’institution policière et judiciaire les amenant systématiquement à se demander si les médias doivent dévoiler tel ou tel détail.
La profession de journaliste est enracinée dans la démocratie dont elle est l’un des fondements ainsi que dans la liberté d’expression. Les médias doivent pourtant aujourd’hui apprendre à se modérer dans le traitement de ces attaques terroristes. Les éléments sensationnalistes, les plans vidéos les plus durs et les atrocités meurtrières ne doivent pas être diffusés uniquement comme garantie d’audience. La force du journaliste est la contextualisation de l’information diffusée. Hier en a parfois cruellement manqué.
Les médias doivent mettre en place des normes de traitement de l’information terroriste. Ils doivent ne plus reprendre les termes des terroristes comme celui « d’état islamique » pour ne pas être utilisé comme un canal de diffusion de leur propagande. Dans la mesure où les médias continueront de traiter l’information qu’est la violence dans la société, ils leur appartient d’en garantir un traitement responsable. Les médias ne doivent plus servir d’amplificateurs de menaces car ils représentent la plus grande puissance de notre société contemporaine comme nous l’a appris David Lodge.