Pierre Zimmer, conseil en communication, essayiste et ancien journaliste.
« Le journalisme serait un métier formidable s’il ne fallait pas écrire. » A notre époque de la presse écrite, audiovisuelle et internet, cette phrase n’a pas grande résonance. Mais comme elle a été prononcée à la fin du 19ème siècle par un obscur journaliste américain qui devait suer sur sa machine à écrire Remington toute neuve, cette assertion ne manquait pas d’humour.
Dans le même esprit, un siècle plus tard, nous sommes dans les années 70, le personnage incarné par Woody Allen dans le film Bananas répond à un recruteur dans un entretien d’embauche : « Vous avez déjà travaillé sur un ordinateur ? » – « Oui, ma tante en a un ». Et toute la salle de cinéma de s’esclaffer.
Les temps ont bien changé, et le journalisme aussi. L’informatique et l’internet ont amplement modifié la donne. Jeune pigiste, il m’arrivait de présenter à mon rédacteur en chef un papier tapé à la machine d’une quinzaine de pages. « Ton papier est très bon mais beaucoup trop long ; il faudrait élaguer entre la page 8 et la page 12 » assénait sans appel mon mentor. Et je passais la nuit à retaper une version plus courte de mon « œuvre ». L’arrivée des ordinateurs et du copier-coller a transformé radicalement ma vie et l’a grandement simplifiée.
La profession de journaliste – qui est sans doute bien plus qu’une profession puisque c’est aussi une attitude, une manière d’être – est encadrée par des règles de déontologie générale et d’éthique personnelle. Ce sont ces règles qui font de ce métier exigeant sa grandeur et sa servitude. Quelques grands principes simples et pleins de bon sens : le devoir d’informer, le respect de l’Autre (lecteur, auditeur, téléspectateur), le souci de l’intérêt public, le droit de savoir, l’indépendance à l’égard des pouvoirs politiques, économiques et scientifiques, le respect de la vie privée, la protection des sources. Ces préceptes ont deux fondements essentiels : la responsabilité sociale et la véracité, c’est-à-dire l’intention de ne pas tromper celui qui prend connaissance de l’information.
Les journalistes sont aussi soumis à des droits et des devoirs : ils doivent considérer la calomnie, les accusations sans preuves, la déformation des faits et le mensonge comme de graves fautes professionnelles. Ils ne doivent jamais se faire passer pour un autre ni user de moyens déloyaux pour obtenir une information.
Pas sûr que la plupart d’entre eux en soient aujourd’hui conscients… et c’est peut-être ce qui explique que le public a de moins en moins confiance dans les médias traditionnels alors qu’il se retrouve dans le moins fiable des canaux d’information : la toile.
Crédibilité à la dérive
En s’éloignant parfois (souvent ?) de leurs principes déontologiques, en donnant plus de place aux commentaires qu’aux faits (néanmoins toujours regardés au travers d’un prisme subjectif), les journalistes perdent non seulement de leur crédibilité, mais aussi demain de leur indépendance. Ils deviennent, à « l’insu de leur plein gré », des communicants. N’est-il pas trop tard pour réagir ?
La recherche à tout prix du scoop, l’obligation de travailler dans l’urgence, une vérification désinvolte de l’information, la connivence avec le monde ou celui de la publicité, la confusion des genres entre information et communication, l’utilisation systématique de la bonne foi pour se dédouaner de ses erreurs et de ses fautes professionnelles, une lecture approximative de la vérité, le « bidonnage » d’interviews comme celle de Fidel Castro par PPDA, la mise en scène d’événements ne sont pas acceptables.
Cependant, on se gardera bien de jeter le bébé avec l’eau du bain ! Le journalisme est aujourd’hui en mutation en raison de l’évolution à grande vitesse des technologies de communication et d’information. Les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter ou encore Agoravox, veulent nous faire croire que tout un chacun est journaliste ou peut le devenir à bon compte. C’est faux et stupide. Les journalistes pâtissent de cette opinion désormais largement répandue. Pire. Aux Etats-Unis, des chercheurs viennent de mettre au point des techniques journalistiques révolutionnaires : des articles et des journaux télévisés sont conçus par des ordinateurs. Ces robots-journalistes réalisent le rêve de tous les patrons de journaux : des journalistes dociles, rapides et bon marché.
Dans son éditorial du 16 février 2010, publié dans le quotidien économique Les Echos, intitulé « Etre journaliste », Favilla écrivait : « Peut-être, par défaut de vigilance, la profession a-t-elle laissé inconsciemment se créer chez elle une autre pression, conformiste et douceâtre celle-là, faite de culpabilité et d’ordre moral… Mais il suffit d’aller faire un tour sur internet pour s’en convaincre : on est bien heureux d’avoir encore des journalistes professionnels. »