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Fabrice Frossard, Fondateur de Faber Content, accompagne les entreprises et les institutions en tant que spécialiste de la communication digitale et des stratégies de contenus. Il intervient sur les problématiques d’e-reputation et d’influence.
Quel est votre parcours et l’ADN et les enjeux de com’ collaborative Faber Content ?
Mon parcours fait partie de ces trajectoires atypiques. Pour être concis, j’ai passé une grande partie de ma carrière dans le journalisme – par hérédité-, en tant que journaliste et photographe, puis rédacteur en chef ou directeur de rédactions pour des hebdos de l’IT, de l’industrie ou marketing. Très vite, dans les années 90, je suis passé sur le web, ce qui créait des situations amusantes avec les RP. Quand on nous proposait des infos, en général nous l’avions déjà depuis des semaines, ce qui nous permettait aussi d’être en avance sur l’info.
Parallèlement j’ai beaucoup évangélisé dans les médias et auprès des journalistes pour les convaincre de la nécessité de s’acculturer au web et ses outils et aux nouvelles technologies pour faire évoluer la façon d’exercer le métier. Ce qui m’a amené à intégrer des agences RP comme planner strat orienté digital et enfin créer ma propre structure en m’appuyant sur des collaborateurs de différents univers : journalistes, consultants, veilleurs…
L’ADN de Faber Content, c’est le contenu bien sûr, mais sous tendu par une volonté de transmission, d’explication et de vulgarisation. J’ai appris dans la presse pro à vulgariser des concepts ou des technologies complexes, c’est ce que je tente de faire aujourd’hui pour des entreprises par la mise en œuvre d’une stratégie de marketing de contenu et inbound, mais aussi par des formations. L’enjeu global, c’est de convaincre les entreprises de parler à leur audience, pas d’elles.
Si vous deviez citer LA grande évolution métier ces 10 dernières années, ce serait laquelle et comment cela a-t-il changé votre métier au quotidien ?
La profusion et la facilité d’accès à des technos complexes est sans doute le plus grand changement. Profusion d’outils, de sources, d’informations, de discours, d’interlocuteurs, de rumeurs. Avec Internet la terre est plate et tout est à portée de clic. Ce qui a vraiment changé c’est la gestion de l’abondance qui se traduit de multiples façons, à commencer par une gestion de l’économie de l’attention. Comment faire pour canaliser l’information, cristalliser les discours, maintenir une cohérence dans la gestion de l’image, démêler le vrai du faux, à l’heure où tout s’entrechoque dans un fleuve social permanent ?
Couplé à la profusion, l’autre changement est la facilité d’accès à des outils très puissants à faible coût. C’est quand même hallucinant de se dire que vous pouvez utiliser l’IA de Google (Tensor Flow) quasi gratuitement ou la capacité de calcul d’Amazon pour créer votre startup. Par ailleurs, les logiciels de marketing automation, de CRM ou de veille sont accessibles à des petites entreprises pour un coût réduit.
Au-delà, je n’ai pas l’impression que les fondamentaux du métier aient tant changé. Un bon PR cultive avant tout la relation humaine, un bon storyteller se focalise sur l’émotion, une bonne stratégie digitale s’appuie sur l’émotion, l’empathie, l’humain et un peu de technique. Les outils amènent plus de facilité à réaliser de nombreuses tâches.
Veille et Intelligence Artificielle: Quel est votre regard sur cette décennie de transformation numérique, pour quelles promesses et pour quel avenir ?
Vaste question. Si l’on se cantonne à la veille, la transformation est absolument magistrale. Face à la profusion d’informations, l’IA est un outil fabuleux pour automatiser la collecte et détecter des signaux faibles. De l’aveu de tous les veilleurs, il manque encore une couche d’extraction et de synthèse intelligente de cette collecte. Avec l’avancée du traitement automatisé du langage (symbolique plus machine learning) cela devrait émerger sous peu. De manière plus générale sur la transformation numérique, je constate depuis plus de vingt ans que c’est essentiellement une transformation culturelle qui est, et doit être à l’œuvre. Les technoprophètes adeptes du solutionnisme ou les positivistes forcenés sont à côté de la plaque. Rien ne change tant que l’humain n’est pas prêt à accepter ce changement et à modifier son état d’esprit pour s’adapter à ce nouvel environnement. Sinon, soit vous imposez le changement de manière coercitive comme le fait Uber en notant chauffeurs et clients, soit vous laissez chacun modifier sa posture en l’accompagnant et surtout en expliquant ce qu’il se passe, où nous allons, comment nous y allons et les bénéfices pour tout un chacun. A mon sens il y a encore un défaut à la fois d’explication et de vision sur la transformation en cours. L’injonction à apprendre le code, transformer son entreprise en plateforme ou être agile est un médiocre palliatif à l’absence globale de vision, de récit. Le rôle d’une entreprise est avant tout de fournir du sens et une vision, en interne bien sûr sinon rien ne fonctionne et il y a une dissonance – pour mémoire seul 6% des collaborateurs se disent engagés -, mais aussi en externe. Les résistances à cette transformation sont aussi sans doute dues à un manque de grand récit, et ce manque est aujourd’hui comblé par les GAFA.
Quel regard avez-vous aujourd’hui sur le Paid, le Owned et le Earned Media ?
Avec la profusion d’informations, le modèle PESO devient de plus en plus complexe à arbitrer. Il y a quelques mois, j’aurai affirmé sans ciller que le Owned suffit pour bénéficier d’un Earned de qualité. Aujourd’hui, capter l’attention demande avant tout d’être visible et le Paid, bien utilisé, est un allié et un renfort précieux pour cela. Les actions des RP restent indispensables pour amplifier les messages et bâtir une présence cohérente, tout comme les influenceurs qui sont des accélérateurs de visibilité. Ce que nous constatons au sein de la brigade du web (un collectif de twittos) quand nous intervenons sur un évènement. Au cœur, le Owned doit être soutenu par une bonne stratégie de contenu, garante de la cohérence sur un temps long. Mais la plupart des entreprises confondent souvent le temps technique du web avec le temps réel du public et de l’audience. Depuis le début du web, la perception des temporalités génère un malentendu absolu.
Au final, une audience acquise et fidélisée sera toujours plus pertinente qu’une visibilité payée et éphémère.
Vous aviez publié avec le CMIT en 2017 un livre blanc sur les grandes tendances de contenu en BtoB. Deux ans après, les grandes tendances sont toujours les mêmes et la notion d’engagement est-elle encore d’actualité et si oui pourquoi ?
Merci pour cette mention. D’ailleurs, nous relançons l’étude pour l’actualiser. Pour les tendances, ce sont peu ou prou les mêmes avec l’essor exponentiel de la vidéo. Seul bémol, il y a deux ans j’avais mis dans le questionnaire les podcasts auxquels je croyais énormément, mais personne ne semblait sensible à l’émergence de ce format. Aujourd’hui, force est de reconnaître que le podcast est une tendance de fond. Qui s’explique facilement, à la fois par l’émergence des assistants vocaux, mais aussi par la relation d’intimité que ce format crée avec l’auditeur et la parenthèse qu’il crée dans une journée.
L’engagement est la valeur cardinale et l’objectif intangible du digital. Que vous soyez une marque, une entreprise, un influenceur, un marketeur, l’objet de la quête est l’engagement, c’est le Graal. L’engagement est un signe à la fois d’intérêt, mais au-delà d’une certaine forme de confiance et de sympathie, voire de reconnaissance. Autant de signes qui feront tendre son émetteur vers une action, ce que nous cherchons tous, faire passer du cognitif au conatif. Pour le dire pompeusement, c’est bien la fonction perlocutoire ou performative que l’on cherche à activer en utilisant le contenu et les leviers d’acquisition digitaux. Donc un engagement.
Le contenu est-il toujours une expression contractuelle de la cohérence de marque ?
Plus que jamais ! Et le besoin de cohérence n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui ou la fragmentation des plateformes, formats, audience est exponentielle. Il y a sans doute aussi une nécessité à sortir de la tactique pour revenir à des stratégies sur un temps long et le contenu aide à s’inscrire dans cette temporalité
En termes de contenu quels sont les 7 tendances du Social Media pour 2019 ?
Sans être original, c’est avant tout l’essor des « stories » bien sûr. Quel que soit le canal. Aucune raison pour que l’essor de la vidéo s’arrête, mais sans doute avec plus de place laissée au live, ce qui rejoint la tendance des stories et induit la vidéo verticale. Ajoutons une couche d’interactivité aux vidéos et nous aurons sans doute fait le tour sur ce format. L’essor du podcast en direct embarqué nativement sur Twitter à l’instar de ce que fait l’excellent PPC. Tous ces éléments convergent et sont les signes d’une tendance à laquelle je crois profondément : le retour vers l’approche sociale du réseau. Soit beaucoup plus d’attention et d’intentions portées envers son audience, plus d’interactions. Nous évoquions l’engagement, il faut être réellement attentif à son audience et favoriser le partage et la sympathie pour créer les conditions de l’engagement. Il faut aimer son audience, vraiment.
Quels sont les indicateurs référents que vous utilisez sur les médias sociaux ?
Plus que les métriques du social media (toujours les mêmes : reach, impressions, rts, likes…) la mesure des interactions entre les réseaux sociaux et le site de destination me semble plus pertinente. Cela permet d’évaluer la capacité à fédérer une audience depuis les réseaux sociaux et sa canalisation vers un site ou une page de destination. De là, il est intéressant de mesurer la performance par des métriques telles que le temps passé, la profondeur de scroll, le temps de lecture, les conversions et effectuer une segmentation avec les visiteurs venus directement pour évaluer le delta…En un mot, mesurer la capacité à susciter un réel engagement sur le contenu et les conversions associées à l’animation sur les réseaux sociaux.
Le domaine du marketing d’influence est aussi large que le web lui-même ! Face à l’hégémonie des Gafa, aux fakes news, aujourd’hui les deep fakes, de la parole des Youtubeurs, Instagrameurs et Twittos quels positionnements doivent avoir les journalistes pour rester audible, authentique ?
Faire leur boulot ! J’adore cette citation, « Être journaliste, c’est expliquer aux autres ce que l’on ne comprend pas soi-même ». J’ai mis beaucoup de temps à réellement comprendre cette citation, mais c’est exactement cela et il faut beaucoup d’humilité pour l’admettre. Sur ce coup, je ne vais pas me faire des amis, mais je vois trop de journalistes perdre ce qui fait tout l’attrait de ce métier : observer, comprendre et transmettre. Faire ce métier, c’est être curieux, curieux de l’autre, curieux du monde, et se demander en permanence pourquoi. Face aux infox, l’idée n’est pas de les démonter en permanence, c’est contre-productif, mais plutôt je pense à être plus pugnace sur l’info, plus profond et surtout la rendre intelligible à tous en évitant les biais idéologiques. Les fake news surfent sur une anxiété globale envers un monde de plus en complexe, paradoxalement elles ont une fonction de réassurance en fournissant des explications simples au désarroi existentiel que l’on peut ressentir. On revient à la fois sur l’absence de récit global en guise de perspective et un manque d’explication sur les évolutions de l’environnement.
Avez-vous un appel à faire passer ?
Merci pour cette interview et surtout que chacun participe à l’étude sur le contenu ! https://goo.gl/forms/pCaFOCMhAtV5Cf8r1