#JaimeLaCom
Crise sanitaire oblige, la campagne présidentielle 2022 sera principalement numérique. Alors que le rôle joué par les médias sociaux devrait être d’une ampleur inédite et que la jeunesse sera au cœur des enjeux, Twitch a tout du lieu de rencontre idoine entre les jeunes Français et les responsables politiques. A condition de faire l’effort de comprendre la philosophie de la plateforme et de respecter les codes de la communauté.
Louis Duroulle, consultant en influence digitale et enseignant en communication politique à l’ISCOM.
A l’instar de TikTok, la plateforme vidéo a profité de l’année 2020 pour prendre de l’envergure en France et sortir de la catégorie “réseau social de niche” à laquelle il appartenait. Médiamétrie estime qu’il y a près d’1 million de Français qui se rendent chaque jour sur Twitch, contre 19 millions sur YouTube, 13 millions sur Instagram et 5 millions sur TikTok.
Si techniquement parlant, Twitch n’est pas différent de YouTube Live ou de Facebook Live (un utilisateur diffuse du contenu vidéo en direct sur sa chaîne / page / mur, un chat permet aux autres utilisateurs de réagir et commenter), c’est la singularité des usages de sa communauté d’utilisateurs qui rend la plateforme si spéciale et explique pourquoi Amazon a dépensé environ un milliard de dollars en 2014 pour la racheter. Twitch rassemble des jeunes utilisateurs, adolescents et jeunes adultes, majoritairement des garçons à ce jour, autour de leur passion commune pour les jeux vidéo.
Le streaming de jeux vidéo (un utilisateur diffuse son écran pendant qu’il joue à un jeu) constitue la grande majorité des contenus diffusés sur Twitch. Comme sur les autres plateformes, une dizaine de créateurs de contenus (streamers) se partagent le gros de l’audience en temps réel (viewers) et leurs chaînes sont systématiquement mises à l’honneur sur l’écran d’accueil de Twitch lorsqu’elles sont actives. Mais si l’ADN de Twitch est intrinsèquement lié au gaming, ce qu’il s’y dit dépasse de très loin les jeux vidéo. Et c’est précisément ce qui intéresse les responsables politiques à l’approche d’une campagne présidentielle 2022 qui ne dit pas encore son nom.
Prendre le pouls en temps réel de la jeunesse française
Ce qu’il se passe sur Twitch permet de donner corps aux constats froids des enquêtes d’opinion. Ces enquêtes ont évidemment le mérite de livrer les grandes tendances et de documenter la façon dont la jeunesse de notre pays traverse la crise, mais contrairement à l’impression pessimiste qu’elles peuvent laisser et à leur relai par les médias traditionnels, l’image de la jeunesse que nous propose Twitch, ou plus exactement l’image de la jeunesse que nous proposent les jeunes eux-mêmes sur Twitch, est incroyablement plus subtile. Et plus optimiste.
Ces derniers mois, l’arrivée massive de nouveaux utilisateurs combinée aux efforts de Twitch pour élargir et valoriser les catégories de diffusion, sans bousculer l’ADN gaming originel de sa plateforme, a vu l’émergence de nouvelles communautés.
Pour preuve, la catégorie Discussion (Just Chatting) figure systématiquement dans le top 5 des catégories qui rassemblent le plus de jeunes viewers français, de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers selon les périodes de la journée (les pics d’audience ont généralement lieu le soir).
Le principe du Just Chatting est simple : un jeune streamer devant sa caméra partage ses moments de vie et interagit avec ses viewers dans le chat. Tous les sujets sont abordés, des plus légers aux plus graves. On peut commencer par les céréales du petit-déjeuner et terminer par les violences sexuelles.
Les diffusions de sessions de jeu en ligne, qui sont donc la base du modèle actuel de Twitch, sont également l’occasion d’aborder d’autres sujets de la vie quotidienne, sentimentale, estudiantine, professionnelle etc. La richesse de Twitch est précisément là : on se rend sur Twitch sans but précis mais avec l’envie d’être surpris, et évidemment, de passer un bon moment. Plus tard, on s’attachera à des chaînes et à leurs streamers que l’on suivra avec plus ou moins de régularité.
On rit beaucoup sur Twitch. On se fâche parfois. On rencontre de nouvelles personnes dans le chat, on sympathise le temps de la diffusion ou on poursuit en dehors de la plateforme. On se retrouve parfois sur WhatsApp, Telegram ou Discord, on se suit sur Twitter et Instagram, beaucoup plus rarement sur LinkedIn et Facebook.
Vous l’aurez compris, j’aime profondément Twitch. En tant qu’utilisateur, surtout viewer, et en tant que communicant, pour l’esprit d’innovation qui y souffle. La qualité de l’animation de certains streamers est bluffante de spontanéité : questions, sondages, débats en temps réel rythment leurs diffusions. Allez sur Twitch, suivez des streamers, prenez le temps de les écouter, de lire et pourquoi pas de participer au chat en commençant par un simple “bonjour”. Vous vous rendrez vite compte de l’incroyable convivialité de ces diffusions. Pour ceux qui s’intéressent à la vie politique, allez apprécier le travail remarquable de Jean Massiet et de sa communauté lors des sessions parlementaires. Et on ne présente plus Samuel Étienne qui a réussi l’exploit de créer un pont entre médias traditionnels et nouveaux médias.
Twitch, c’est aussi et surtout une plongée immédiate dans les codes d’une génération qui abhorre la communication descendante et accorde toute sa valeur à l’échange. Il n’y a pas de personnage central, de tribune, d’estrade sur Twitch. L’horizontalité est la norme et le streamer officie en tant qu’interface, il facilite l’échange. On est loin de la réunion publique au cours de laquelle la femme ou l’homme politique monopolise la parole, pour 30 secondes de question, 15 minutes de réponse…
Twitch, ton univers impitoyable
Pour autant, Twitch n’est pas un Eldorado pour les responsables politiques. Il s’apparenterait plutôt au Klondike, soit une ruée vers l’or semée d’embûches où les jeunes sont l’or et les codes de la communauté sont les embûches, amplifiées par le contexte d’hostilité grandissante vis-à-vis de la classe politique et de ce que nous qualifions couramment de “politique politicienne”.
Pourtant, les marques d’intérêt des jeunes pour la politique sont réelles et palpables : réchauffement climatique, préservation de l’environnement, lutte contre les discriminations de tous types, précarité des étudiants, sont autant d’enjeux de société qui les préoccupent et les mobilisent, notamment sur les réseaux sociaux. Je l’évoquais précédemment, ces sujets reviennent sans cesse dans les streams sur Twitch.
Par conséquent, tout repose sur l’approche. Pour une femme ou un homme politique, la seule posture possible sur Twitch est celle de l’humilité. Le contenu du streamer n’a de valeur que s’il est enrichi par les viewers, c’est une co-construction permanente. Il faut prendre le temps de s’imprégner des codes de la communauté et accepter que la communication se fasse dans les deux sens. Accepter que les interactions puissent être négatives et y répondre quand même, ce que beaucoup de politiques ne font plus sur les réseaux sociaux. Sans doute échaudés par Twitter et ses colonies de haters anonymes. Sans doute enfermés dans leurs boucles Telegram où ne figurent que leurs soutiens. Sans doute obnubilés par leur désir de “cranter” à tout prix auprès des journalistes.
Twitch vaut le coup, la communauté Twitch mérite qu’on s’intéresse à elle
La politique est partout sur Twitch, mais elle n’a rien à voir avec la façon dont elle est abordée dans le débat public. Elle ressemble davantage aux discussions que l’on peut avoir avec ses proches ou avec des amis d’amis que l’on vient de rencontrer lors d’une soirée.
Si pour les responsables politiques, réussir à “parler aux jeunes” relève généralement du casse-tête et que leurs tentatives suscitent au mieux de l’indifférence, au pire un rejet, j’ai la profonde intuition que Twitch peut contribuer à les rapprocher de nos jeunes concitoyens. A condition de s’engager sincèrement sur Twitch, de créer les conditions d’un véritable échange, de ne pas chercher à parler “aux” jeunes, mais de chercher à parler “avec” les jeunes. La nuance n’est pas que sémantique, elle est stratégique.