L’intelligence artificielle est à l’honneur en cette rentrée.
L’agence Gootenberg, agence conseil en gestion de réputation, publie les résultats d’un sondage exclusif mené auprès d’un échantillon de journalistes issus de l’ensemble des médias français (print, web, audiovisuel) [1] et [2]. Ce sondage explore l’état des relations du journalisme avec le monde parallèle des attaché(e)s de presse.
De son côté, le Club des Directeurs Marketing et Communication de l’IT (CMIT) à publié une infographie [3] qui nous montre que l’I.A devrait générer en 2018 une valeur globale d’1,2 trillions de dollars en 2018 À l’horizon de 2020. 30% des entreprises du b to b utiliseront l’IA pour augmenter leur processus de vente.
Culture RP a voulu connaître l’avis de 4 experts sur cette question et qui va dans un future plus ou moins proche impacter l’ensemble de notre périmètre métier.
Interview croisée avec :
– François Ramaget, Président de l’Agence Gootenberg.
– Claude Vincent, le rédacteur en chef adjoint du magazine Les Echos Week-end.
– Jean-Gabriel Ganascia, Professeur d’informatique à Sorbonne Université, chercheur en intelligence artificielle au Laboratoire Informatique de Paris 6 Lip6, président du comité d’éthique du CNRS.
– Jean-Denis Garo, Président CMIT Club des directeurs marketing & communication IT et Directeur Marketing Southern Europe de Mitel.
80% des journalistes estiment-ils que le métier d’attaché(e) de presse ne sera pas impacté par l’Intelligence Artificielle dans les 3 ans – et moins d’un sur 5 (19%) anticipe leur disparition d’ici à 10 ans. Qu’en pensez-vous ?
François Ramaget : Ces résultats sont tirés d’une enquête que nous avons menée pour anticiper l’évolution probable de notre métier des RP. Une étude récente nous avait appris que 3 Français sur 4 s’attendent d’ici 2030 à un impact de la digitalisation sur leur travail.
Aussi, devait-on s’inquiéter pour une profession comme la nôtre, très utilisatrice d’outils informatiques ?
La bonne nouvelle, c’est que, dans l’opinion des journalistes, le métier des RP va certes bouger mais il ne peut pas être balayé par l’irruption de solutions automatiques. Ceci confirme ce que nous observons au quotidien : la nécessité d’introduire davantage de technologie dans notre pratique, mais aussi de maintenir la relation de confiance entre journalistes et attaché(e)s de presse, qui demeure la base de notre métier.
Cette relation de confiance se fonde sur l’intelligence émotionnelle et la culture de l’actualité. Ce sont des qualités difficilement reproductibles par les machines. À titre d’exemple, un attaché de presse pourra nouer une conversation professionnelle avec un journaliste en évoquant un souvenir commun ou le dernier remaniement ministériel. Il y a peu de chance qu’un algorithme réussisse un jour prochain à reproduire la convivialité de cet échange.
Claude Vincent : Impact de l’IA, la vraie : à trois ans, comme visiblement 8 confrères sur 10, je n’y crois pas trop non plus.
Pour l’instant, on constate avant tout une utilisation croissante des outils numériques. Parfois immodérée, inconséquente et dommageable : plateformes expédiant (spammant) à la volée le même communiqué formaté qui se transforment en repoussoir, agences multipliant les relances mail ou ne ciblant pas assez les journalistes (envois à toute une rédaction au risque de créer des interférences de mauvais aloi). Outils qui, cependant peuvent être très utiles quand la communication est bien comprise et bien rodée. Ce qui passe par l’humain avant tout.
Ce qui me fait penser que non, les attaché(e)s de presse ne vont pas disparaitre mais devront (comme les journalistes !) s’adapter et maitriser intelligemment ces nouveaux outils de contact. Mais l’intelligence humaine pourra également s’appuyer sur l’intelligence artificielle, elle aussi un bel outil potentiel pour aider à une analyse fine, ciblée, des acteurs, de leurs besoins et de leur mobilité : qui fait quoi, où, quand, pour qui, comment, etc.… Ce qui est le sel de nos métiers.
Jean-Gabriel Ganascia : Cela dépend de ce que l’on entend par « impacté ». Il semble évident que le numérique change beaucoup de chose dans l’accès à l’information. Le métier d’attaché de presse devra en tenir compte. À titre d’illustration, l’audience des médias va être mesurée avec beaucoup plus de précision grâce entre autre à des techniques d’apprentissage machine, ce qui signifie qu’il faudra prendre en considération ces données dans les stratégies à adopter. Les attaché(e)s de presse devront donc se familiariser avec l’emploi de nouveaux outils dans les années qui viennent. Bref, ils devront acquérir de nouvelles compétences. Leur métier pourrait donc évoluer. Cela ne signifie pas, pour autant, que leurs emplois seront remis en cause.
Jean-Denis Garo : L’Intelligence Artificielle impactera indubitablement le métier d’attaché(e) de presse comme de nombreux autres métiers. Mais cela n’annonce pas la fin de ce métier, juste une nouvelle transformation. L’IA va certainement influencer la manière de sélectionner, hiérarchiser, contextualiser l’information, voire automatiser certaines tâches. Pourtant l’attaché(e) de presse reste un médiateur.
Sa valeur est dans le relationnel, une qualité que l’IA ne remplacera pas à court terme.
Comment est perçue la valeur de l’exercice du métier de l’attaché(e) de presse aujourd’hui ? Un partenaire utile et compétent ou autre ?
François Ramaget : L’étude Gootenberg montre que la pratique des RP est largement perçue comme un apport de valeur pour l’exercice du métier de journaliste. Ainsi 80% d’entre eux jugent les attachés de presse comme des interlocuteurs utiles, dont 30% très utiles. Et 77% estiment que les attaché(e)s de presse ont une bonne connaissance des marques qu’ils (elles) représentent.
En tant que professionnel des RP, ce constat me fait évidemment très plaisir. Il confirme que notre métier est perçu comme un partenariat au service de l’information.
Claude Vincent : A priori, l’attaché(e) de presse reste un partenaire utile et compétent, indépendamment de la technique, dès lors que cette notion de partenariat est vécue par les deux parties dans un bon esprit et dans le respect mutuel.
Selon vous à l’heure de l’IA, faut-il s’attendre à une révolution de la transmission de l’information vers les rédactions ?
François Ramaget : Même avec l’arrivée de l’IA, les journalistes n’imaginent pas un bouleversement dans les méthodes de transmission de l’information. Ce sont toujours le communiqué de presse – pour 94% d’entre eux – et l’appel téléphonique – pour 58% – qui sont les canaux favoris. Mais l’IA pourra permettre d’améliorer le ciblage de l’information.
La méthode d’arrosage de toute une rédaction avec une même information appartiendra de plus en plus au passé : nous pratiquons déjà un ciblage fin avec les plateformes de veille médias et digitales. Mais on pourra sans doute développer des solutions plus sophistiquées et en temps réel, couvrant notamment l’audiovisuel qui est encore le parent pauvre de la surveillance des médias.
Claude Vincent : Evolution plus que révolution, comme on dit. Dès lors qu’on parle de « rédactions », avec de vrais rédacteurs, dans de vrais journaux. Reste qu’une partie de l’information ne manquera pas d’être « robotisée » par l’IA, échappant à la fois aux journalistes et aux attaché(e)s de presse.
Jean-Gabriel Ganascia : C’est déjà le cas aujourd’hui.
Les canaux traditionnels de transmission de l’information paraissent très différents de ceux qui existaient auparavant. En effet, n’importe qui, dans la rue, peut être témoin d’un événement et le transmettre directement, par son téléphone, avec des sons ou des vidéos, à des journalistes qui pourront ensuite enquêter. Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui est le véhicule de ces transformations, mais l’ensemble des technologies de captation et de communication de l’information. Le corolaire, c’est que la transmission massive d’informations de tous ordres suscite de enjeux de pouvoir nouveaux. Là où l’information était centralisée, il s’agissait de s’assurer que les informations diffusées correspondaient à la pensée dominante.
Aujourd’hui il en va autrement : les grandes sociétés récupèrent l’information pour savoir ce que l’on pense, afin de stimuler nos désirs.
Jean-Denis Garo : Il est souvent reproché à l’IA, qui pilote les robots et automatise les services, de remplacer l’humain. Il n’est pas ici question de remplacer l’humain, d’autant plus que les utilisateurs des services préfèrent encore les êtres humains à l’automatisation. Toutefois le maintien du contact humain ne signifie pas que l’IA ne devrait pas être utilisée pour rendre la vie des agences de RP beaucoup plus facile, de les rendre plus efficaces et efficientes. En automatisant les tâches de routine, par exemple. En corrigeant automatiquement les erreurs. En transmettant et en anticipant les demandes en temps réel. Ou encore en s’étendant vers des options porteuses de valeur comme la relation avec les journalistes.
L’IA amplifie ainsi le potentiel de l’attaché de presse, sans pour autant le remplacer.
67% des marketeurs veulent plus d’IA ces 12 prochains mois, quels sont les enjeux dans votre secteur d’activité et les promesses business possible ?
François Ramaget : L’heure de l’IA a sans doute sonné pour les métiers du marketing et du service client. Car on peut automatiser des opérations bien normées comme le ciblage publicitaire ou la gestion d’appels thématiques.
Mais, pour les relations publiques, les relations avec les journalistes ou influenceurs, l’IA ne pourra pas substituer à l’humain. Tout comme les sites de rencontres : Ils ont modifié les relations amoureuses en facilitant la reconnaissance des affinités, mais ils ne peuvent pas remplacer pas l’interaction des individus.
Aussi je ne vois pas de révolution à l’horizon en termes de pratique : nous devons toujours nous concentrer sur la compréhension des secteurs de nos clients et qualité de la relation avec nos partenaires journalistes, ce sont des missions qui reposent d’abord sur la compétence des femmes et des hommes. Mais en termes de business model, on pourra sans doute mieux quantifier, voire anticiper, les résultats. Et a rémunération variable des RP pourrait alors progresser fortement sur le moyen terme.
Jean-Gabriel Ganascia : Étant universitaire, mon secteur d’activité n’a pas d’enjeux immédiats de ce point de vue. Toutefois, de façon plus générale et conceptuelle, je crois pouvoir affirmer que le ciblage des messages publicitaires, à partir des traces d’usages, en améliore considérablement l’efficacité. Or, les techniques qui exploitent ces traces se fondent aujourd’hui sur le recours à l’intelligence artificielle et, plus précisément, à l’apprentissage machine.
Jean-Denis Garo : Entre ceux qui prédisent la fin du marketing ou le remplacement du directeur marketing par un algorithme, et ceux qui y voient une formidable opportunité de développement, le débat fait rage. Selon Forrester – Sizmek (The next Wave of Digital Marketing is Predictive 2017) 67% des directeurs et responsables marketing envisagent d’utiliser davantage l’IA au cours des 12 prochains mois. Le marketeur a ainsi bien intégré l’importance que l’IA apportera à ses projets opérationnels. Parallèlement l’importance stratégique du marketing est croissante, en particulier dans son approche de la gestion des données de l’entreprise. Avec l’IA c’est la fin annoncée du marketeur généraliste. C’est aussi l’émergence de nouveaux métiers ultra spécialisés : responsable du contenu (content manager), responsable de l’analyse des données (data scientist), ou de la stratégie mobile etc. Des métiers pour lesquels la maîtrise des données, la connaissance fine de l’expérience utilisateur est cruciale.
L’IA est surtout un marqueur d’accélération de l’automatisation des métiers du marketing. Quel avenir pour l’influence, l’engagement sur les médias sociaux ?
François Ramaget : Là aussi, il y aura fatalement plus de technique. On progressera sans doute dans l’analyse de sentiment et on affinera les stratégies avec des outils de benchmark. Mais, au bout de la route, la décision de répondre, ou non, à une attaque sur Facebook restera une décision humaine.
Jean-Gabriel Ganascia : Indubitablement, les médias sociaux deviennent des espaces semi-publics où beaucoup échangent. De nouvelles formes de sociabilité s’y constituent. De ce fait, ce sont très certainement des lieux d’influence. Cependant, comme ces lieux ne sont que partiellement publics, l’on s’adresse à des communautés précises, sensibles à certains thèmes, ce qui permet de mieux cibler ses messages et de définir des stratégies visant à stimuler des publics spécifiques et à les conforter dans leurs convictions. Les « infox » (ce que les américains appellent les fake news) trouvent ici un terrain de prédilection pour se propager.
Jean-Denis Garo : L’IA va permettre de détecter plus finement les communautés d’intérêts, c’est la première étape vers le ciblage des audiences. De nombreux outils de social listening supportent cette stratégie. L’idée est ensuite de comprendre les interdépendances : Norbert Elias (Engagement et distanciation : contribution à la sociologie de la connaissance, Fayard, 1993) refuse ainsi l’alternative entre individualisme wébérien et holisme durkheimien.
L’individu dépend des autres individus.
L’acte isolé, individualiste est vain. La compréhension des interdépendances alimentera notamment la stratégie d’influence. Mais les outils actuels ne permettent pas l’identification de tous les signaux faibles. Il faut aller au-delà des « actions visibles » en intégrant l’écoute des espaces de discussions privés, comme les espaces de message privés Twitter ou LinkedIn. Et pour ce faire, il faut s’engager : être humain. L’important c’est l’hybridation bot/humain. Un bot ne doit pas avancer masqué, ni se faire passer pour un humain. La défiance des audiences augmentant à mesure que le bot cherche à devenir plus humain (Research Gate – Aleksandra Przegalinska et al. (MIT)- In the Shades of the Uncanny Valley : An Experimental Study of Huamn-Chatbot interaction. 2018).
Comme l’analyse des données en son temps, l’IA peut contribuer à une personnalisation et une efficacité accrues des transactions et des interactions avec les clients, les influenceurs, les experts, les journalistes. Un sujet majeur pour le marketing ! Selon vous quelles orientations digitales l’I.A devrait-il prendre ? Et quel avenir pour l’influence, l’engagement sur les médias sociaux ?
François Ramaget : Automatiser les relations publiques, que ce soit les relations presse, les relations influenceurs ou le community management, c’est comme automatiser l’éducation, la médecine ou le conseil juridique : ce sont des rêves pour après-demain …
L’IA facilite tous ces métiers, elle permettra bien sûr d’améliorer la personnalisation des contenus – et de mieux mesurer la performance. Mais l’expertise des professionnels reste largement indispensable.
Au final, l’IA ne remplacera pas les attaché(e)s de presse avant qu’il n’y ait des robots maitres d’école, médecins ou avocats.
Jean-Gabriel Ganascia : L’intelligence artificielle peut exploiter toutes les données d’usage pour contribuer à ce qu’il est convenu d’appeler le « profilage », c’est-à-dire la catégorisation psychologique des clients. Ensuite, elle peut mettre en rapport les profils types et des « produits », qu’il s’agissent des influenceurs, des experts ou des journalistes dont l’expérience montre qu’ils ont un impact sur tel ou tel profil. Tout cela doit aider à la personnalisation des interactions en anticipant sur les réactions à tel ou tel contenu.
Jean-Denis Garo : L’objectif est très clairement d’offrir aux clients, influenceurs, journalistes, etc.… une expérience améliorée afin qu’ils obtiennent des informations plus rapidement et plus pertinentes. Pour cela, plusieurs technologies d’IA peuvent être associées. A commencer par le traitement du langage naturel (NLP ou Natural Language Processing) qui transforme l’agent virtuel en correspondant efficace, éventuellement capable de reconnaitre et traduire plusieurs langues. Le traitement du langage naturel s’accompagne également de l’analyse des sentiments cognitifs pour qualifier l’état d’être du client. Vient également l’apprentissage automatique, ou machine learning, une approche avancée de l’IA qui consiste à analyser les données de l’entreprise et de ses clients afin de trouver et d’automatiser les réponses. En particulier par l’observation permanente des échanges afin de les intégrer dans le traitement automatique des questions des clients et d’enrichir les réponses. Par le biais de l’IA, selon le rapport « The Forrester New Wave: Conversational Computing Platforms »[4], le taux de réussite des interactions de bots devrait atteindre 90 % d’ici 2022.
Marc Michiels, Rédacteur en Chef.
[1] https://www.linkedin.com/pulse/un-journaliste-sur-5-anticipe-la-disparition-des-de-presse-ramaget/
[2] Etude Harris Interactive pour Julhiet Sterwen (Mai 2018).
[3] Infographie: Intelligence Artificielle & Marketing – CMIT (Septembre 2018)
[4] The Forrester New Wave: Conversational Computing Platforms (Avril 2018).
Etude en relation :