Lancée en 2009, Africa 24 avait pour but de concurrencer sur le continent africain les chaînes internationales d’information en continu telles que CNN, BBC World News, France 24 et Al-Jazeera. 5 ans après, la chaîne a fait du chemin et se présente aujourd’hui comme la première chaîne mondiale d’information sur l’Afrique en mettant en avant son ancrage local ainsi que sa capacité à mieux parler de l’Afrique que ses prestigieuses concurrentes.
Constant Nemale, son fondateur, a bien voulu répondre à nos questions afin que l’on en sache un peu plus sur cette autre chaîne d’information internationale francophone.
Africa 24 fête cette année ses 5 ans d’existence. Pouvez-vous revenir sur les buts initiaux de la chaîne et sur le contexte de l’époque ?
Africa 24 est née dans la seule optique de révolutionner la vision de l’Afrique par les africains mais aussi celle du monde sur l’Afrique.Il y a cinq ans, aucune chaîne ne couvrait l’actualité africaine 24H/24.
Seule la chaîne panafricaine 3A TELESUD essayait tant bien que mal d’offrir des informations régulières sur l’Afrique. Pour les chaînes internationales du type CNN, BBC ou France 24, seule une information stéréotypée sur l’Afrique pouvait avoir du sens. Donc on parlait des catastrophes en tout genre et les problèmes du continent étaient stigmatisés. Une information négative qui trouvait, en outre, son écho dans une certaine opinion publique.
Et aujourd’hui comment se situe Africa 24 au sein du paysage audiovisuel du continent ?
Tout le monde vous le dira, Africa 24 a révolutionné le regard sur l’Afrique. Et cela en se positionnant comme un média majeur et leader qui montre l’Afrique dans toutes ses dimensions. Nous mettons en avant de nombreux éléments comme ses réussites, ses échecs, sa diversité d’opinion tout en mettant l’accent sur son potentiel illimité en termes de créativité et de développement. De ce point de vue, c’est un succès. Un succès qui se traduit par des résultats d’audience qui font de notre chaîne de télévision, la Première chaîne d’information mondiale sur l’Afrique. C’est la chaîne la plus regardée dans son bassin linguistique alors que les études TNS SOFRES et SYNNOVATE réalisées en 2010 en font la première chaîne en langue française d’Afrique devant France 24 ou TV5.
Les médias africains en général ne couvrent-t-ils pas l’actualité du continent dans sa globalité ? Quelle en sont les principales raisons selon vous ?
Les médias africains spécialistes de la couverture de l’ensemble des informations du continent ne sont pas légion. Nous sommes à ce stade les seuls. Les médias nationaux regardent d’abord l’actualité-ce qui est normal-avec un prisme local. La production d’une information panafricaine coute cher et demande le déploiement d’une force de production importante dans les 54 pays du continent. Les médias ont recours à des agences, le plus souvent hors continent comme Reuters ou Associated Press. En fait, il manque de véritables agences locales et nationales pour donner une dimension panafricaine. Les agences africaines qui existent comme Panapress ou APA, sont très volontaristes mais ne disposent pas de moyens à la dimension de cette ambition continentale. Il faut une véritable politique d’investissement et d’innovation pour développer une politique de production de news à la dimension du continent africain.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la ligne éditoriale de la chaîne et l’organisation de sa rédaction ?
La ligne éditoriale de la chaîne Africa 24 propose un regard constructif sur l’Afrique. Valoriser ce qui va bien, et trouver des axes et pistes de réflexion pour améliorer ce qui ne va pas. Nous évitons le sensationnalisme et la propagande. Nous sommes viscéralement attachés à la diversité des opinions, avec un faible pour donner plus de temps de parole à ceux qui ne sont pas au pouvoir afin de valoriser la contradiction. Nous évitons les propos injurieux, diffamatoires ou des attaques personnelles. L’organisation de la rédaction a diamétralement évolué. A notre création en 2009, l’ensemble de la rédaction était basé au siège. Depuis 3 ans, nous avons entamé une phase de formation de jeunes africains avec un véritable plan d’implantation en Afrique. Nous avons une filiale news et production à Dakar au Sénégal qui gère nos 30 correspondants sur le continent et produit 90% des news de la chaîne. Notre ancrage local et le contrôle total de notre chaîne de production fait notre originalité.
En quoi Africa 24 véhicule-t-il un regard original et différent concernant l’actualité de son continent ?
Nous véhiculons une autre vision de l’Afrique car ce que nous montrons au quotidien, aucune chaîne internationale ou africaine ne le montre. C’est ce qui fait notre force. Nous sommes une signature originale car tous les segments de l’Afrique sont présents en force sur cette antenne. L’information, le développement économique, la créativité artistique, la dynamique sociale et le rayonnement de la jeunesse dans l’innovation et la stimulation. Ce sont tous ces ingrédients qui donnent un ton, une force et une originalité à Africa 24. Notre caractéristique est dans notre signature éditoriale : les infos d’Afrique pour le monde et les infos du monde pour l’Afrique.
Êtes-vous uniquement présents en Afrique francophone ?
Nous sommes physiquement présents dans 20 pays avec des journalistes internes à notre groupe. Nous avons la modestie de penser qu’à l’horizon 2020, nous seront présents dans l’ensemble des pays du continent. La force de notre réseau est une intégration complète de nos journalistes. Nous sommes aujourd’hui plus présents dans les pays francophones, toutefois nous visons une implantation progressive dans les pays anglophones et les arabophones du continent.
Pouvez-vous nous donner quelques éléments contextuels concernant l’équilibre ou le rapport de force entre les chaînes anglophones et francophones du continent ?
Nous diffusons en Français et sommes leaders devant toutes les chaînes francophones nationales ou internationales qui diffusent en Afrique. Nous avons pour ambition de diffuser en anglais, arabe, espagnol et portugais. La domination des chaînes anglophones est réelle dans le bassin linguistique anglophone. CNN, BBC, sont des leaders au Nigéria, Kenya, en Afrique du sud, etc…mais nous n’avons aucun doute sur le fait que nous allons réussir à rogner sur cette domination avec notre version anglaise.
Peux-t-on parler d’une lutte d’influence ? Le Français est-il assez présent en Afrique aujourd’hui en face de l’anglais ?
Oui il y a une lutte d’influence, mais contrairement à ce que vous pensez elle n’est pas linguistique, elle est stratégique. L’africain doit-il se tourner vers les médias africains pour mieux comprendre son continent ? Nous pensons que oui. On souhaite que l’Africain, puisse regarder Africa 24 pour comprendre et mieux connaître l’Afrique par rapport à la lecture que peuvent faire CNN, BBC, CCTV, ou Al Jazeera. Notre large domination dans le bassin linguistique francophone, montre que nous sommes sur la bonne voie.
Vous étiez récemment invité à l’occasion d’une réunion sur la francophonie à Montreal. Quel a été, en quelques mots, votre contribution au débat sur l’avenir des médias francophones ?
Les médias francophones ont perdu la bataille de la technologie et de l’innovation. Le défi du monde francophone désormais est d’effectuer un véritable travail sur la mutualisation et l’innovation dans les contenus. Il faut aussi comprendre que le monde francophone est très inégal, la coopération entre les médias est inexistante et la soi-disant influence de la France est en totale perte de vitesse en Afrique. Donc le leadership Francophone appartient en fait aux africains.
Prenons un sujet d’actualité. Quel regard différent avez-vous apporté concernant la couverture médiatique de l’épidémie Ebola ?
Sur Ebola nous avons d’abord été didactiques et évolutif. On a montré aux gens comment se soigner, prendre des précautions pour circonscrire la maladie. Nous n’avons pas traité ce sujet dans l’émotion et le décompte macabre des morts comme l’ont fait les médias internationaux qui ont jeté, une nouvelle fois, une véritable opprobre et une stigmatisation sur l’Afrique tout en poussant à la panique leurs populations. Ce fut un vrai délire de la part de ces médias loin de toute approche déontologique. C’est à peine s’ils ne venaient pas filmer des morts en direct.
Parlons d’avenir, quels sont les objectifs de la chaîne à court et à plus long terme ?
AFRICA 24 a plusieurs objectifs. D’abord, sur le plan financier, consolider notre développement en réalisant un appel à de nouveaux partenaires financiers et à un partenaire stratégique de référence. Nous souhaitons lever entre 50 et 100 millions d’euros pour notre développement. Sur le plan stratégique nous sommes dans une niche de marché à 300 milliards d’euros sur les dix prochaines années.
Nous souhaitons ensuite nous développer sur trois segments différents. Le premier est linguistique et nous voulons développer l’usage de l’anglais, de l’arabe, de l’espagnol, du portugais et des langues africaines à grand bassin linguistique (swahili, haoussa, wolof, lingala, etc.…). Le second segment est thématique puisque nous voulons parler plus de sports, de fashion music, de culture et de divertissement. Et finalement, le troisième segment est le développement de notre présence sur le plan local avec des déclinaisons par pays.
Notre stratégie sur les 10 prochaines années est de devenir le média de référence de l’ensemble du continent Africain. Avec un investissement sur les dix ans de 300 millions de dollars nous souhaitons devenir le groupe média de référence en Afrique pour les 50 prochaines années à l’égal de ce que sont des médias comme Fox, Canal Plus ou la BBC.
Propos recueillis par Alexander Paull