Culture RP a rencontré Adrian Dearnell, journaliste économique et financier franco-américain, fondateur et président de la société EuroBusiness Media, spécialisée dans la production d’interviews vidéo de PDG de grands groupes, tels que BNP Paribas, Orange, Sanofi, Air Liquide, Total ou Publicis Groupe. Il passe une bonne partie de son temps à former des dirigeants au média training. Les éditions Eyrolles publieront à la fin de l’année 2014 son livre inédit sur le sujet, une première en France.
Vous avez été Président de l’Association de la Presse Anglo-Américaine de Paris et journaliste chez Bloomberg TV, que gardez-vous de ces expériences?
Travailler comme journaliste au cœur même du système médiatique et télévisuel international m’a apporté toute la connaissance et l’expérience qui sont aujourd’hui des atouts indispensables pour le succès d’EuroBusiness Media, la société que j’ai créée tout de suite après avoir quitté l’antenne de Bloomberg TV en 2002. Comment expliquer l’univers médiatique aux clients si l’on n’en a pas été un acteur direct soi-même ?
Mon expérience de dix années dans les médias m’a permis de créer la société en m’appuyant sur un track record d’environ 3 000 interviews télévisées de dirigeants conduites moi-même durant cette période.
A partir de quel constat formel avez-vous décidé de créer votre agence?
Je l’ai souvent vu de près : le jour où un journaliste demande à un patron de s’exprimer à la télé au nom de son entreprise, il n’est, en général, pas préparé à cela ! Une formation au média training est indispensable pour enclencher une dynamique vertueuse de communication dans les médias. Ici par exemple, vous verrez comment la directrice des relations clientèles de la Royal Bank of Scotland, Susan Allen, parvient à rasséréner les clients en martelant un seul message de confiance : « appelez-nous, nous allons vous aider ».
Il est frappant de voir ici que l’interview avec un journaliste est systématiquement perçue par les PDG comme une épreuve de force, un interrogatoire, bref un mauvais moment à passer avec des journalistes forcément piégeurs et vicieux. Dans cette vidéo ici, Tony Hayward, CEO de BP, réagit à la télé après le désastre de la marée noire dans le Golf du Mexique : il a l’air vraiment mal à l’aise et il semble passer complétement à côté de l’opportunité que lui offre l’interview d’envoyer un message rassurant, positif :
J’essaie d’inverser ces « a priori » en affirmant que l’interviewé n’est pas une « victime » mais un « expert », que l’entretien est une collaboration, un échange, pas un une séance de torture. Mais pour affirmer cela, quoi de mieux qu’un ancien journaliste anglophone pour préparer les PDG à la communication dans les médias internationaux ?
En tant que journaliste économique et financier bilingue, vous êtes sollicité régulièrement pour faire des média-trainings avec des PDG de grandes sociétés sur la bonne « posture » à adopter pour ne pas « être poussé par le journaliste comme sur un terrain de football ». Pouvez-vous nous donner quelques exemples de bonnes pratiques mais aussi des cas mal gérés d’une communication d’entreprise?
En effet, l’image du terrain de football permet de bien illustrer une situation d’entretien journalistique. Le terrain représente le champ de votre message, avec des lignes de touche qui tracent les limites de ce que vous voulez dire. La balle représente les questions et les réponses que l’on s’échange. Bien communiquer c’est appliquer une stratégie de jeu qu’on a élaborée, en amont en jouant sur un terrain qu’on a délimité. C’est savoir renvoyer la balle au centre pour ne pas se faire déborder ou acculer dans des situations inextricables, la ligne de touche qu’il ne faut pas dépasser.
Dans cette vidéo ici, on voit bien qu’en dépit des tentatives du journaliste de déstabiliser le PDG de Nokia, Stephen Elop, il occupe le terrain sans faux pas, en gardant une hauteur et une distance, et en recentrant les questions épineuses, en revenant sur ses messages clefs:
En revanche ici, la situation est bien plus délicate: Frederic Mishkin, gouverneur du Federal Reserve System, est enferré dans ses contradictions et ses doutes, le journaliste a pris le dessus et la tendance de l’entretien semble irréversible. Généralement, ce genre de posture découle d’un manque de préparation et d’entraînement:
Du point de vue de l’e-réputation, que signifie pour une marque ou un PDG, une mauvaise prestation lors d’une Interview avec un journaliste?
Une mauvaise prestation médiatisée est un drame pour une marque, une entreprise ou un PDG. Nos sociétés produisent de l’information en continu à toute vitesse : internet en est l’exemple le plus pertinent et le plus contemporain. A cela, s’ajoute le fait que les choses restent sur la toile : une bonne mais aussi une mauvaise prestation. Le droit à l’oubli est loin d’être une réalité sur le net. A l’heure actuelle, rater une interview avec la presse pourrait quasiment être assimilé à une faute professionnelle ! Un couac de 5 secondes à la télé peut avoir des retombées négatives pendant un an grâce à Google et YouTube. Encore une fois, pour ne pas rater son interview – les occasions peuvent être rares – il est impératif de s’entraîner.
Quels sont alors les trois axes fondamentaux d’une communication active lors d’une Interview télévisuelle? Que doit retenir le téléspectateur d’une interview réussie du point de vue de l’interviewé?
Je dirais que les trois axes d’une communication active et réussie sont les suivants :
- Tout d’abord la préparation : stratégie, messages clés, exemples et illustrations, contexte etc. Il s’agit certes d’une étape en amont, mais la préparation est décisive pour réussir l’interview.
- Ensuite il y a la capacité à être audible auprès du journaliste : transformer son message en « information » comestible pour un journaliste, ajuster ce que l’on a à dire en fonction de ce que le journaliste attend pour son public, en trouvant une accroche forte. Se méfier de messages clés à caractère trop publicitaire.
- Enfin, l’attitude générale compte énormément : posture, tonalité de la voix, attitude positive, passion pour ce que l’on transmet, regard etc.
Ce qu’un téléspectateur ou lecteur doit retenir, si on se place du point de vue de l’interviewé, doit idéalement correspondre à ce que l’interviewé espère faire passer au public. Rien de plus, rien de moins si la prestation est réussie. Concrètement, le téléspectateur doit repartir avec deux ou trois messages clés formulés de telle sorte que les gens s’en souviennent, on appelle cela l’art du « soundbite ».
Et quelles sont les différentes approches d’Interviews entre la culture Anglo-saxonne et la culture française?
Il y a avant tout une différence culturelle majeure entre les traditions du discours oral en France et dans les pays anglo-saxons. On peut dire que le français est plus cérébral quand l’anglo-saxon est davantage pragmatique ; René Descartes versus John Locke pour faire vite.
J’aime bien également l’image du marteau et de l’entonnoir. Les anglo-saxons procèdent par répétition ou martèlement d’une idée, alors que la culture française est plus précautionneuse et arrive à l’idée centrale après un développement télescopique du plus large au plus resserré.
Chez EuroBusiness Media, notre double culture franco-américaine est un véritable atout et un enrichissement partagé par les clients.
Pourquoi devrions-nous tous être formés au média-training?
Ce qui me frappe c’est la hausse de la médiatisation des PDG : de plus en plus d’entre eux peuvent se trouver exposés aux médias. Or que ce soit en temps normal ou en temps de crise, il faut être capable de s’adresser professionnellement aux journalistes qui viendront vous interroger. Malheureusement, la capacité des grands décideurs à bien communiquer avec les journalistes n’est pas proportionnelle à leur exposition grandissante. C’est là encore un décalage sur lequel s’appuie EuroBusiness Media pour former et préparer ces dirigeants internationaux.