Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron prend la parole, « nous sommes en guerre » déclare-t-il en annonçant le premier confinement français. Les déplacements sont strictement restreints, le mot d’ordre est « Restez chez vous ». La sidération s’empare alors des habitants de l’Hexagone et des médias. Comme illustré dans l’article « Covid-19 : épidémie médiatique et public sous tension » l’épidémie exerce une pression médiatique sans précédent sur les capacités attentionnelles des publics.
La médiatisation de la Covid-19
Au premier jour du confinement, il y eu 335 articles publiés sur ce sujet dans la presse quotidienne nationale sur un total de 568 publications, soit un taux d’occupation médiatique de 59%. Un an et trois confinements après, force est de constater que l’attention des médias pour la Covid-19 est toujours de nature exceptionnelle. A l’occasion de l’anniversaire des événements de mai 68 – dont le slogan « il est interdit, d’interdire » résonne particulièrement dans notre actualité – comparons la médiatisation hors norme de la crise actuelle à celle d’autres événements historiques de grande ampleur : maladies, guerres, mouvements sociaux, élections présidentielles …
Une première approche consiste à comparer la médiatisation de la Covid-19 avec celle de l’émergence des épidémies les plus médiatisées depuis la fin de la 2nde guerre mondiale. A noter que le Sida n’a pas été pris en compte car lors de son apparition en 1981, son % de médiatisation mensuelle est trop faible (0,2%).
Le volume médiatique accordé à la Covid-19 surpasse de très loin toutes les autres maladies étudiées. Avec un taux de pression moyen de 37% sur une année et un pic de médiatisation à près de 61%, la Covid-19 ne trouve pas d’égal.
Les grands évènements de société vus par la presse
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Le pic de la médiatisation
Comparons maintenant la Covid-19 avec les principaux événements historiques qui ont marqué les médias. Cette seconde approche met évidence la semaine au cours de laquelle l’événement a atteint son pic de médiatisation.
Le taux de pression médiatique de la Covid-19 atteint son maximum lors de la troisième semaine du confinement de mars 2020 avec 68% de médiatisation (soit près de 7 articles sur 10 de presse quotidienne nationale évoquent le sujet). Ce pic dépasse de peu le record absolu des événements de mai 68 qui occupaient 67% de la médiatisation lors de la 2èmesemaine de grève générale.
En second plan, deux catégories d’événements se distinguent par leur médiatisation intense : les attentats et les élections présidentielles. Les attentats de Paris de novembre 2015 ont occupé 41% de l’espace médiatique, soit 10 points de plus que les attentats du 11 septembre. Quant aux élections présidentielles, l’élection de Mitterrand de 1988 détient le record devant Macron avec un taux de d’occupation médiatique de 40%.
Enfin, les guerres et conflits enregistrent une forte médiatisation. En tête, la guerre d’Algérie se soldant par la signature des accords d’Évian mobilise 30% de la médiatisation. Notons que la chute du mur de Berlin occupera « seulement » 20% des débats médiatiques la semaine suivant les événements.
Ces chiffres révèlent que la médiatisation de la Covid-19 – à l’exception notable de mai 68 – surpasse largement tous les événements étudiés.
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La durée de la médiatisation
Comparons enfin la médiatisation de la Covid-19 dans sa globalité à celle de quatre des principaux événements identifiés. Dans cette approche, les élections présidentielles et les attentats doivent s’en voir exclus. Les premiers par leur nature « anticipée » et les deuxièmes par leur caractère « ponctuel ».
Le graphique ci-dessus nous illustre la similarité entre la médiatisation de la Covid-19 et celle des événements de mai 68. Après des médiatisations déjà élevées en début de crise, celles-ci progressent rapidement et atteignent leur pic respectif, suivi d’une baisse relative des parutions.Ces deux événements ont en commun une mise à l’arrêt temporaire de la société (1erconfinement pour la Covid-19 et grève générale pour mai 68).
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La Covid-19 : un événement à part
La spécificité de la Covid-19 repose sur la durée du pic de médiatisation (supérieur à 60% sur les semaines du 1erconfinement) et sa persistance, à un niveau élevé jusqu’à aujourd’hui. Dès lors, sa médiatisation sera comparable à celle d’une guerre, elle restera stable et sera ponctuée de quelques pics épisodiques.
Si le traitement médiatique habituellement réservé à l’émergence d’épidémies dans la presse quotidienne nationale s’apparente plutôt à « un bruit de fond », le traitement de la Covid-19 y déroge complètement. Par l’intensité de son pic – qui dépasse tout ce que nous avons pu étudier – et la persistance de sa médiatisation – qui s’est maintenue à un niveau supérieur aux pics de la plupart des évènements observés – la Covid-19 bénéficie d’un traitement médiatique totalement inédit.
L’intensité de sa médiatisation va jusqu’à dépasser légèrement celle de mai-68. Si mai-68 est décrit comme une rupture fondamentale dans l’histoire de la société française, qu’en sera-t-il de la crise sanitaire actuelle ?
Étude réalisée par Auriane Adragna, Chargée d’études média chez Cision France.
Méthodologie :
Cette étude a été réalisée sur la base des archives de la Presse Quotidienne Nationale de 1945 à nos jours. Notons que les titres de presse pris en compte dans l’étude dépendent de leur date d’apparition (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, Aujourd’hui en France, L’Humanité, La Croix, La Tribune, Libération).
Après avoir identifié les grands événements qui ont marqué l’histoire des médias depuis 1945, nous avons comptabilisé le nombre total de parutions de l’événement afin de déterminer leur taux d’occupation médiatique.
Aussi appelé taux de pression, le taux d’occupation médiatique est le rapport entre le nombre de parution d’un sujet relativement au nombre total de parutions sur une période donnée.