Culture RP a rencontré Christine Buhagiar, Directrice régionale Europe de l’AFP, a été chef de projet sur EDNH.
Pour la première fois de leur histoire, l’Agence France Presse (AFP), l’agence italienne ANSA et la Deutsche Presse-Agentur (DPA) s’associent pour créer l’European Data News Hub.
Plateforme interactive de datajournalisme, ouvert à tous, au public comme aux médias offrant des contenus gratuits sur l’Union européenne tels que des sujets du quotidien en Europe : migrations, chômage, Brexit, élections, changement climatique, lutte contre le terrorisme… Les internautes seront invités à donner leur avis sur plusieurs grands dossiers européens. Les questionnaires seront gérés par Datenfreunde GmbH (OpenDataCity) qui fournira des outils de sondage et de visualisation sur les principaux thèmes abordés par EDNH.
Quel a été votre parcours, l’ADN de l’AFP et votre intérêt pour ce projet d’information médias, citoyen et Européen ?
Après m’être consacrée au texte AFP notamment comme chef de la rédaction du bureau de Londres, j’ai passé une quinzaine d’années à travailler au développement de la vidéo au sein de l’AFP. Aujourd’hui je suis en charge de la région Europe qui regroupe plus d’une quinzaine de bureaux sur le continent, de l’Irlande à la Russie, un bureau de traitement de l’actualité française à destination de l’étranger à Paris, notre service en langue allemande basé à Berlin et plusieurs desks de relecture et de vérification en français et en anglais basés à Paris.
Le data-journalisme est au cœur de notre travail d’agence. La recherche de la réalité des faits nous conduit bien souvent à étudier des statistiques, et acquérir un vrai savoir-faire dans ce domaine est élément clé dans un monde où les fausses nouvelles se multiplient. Nous devons rester une balise dans le monde de l’information et développer le data-journalisme fait partie des moyens à mettre en œuvre. Il faut quand de grands débats agitent le monde, que ce soit sur les migrants, le changement climatique ou le chômage, pouvoir produire des analyses chiffrées qui ne souffrent d’aucune contestation, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée. En ouvrant un site consacré au data-journalisme et accessible par tous gratuitement, nous espérons participer à ce « projet citoyen ».
Par ailleurs l’AFP étant la seule grande agence européenne totalement internationalisée et travaillant en six langues, il nous semblait tout naturel et logique de participer à ce défi, avec nos partenaires allemand (DPA) et italien (Ansa).
Au vu des projets existants, quelle est la raison de la création de ce site et les apports qu’il souhaite apporter au monde du journalisme et à la vision d’une Europe commune et grandissante ?
Il s’agit avant tout de disséminer le data-journalisme le plus possible dans notre salle de rédaction et celle des autres médias. En ouvrant un libre accès à l’ensemble des documents déposés sur le site, qu’il s’agisse de textes, vidéos, infographies, photos, nous espérons accroître l’intérêt de tous, médias et citoyens, pour ce mode de journalisme. Aller chercher la bonne statistique, celle qui a un sens, relier entre elles des statistiques qui vont permettre de mettre en évidence des tendances requiert beaucoup de travail et de savoir-faire. C’est ceci que nous voulons mettre à la disposition de tous. En interne, ce projet nous permet d’initier à ces techniques de plus en plus de journalistes et de renforcer notre noyau d’experts data-journalistes dans la rédaction.
Comment s’organisent, entre les différentes agences, l’éditorialisation, l’écriture des articles, les infographies, les enquêtes ?
Nous avons des réunions éditoriales téléphoniques de façon régulière et fréquente qui nous permettent de partager le travail et de choisir ensemble les thèmes traités. Il nous faut en moyenne un bon mois de travail, d’enquête, pour mettre un nouveau sujet en ligne. Nous déterminons aussi à cette occasion les questions qui seront bientôt posées aux internautes via le système de questionnaires qui est en train d’être mis en place sur le site par nos partenaires allemands. Nous demanderons leur avis aux visiteurs du site sur des questions clés. Et ces questionnaires pourront être intégrés par tous les médias sur leurs sites respectifs. Ce qui nous permettrait bien sûr d’avoir des échantillons vraiment intéressants.
Qu’est-ce que pour vous la ou les notion(s) de Data Journalisme, du fact checking et de l’Intelligence Artificiel ? Quels sont, selon vous, les bons exemples de projets innovants ?
Ce sont des réponses indispensables à un système d’information attaqué de façon de plus en plus systématique par des propagandistes. Il faut pouvoir répondre chiffres en main à de fausses affirmations. Il faut pouvoir traquer les fausses nouvelles, et présenter le résultat de ces enquêtes au public. A cet égard les derniers projets lancés par des moteurs de recherche ou réseaux sociaux qui aident financièrement de grands médias à développer le fact-checking sont évidemment intéressants. A fortiori quand on sait qu’ils sont aussi et en même temps les véhicules privilégiés utilisés par ceux qui disséminent des fausses informations….
L’EDNH a pour but d’informer et susciter le débat sur les sujets du quotidien en Europe comme le terrorisme, le Brexit, la crise des migrants ou le changement climatique. D’autres sujets viendront-ils enrichir ce socle informationnel, et si oui, à quels enjeux de société pensez-vous et pour quelles finalités induites ?
Il me semble qu’il nous faut conserver un équilibre entre les grands débats politiques, comme le Brexit, et les sujets de société. Ainsi le dernier grand dossier mis en ligne porte sur l’alimentation avec des enquêtes notamment sur le développement du bio, les œufs contaminés, etc. Quel que soit le sujet abordé, il faut de toute façon que ses implications concrètes sur la vie des gens puissent être évaluées. Ainsi, pour le Brexit, nous avons fait une grande enquête sur les citoyens européens potentiellement touchés en Grande-Bretagne et les citoyens britanniques hors du Royaume-Uni. Nous avons aussi regardé quels secteurs économiques britanniques pouvaient être affectés. Pour les migrants, nous avons regardé les arrivants nationalité par nationalité, pays d’accueil par pays d’accueil, pour établir clairement quelle était la réalité des chiffres, quels quotas avaient été fixés, s’ils avaient été remplis ou pas et pourquoi. L’idée est vraiment d’aller à fond dans toutes ces questions, de ne pas en rester aux discours politiques. De prendre aussi le temps : un mois pour mettre au point un dossier, c’est long pour un temps d’agence d’habitude très rapide. C’est une richesse pour nous de pouvoir développer ce type de travail.
Le digital a beaucoup impacté le secteur de l’information, du journalisme, de l’engagement, de la place de chacun des acteurs dans notre quotidien. Selon vous comment doit s’articuler la prise en compte des avis des citoyens dans une perspective constructive du vivre ensemble à partir de règles communes, interactive et multiculturelle ?
Sur cette question, peut-être que les questionnaires que nous allons mettre en place apporteront quelques éclairages, même s’il faudra rester extrêmement prudent avec le maniement de ces chiffres. Il ne s’agit pas de sondages construits sur la méthode des quotas mais de la simple expression d’avis des internautes dans les pays où le site sera consulté. Certains pays pourront ainsi être surreprésentés et d’autres sous-représentés en fonction de la dissémination de l’audience du site, qui existe en cinq langues (anglais, français, allemand, italien, espagnol).
La charte éditoriale garantit selon vous l’indépendance de la rédaction face aux différents lobbyistes, groupes de pressions ?
Pour nous ce projet n’a de sens que s’il est totalement indépendant éditorialement. Notre charte nous garantit cette indépendance. Aucun lobby, aucune institution européenne n’ont de droit de regard sur nos choix éditoriaux et sur notre travail. Le site est financé sur des fonds européens, mais il doit être en accord avec la charte. De la même manière que la BBC est financée sur fonds publics mais doit produire ses contenus en accord avec sa charte qui lui garantit une indépendance éditoriale totale.
C’est la clé absolue de notre crédibilité. Les contenus présents sur www.ednh.news sont d’ailleurs publiés aussi sur nos fils d’agence et répondent exactement aux mêmes critères de production et règles déontologiques que le reste de la production de l’AFP.
Biographie
Christine Buhagiar est adjointe à la Direction de la vidéo de l’AFP, basée à Londres, en charge du développement à l’international. Diplômée du CFJ et de l’Institut d’Etudes Politiques à Paris, Christine a une longue expérience dans le domaine de la vidéo. Après avoir été journaliste au desk France, au service politique puis au reportage économique, elle s’est occupée du service que l’AFP livrait à Bloomberg TV de 2000 à 2001. Elle est à Londres depuis 2010 où elle occupait auparavant la fonction de coordinatrice vidéo Europe-Afrique.