Elisa Amaru, Journaliste Web et presse écrite fonde en 2010 Le Mot et la Chose. Fort d’un contenu exigeant et de reportages exclusifs, Le Mot et la Chose a su tisser des liens étroits parmi les grands acteurs de l’édition, mais aussi de la scène artistique et culturelle internationale. En 2014, Elisa Amaru signe un livre sur les « artistes médiums » et l’art brut, coécrit avec Odile Alleguede, aux Editions Trajectoire.
Le Mot et la Chose existe depuis 4 ans. Quels sont les enseignements éditoriaux que vous tirez aujourd’hui et quelles sont vos envies, tant aux niveaux de la forme que du fond pour les années à venir ?
En 2010, je suis partie d’un constat simple : il n’y avait guère de critique littéraire sans parti-pris, objective et de qualité sur Internet. Bien sûr, les blogs de critiques amateurs pullulent. Or, leur font défaut ce qui caractérise justement la posture journalistique : l’investigation et la recherche de l’information. Aujourd’hui, 4 ans plus tard, nous avons fait nos preuves. Le Mot et la Chose est connu et respecté par les éditeurs pour ces deux critères. La teneur de nos articles, leur qualité, l’extrême variété et l’originalité de nos sujets sont aussi des points forts. Je ne transigerai pas sur cet acquis qui nous a fait et continue de nous faire faire de belles rencontres, dans l’édition et ailleurs. Récemment, Le Mot et la Chose a ouvert ses colonnes à l’art, et particulièrement à l’art contemporain. C’est une décision réfléchie de ma part, et un signal clair que notre média envoie aux acteurs de ce secteur en pleine mutation. Cet élargissement s’inscrit dans notre volonté d’ouvrir grand nos portes à la Culture et aux Arts en majuscules pour les rendre accessibles au plus grand nombre, ce que le Web permet à une échelle internationale. Enfin, poursuivant son expansion digitale et numérique, Le Mot et la Chose grandit et va passer en version site à l’automne 2014. Nous conserverons le blog sur le portail de LeMonde.fr, qui sera un satellite du site « mère », avec toute la liberté de publication que cela suppose.
Pensez-vous que le développement des blogs, des tumblr représente encore une concurrence pour le journalisme ?
Personnellement, je ne me pense pas en termes de concurrence, mais de synergie et d’échelle. Internet a changé la donne du journalisme « à la papa ». Désormais, n’importe qui peut écrire, poster sur les réseaux sociaux gratis. Pas d’échange d’argent contre papier, pas de structure, pas de hiérarchie interne, c’est simple comme bonjour avec des qualités variables et des fortunes (audience) diverses ! Cette révolution du journalisme classique a eu une conséquence : si la presse papier ne se vend plus, les rédactions ne vont pas rémunérer des gens pour écrire dedans ! Du coup, le réveil est dur pour certains, salutaire pour d’autres. L’autre point crucial, c’est que la myriade de blogs qui existe ne se phagocyte pas entre eux : les gens savent très bien faire la différence entre une info professionnelle et une info amateur. La seule chose, c’est qu’ils ne veulent plus payer pour l’avoir ! Les médias en ligne autorisent cette gratuité, cette instantanéité de nous vers le public. Aux professionnels du secteur (dont nous, journalistes) de s’organiser entre eux pour se rémunérer. Regardez ce qui se passe avec les musées de France, l’annulation de la gratuité pour tous le premier dimanche du mois (sauf en hiver). Alors que la société pousse précisément vers plus d’ouverture et de Culture pour tous…
Je crois vraiment que l’accès à l’information et à la Culture est un droit inaliénable. En tant que tel, il doit être gratuit.
Comment s’organise votre relation avec les maisons d’édition et notamment les attachés de presse ?
J’ai tissé au fil du temps des relations de confiance, parfois d’amitié, avec les attachés de presse des maisons. Au fond, nous œuvrons tous dans le même sens : atteindre l’audience la plus large possible. La qualité et l’esprit de sérieux avec lequel nous traitons leurs sorties, ça c’est la cerise sur le gâteau ! Ce qui compte pour les éditeurs, les auteurs, c’est qu’on parle de leurs livres. Et, parfois, force est de reconnaître que certains médias (papier ou Web) passent complètement à côté !…De gros éditeurs nous font confiance pour relayer leurs titres auprès du plus grand nombre. Des maisons prestigieuses, des éditeurs spécialisés dans des domaines variés. Notamment, des éditeurs de livres d’art : Diane de Selliers Editeur, Citadelles & Mazenod, Assouline, Steidl, etc. Bien comprendre le langage de ces maisons, c’est bien comprendre leurs livres. Et bien comprendre leurs livres, c’est bien en parler !
Vous collaborez avec La Cause Littéraire, comment s’organise ce partenariat ?
Notre partenariat avec La Cause Littéraire, c’est un vrai coup de cœur. Et ça fait 2 ans et demi que ça dure. Ce qui, en durée Internet, fait plutôt figure de relation durable ! L’équipe de LCL est composée de passionnés qui servent la littérature, donc aussi un peu ceux qui la font. Son Rédacteur en Chef, Léon-Marc Levy, est un homme investi dans une mission de passeur objectif de toutes les littératures. Un quotidien de la littérature n’existait pas, lui l’a fait. Je lui suis incroyablement reconnaissante d’avoir cru dans Le Mot et la Chose et de nous avoir permis de démarrer cette belle aventure commune, que j’espère encore longue et fructueuse pour nous deux. Techniquement, tous les billets à contenu littéraire de Le Mot et la Chose, nos critiques, avis, chroniques sont relayés sur le site de La Cause Littéraire. En échange, nous publions certaines de leurs critiques ou études littéraires au choix. Et, comme tout chez eux est de qualité, c’est parfois difficile pour moi de trancher !
Quelle place donnez-vous aux médias sociaux dans votre relation avec la notion d’influence ?
Ça c’est passionnant. Question e-réputation, tout était à faire. Notre équipe comprend un consultant digital et un responsable réseaux qui me donnent régulièrement des pistes, m’indiquent des directions digitales à suivre pour accroître la visibilité du blog auprès des internautes. Le Mot et la Chose est présent sur les principaux médias sociaux avec sa page dédiée : Facebook et Twitter. Nous bénéficions de la belle présence en ligne de La Cause Littéraire qui partage nos articles. L’ouverture prochaine du site va être pour nous l’occasion d’ouvrir des comptes sur d’autres réseaux sociaux axés sur l’image, l’illustration de nos contenus étant déjà particulièrement importante en renfort et soutien au texte.
Selon vous comment va se traduire le rôle du critique, du journaliste littéraire dans le champ prospectif du data ?
Nous avons franchi le Rubicon du digital. Les « anciens » le déplorent, mais il n’y aura pas de retour en arrière. C’est la sélection numérique naturelle ! Pour être journaliste demain, il ne suffira plus de savoir compiler et synthétiser de l’information. Les écoles sont d’ailleurs complètement dépassées pour former à ces nouvelles compétences la prochaine génération. Le journaliste doit désormais avoir un esprit indépendant et un cerveau de programmeur. A quoi sert d’écrire un article sans les mots-clés par lesquels le lecteur le trouvera ? Les journalistes d’avenir sont ceux qui maîtrisent leur feuille de route digitale : un peu geeks, un peu de veille, rester connectés en permanence, branchés sur les réseaux, sur les remaniements des moteurs de recherche, connaître les ad words de Google, les hashtags de Twitter, ce qui crée le buzz du moment, etc. Les fonctions et compétences requises sont si variées que j’hésite à appeler encore ça du journalisme. En tant que Rédactrice en Chef, j’ai au quotidien une multitude de casquettes, ce qui aurait était impensable dans le monde éditorial il y a 10 ans…
Avec le recul, quel est pour vous l’article ou le reportage le plus emblématique des sujets que traite Le Mot et la Chose ?
Le Mot et la Chose, c’est avant tout un esprit, une liberté de ton.
En ce sens, chaque article publié est représentatif d’un idéal de Culture. Même si ce que nous faisons (et avec qui nous le faisons) est sérieux, on ne se prend pas au sérieux pour autant… Il y a toujours un petit twist ! Mais je dois reconnaître que, en tant que journaliste, les enquêtes et interviews exclusives parues sur Le Mot et la Chose sont celles qui me rendent le plus fières.
Nous avons par exemple publié une enquête sur le sur-mesure, la Haute-Façon et l’artisanat d’art, une autre sur les nouveaux paris numériques dans le tourisme et la littérature, des interviews de créateurs, d’éditeurs, des rencontres fortes avec des photographes, des street artists ou des auteurs. Dernièrement, la parution d’une enquête sur les mutations de l’art contemporain a secoué nos lecteurs, envoyant Le Mot et la Chose sur une marche supérieure en termes d’audience et de retours publics.
Vous avez coécrit avec Odile Alleguede, aux Editions Trajectoire, un ouvrage intitulé Artiste médium. Parlez-nous des raisons littéraires de cet ouvrage et des relations qu’entretiennent les journalistes avec les maisons d’édition ?
Ma rencontre avec Odile Alleguede ne date pas d’hier. Elle est aussi journaliste, de formation scientifique, et reste la première collaboratrice à m’avoir suivie dans l’aventure qu’est Le Mot et la Chose. Je lui suis reconnaissante de cette confiance. Du reste, c’est elle qui m’a parlé de l’idée d’écrire un livre à quatre mains autour de l’art brut, de l’art fantastique et de ces artistes qui, généralement, ont fait ou font toujours preuve d’un génie que ni l’art ni la Science n’expliquent. Soit des hommes, des femmes, peintres, musiciens, écrivains que rien ne prédestinait à accomplir une activité créative, et qui s’en sont acquittés en dépit de toute logique, parfois réalisant des prouesses que seuls la magie ou le scénario d’un film fantastique autorisent de croire !
L’écriture de cet ouvrage, outre son sujet original et totalement inédit, m’est apparue évidente puisque j’écris moi-même depuis l’enfance. Et le spiritisme, les pouvoirs cachés, latents et étonnants de l’esprit, m’ont de plus toujours fascinée.
Quoi de plus logique alors que de les confronter dans un essai sur les artistes médiums ?
Sur un autre plan, être journaliste (et critique littéraire) aide naturellement dans une discussion avec un éditeur. Pas de blabla, on connaît les enjeux d’un livre, et la manière de le vendre. Je dois dire que c’est plus simple d’ « être du métier », le milieu de l’édition étant pas essence en vase clos, ce qui se fissure petit à petit, mais plus lentement que dans d’autres secteurs…
Les Editions Trajectoire, et le groupe Piktos, nous ont fait grand accueil et tout a été assez vite en fait. Pour moi, cet essai est une forme de preuve tangible de ce qu’un journaliste peut réaliser lorsqu’il décloisonne les champs de sa pensée. Pour parler de l’ « Artiste médium » qui vit en chacun…