Cutlure RP a rencontré Eric Jouvenaux, community Manager et rédacteur web du Musée d’Orsay
Eric Jouvenaux, vous êtes Community Manager et rédacteur Web au Musée d’Orsay. Comment s’organise votre journée type?
J’aurais vraiment du mal à définir une journée type, tant les tâches peuvent être différentes selon les projets en cours, les priorités du moment ou les missions ponctuelles. Mais l’une des tâches incontournables est la relation directe avec le public. Nous recevons des mails via le site Internet, nous pouvons être questionnés, interpellés sur Facebook ou Twitter, et il est très important de répondre le plus rapidement possible à ces messages.
C’est pourquoi ma journée sera de toute façon rythmée par la consultation régulière des réseaux sociaux, pour répondre si nécessaire donc, mais également pour ne pas manquer les infos qu’il serait intéressant de partager. Et, c’est une veille qui ne s’arrête jamais vraiment. Lorsque je consulte Twitter ou Facebook en dehors du travail, regarder également les comptes du musée est devenu un réflexe.
Pour le reste, le travail de rédaction – pour les pages du site ou les lettres d’infos principalement – prend beaucoup de temps, en recherches et écriture ou adaptation. Il faut ensuite intégrer les textes et les mettre en page, les illustrer. Enfin, je travaille également sur la réalisation d’applications mobiles, je coordonne les projets que le musée mène avec le Google Art Institute, je peux participer à des tournages lorsqu’ils sont destinés au web… à moi ensuite d’arriver à structurer mes journées, à ne pas être trop dispersé.
Les collections du musée d’Orsay sont riches et pluridisciplinaires : peinture, sculpture, arts décoratifs, architecture et photographie. Quelles sont, selon vous, les attentes du public à l’air du 2.0 ?
Je pense que le public attend que les musées en général profitent des possibilités offertes par le développement du numérique pour permettre l’accès à leurs collections et aux informations qui y sont associées, d’autant plus quand ces collections sont aussi riches que celles du musée d’Orsay. C’était déjà notre ambition lorsqu’est sortie la version actuelle du site en 2007. On peut y consulter la totalité du catalogue des collections (sauf les dessins), connaître chaque jour l’état de l’accrochage dans les salles, avoir accès à de très nombreuses reproductions d’oeuvres, y compris d’artistes qui ne sont pas tombés dans le domaine public, ou encore lire près d’un millier de commentaires, chiffre appelé à augmenter progressivement…
Mais malgré cette richesse de contenus, l’architecture déjà ancienne de notre site nous empêche actuellement d’intégrer certaine fonctionnalités ou usages apparus au cours des dernières années, de répondre totalement aux attentes du public. Nous travaillons déjà sur une refonte du site et les axes de réflexion sont nombreux pour que la prochaine version soit adaptée aux standard actuels : responsive design, multimédia, taille et qualité des reproductions, outils de recherches à l’intérieur des contenus, dimension participative, etc.
Comment s’articule la mise en lumière sur le site et les médias sociaux de la communication institutionnelle du musée ?
La communication classique et institutionnelle du musée trouve un formidable complément dans le développement des réseaux sociaux. Auparavant, le public devait aller chercher les informations concernant le musée : se connecter sur le site, se procurer les articles, les ouvrages parlant du musée. Dorénavant, le musée peut diffuser les informations qu’il souhaite vers le public. Nos followers, fans, amis les reçoivent directement via leurs comptes et deviennent eux-mêmes relais de communication grâce à la dimension virale des réseaux.
Evidemment, sur ces comptes, on parle des activités les plus médiatiques de l’établissement, comme les expositions, les œuvres célèbres… informations qui sont déjà largement relayées par les médias traditionnels. Mais les réseaux sociaux offrent un espace que nous n’avions pas auparavant pour mettre en valeur des activités plus « discrètes » ou bien des œuvres bien moins connues que les tableaux de Van Gogh ou Renoir. Le temps d’un post sur Facebook ou Twitter, un petit accrochage de dessins a potentiellement la même visibilité qu’une grande exposition internationale.
Enfin, avec leurs codes et leurs usages, les réseaux sociaux autorisent le musée de s’écarter parfois de son discours institutionnel, ce qui peut permettre d’abattre des frontières pour ceux qui trouvent les grandes institutions un peu intimidantes.
Le musée d’Orsay a créé un Prix en 2006, qui est attribué tous les ans à une thèse d’histoire de l’art portant principalement sur la deuxième moitié du XIXe siècle. Pouvez-vous nous expliquer les contours de cette communication ?
A mon avis, l’existence de ce prix montre bien que malgré les contraintes économiques et l’évolution des musées (un public toujours plus nombreux, une présence numérique de plus en forte), un établissement comme Orsay ne perd pas de vue ses missions premières. Parmi celles-ci, le fait d’être ouvert aux étudiants et aux chercheurs. Au-delà des salles que l’on visite, Orsay est aussi une bibliothèque, un centre de documentation, un conservatoire de l’art de la période 1848-1914. Un espace du site est d’ailleurs dédié aux chercheurs.
Pouvez-vous nous donner quelques bonnes pratiques, notamment pour assurer une cohérence des contenus sur l’ensemble de vos supports ?
Il faut avoir tout d’abord conscience que l’on ne gère pas le compte d’un musée comme on gèrerait une page personnelle. On peut essayer de surprendre, de s’écarter, comme je le disais, du discours institutionnel habituel, mais ne jamais oublier que l’on s’adresse à un public aussi large que varié, et qui ne doit pas se sentir exclu ou agressé par nos publications. Et qui ne doit pas se sentir trompé ou pris à la légère non plus, car concernant l’art du XIXe siècle en particulier, toute parole issue d’un compte officiel « musée d’Orsay » peut être considérée comme une référence.
Il faut être sûr d’avoir le temps d’animer les comptes. Les outils disponibles sont extrêmement nombreux et il vaut mieux être véritablement actif sur quelques plateformes plutôt que de multiplier les comptes à l’abandon ou sans identité propre.
Ensuite, la cohérence viendra naturellement si l’on respecte l’ADN de l’institution, ce qui ne veut pas dire se limiter à sa propre actualité. Au contraire, ce sont les échanges qui font les richesses des réseaux sociaux. Si la National Gallery de Londres organise une expo sur Gauguin, je vais le signaler sur la page Facebook d’Orsay, et je serais également ravi de pouvoir faire profiter le musée d’une petite ville de l’audience de notre page. La seule condition étant que toutes ces infos concernent la seconde partie du XIXe siècle, la période d’Orsay, qui à priori intéresse nos abonnés.
L’idéal enfin, ce que je n’ai malheureusement pas encore eu le temps de vraiment faire sur les comptes d’Orsay, est de pouvoir « éditorialiser » un minimum ses pages, créer quelques rendez-vous réguliers, des « rubriques », des séries… sans pour autant perdre la spontanéité et la liberté de pouvoir publier à tout moment.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre profession ?
Elle sera de toute façon très liée à l’évolution des outils et des usages, un paramètre que je ne me risquerai pas à prévoir. Je ne pense pas en tout cas que les réseaux sociaux soient un effet de mode et, quelles que soient leurs formes futures, ils sont appelés à se développer encore. D’où l’importance d’intégrer ces outils à la stratégie globale de communication des établissements, même si ils ne doivent pas servir uniquement une communication évènementielle.
On peut également songer aux collaborations qui commencent à voir le jour entre les musées et certains organismes ou grandes sociétés, tels que Wikipedia/Wikimédia ou le Google Art Institute… mais là se pose la question de la définition exacte du Community Manager. Quelles fonctions, quels métiers, quelles responsabilités ce terme définit-il ? Aujourd’hui être « Community Manager » recouvre des expériences assez diverses selon les institutions, ou c’est tout simplement un poste qui n’existe pas, mais qui est intégré à d’autres fonctions.
Quoi qu’il en soit, les Community Managers de musées, ou autres lieux culturels, ne seront efficaces que s’ils font partie intégrantes des institutions et connaissent très bien les activités, les collections, les différentes équipes qu’ils les font vivre. Il est cependant tout à fait envisageable de faire appel à des agences ou des consultants spécialisés pour réaliser des opérations ponctuelles ou se faire conseiller. Mais l’erreur à ne pas commettre serait de sous-traiter la gestion des réseaux sociaux par des intervenants extérieurs, ce qui aboutirait à des pages formatées et casserait le lien direct qui est en train de se créer entre les musées et leurs publics.