« La publicité sur internet ne rapporte rien. Quoi qu’on en dise, il n’y a aucun site internet qui puisse être rentable. » – Cyrille Lachèvre – Rédacteur en Chef Adjoint – L’Opinion.
A l’occasion de la sortie du Rapport Cision 2018, Etat des medias dans le monde – mené par Cision auprès de 1 355 journalistes – Cyrille Lachèvre nous livre une interview quant à sa perception de l’univers actuel des médias, du journalisme et de son évolution.
Journaliste économique, Cyrille Lachèvre a tout d’abord travaillé pour le service marché des Echos, entre 2000 et 2005. Il a ensuite été rédacteur en chef au service macro économie du Figaro, jusqu’en 2013. Il travaille aujourd’hui à l’Opinion en tant que rédacteur en chef adjoint.
Bonjour Cyrille,
Si vous deviez citer LA grande évolution du métier de journaliste ces 10 dernières années, ce serait laquelle ?
Clairement Internet. Cela a vraiment tout changé. On s’est retrouvé il y a 10 ans face à des choix stratégiques, et à l’époque les médias n’ont pas fait les bons. C’est-à-dire que beaucoup ont misé sur le fait que l’audience ferait l’avenir des journaux, et que les régies publicitaires prendraient le pas sur la diffusion. On s’est finalement rendu compte que la publicité sur internet ne rapportait rien. Et quoi qu’on en dise, il n’y a aucun site internet qui puisse être rentable. Après avoir travaillé pendant des années au Figaro.fr, ce serait faux de dire qu’ils le sont ! Les salaires des journalistes qui travaillent sur le web sont financés par le papier et les principales sources de revenus sont générées par le papier.
Maintenant depuis cinq ans – c’est-à-dire au moment de la création de L’Opinion – on s’est rendu compte qu’il fallait de nouveau faire payer le contenu, et que par conséquent la diffusion devait reprendre le pas sur la publicité. Il est nécessaire aujourd’hui de monétiser la qualité. Cela nous oblige à faire les choses différemment, et à proposer des articles payants comportant une véritable plus-value.
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En tant que lecteur, vous nous avez habitué à avoir de l’information gratuite sur le web, cela va être très difficile aujourd’hui de nous faire payer ?
Oui tout à fait ! Mais en même temps ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, un journal et donc les journalistes ne peuvent pas survivre sans mettre en place un système d’abonnement pour ses lecteurs.
Est-ce que vous croyez encore business modèle des médias 100 % web ?
Oui bien sûr ! Pourquoi pas. Je ne crois en revanche pas au système d’un média web 100 % gratuit.
Aujourd’hui, il faut faire payer, et si on fait payer cela veut dire que le lecteur doit avoir une bonne raison de s’y retrouver.
Quand on parle d’information de qualité, cela concerne la recherche et le traitement d’informations, mais peut-être aussi le ton ? Le lecteur souhaite lire des opinions prononcées non ?
Alors, il y a trois choses :
- Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, notamment avec les réseaux sociaux, la télévision et la radio, on a la possibilité d’être informé de partout. Ce n’est donc pas là-dessus que l’on gagnera de l’argent. Il n’y a aucune plus-value apportée, on parlerait presque d’un service public, offert et diffusé via ces différents canaux, financés par leurs propres moyens.
- Aujourd’hui, les gens ont besoin plus que jamais de décryptage – il ne s’agit pas forcément de donner son opinion – cela peut être ce phénomène de mode du fact-checking, jusqu’au décryptage de l’éditorialiste. Avec tout le flot d’informations qui circule aujourd’hui, les avis sont importants.
- Troisième chose : chez l’Opinion, on pense que, par rapport à toute cette information grand public, les gens ont besoin de se retrouver en communauté – par exemple une communauté conservatrice du côté du Figaro, une communauté davantage orientée à gauche pour le Libération, etc. C’est dans cette direction que se trouve l’avenir des médias.
Le métier de journaliste a beaucoup évolué et il est nécessaire de savoir mettre en lumière ce qui est important, dans un monde où l’information circule à outrance.
Avec le phénomène des fake news, ressentez-vous une méfiance croissante de vos lecteurs quant aux articles que vous écrivez ? Ou au contraire, pensez-vous que ce phénomène bénéficie aux médias traditionnels « dignes de confiance » ?
Je ne crois pas que l’on soit plus détestés ou plus critiqués qu’avant. On est souvent pris à parti sur les réseaux sociaux, où tout le monde donne un peu son avis, mais ce n’est pas notre rôle.
Les fake news c’est un peu l’actualité du moment, et selon moi cela ne concerne pas les journaux mais plutôt les sites internet de type Google News, Facebook… En ce qui concerne les médias traditionnels, si l’un d’entre eux diffuse une fake news volontairement, la sanction se fera ressentir surtout au niveau commercial, et c’est prendre le risque de tout perdre.
A votre avis, quel est le plus gros challenge du métier aujourd’hui en France ?
Le plus grand challenge du journalisme aujourd’hui est de trouver un business modèle qui fonctionne.
Chez L’Opinion, nous sommes à la fois presse et web et c’est 100 % payant, par abonnement ou par article à l’unité.
Avez-vous changé votre manière de travailler suite à la transformation digitale ? (que ce soit au niveau de l’IA, des réseaux sociaux, etc.)
Non pas vraiment, à l’exception des réseaux sociaux.
Dans votre rédaction, est-ce qu’on vous incite à publier sur les réseaux sociaux ?
Oui, et ce, depuis le départ. Chacun d’entre nous possède ses comptes professionnels pour les réseaux sociaux. Nous avons également un community manager au sein de notre équipe.
Qu’attendez-vous des attachés de presse ? Qu’est-ce qui fait que vous apprécier travailler avec eux ?
Je fais partie des journalistes qui pensent que les attachés de presse sont essentiels, j’ai énormément de respect pour eux. Ce que j’attends d’eux, c’est vraiment du sur mesure. Je n’attends pas d’un attaché de presse qu’il m’envoie son communiqué, qu’il s’assure que je l’ai lu et qu’il me demande ce que je vais en faire. Ce que j’attends d’un attaché de presse ou d’un communicant au sens large, c’est qu’il sache par rapport à ses clients, me dire que sur telle étude qu’ils ont sorti, que cela a un lien avec la ligne directrice du journal, avec sa cible… l’idée c’est d’avoir quelque chose de très sur mesure, précis.
L’important est de faire gagner un maximum de temps ou simplement de sortir le meilleur de ce qu’ils peuvent proposer/diffuser.
Je travaille avec plusieurs attachés de presse en qui j’ai une confiance totale et que je considère comme de véritables informateurs.
Nous avons parlé de l’avenir des médias sous forme de « communauté ». Vous ne trouvez pas ça dangereux finalement si chacun lit ce qu’il a envie de lire ?
Ce n’est pas parce qu’on fait partie d’une « communauté » qu’on va servir uniquement les gens qui en font partie et leur dire ce qu’ils ont envie d’entendre. Chez l’Opinion nous n’avons aucun problème à faire des interviews de personnalités qui ne pensent pas du tout comme notre cible. On montre justement à nos lecteurs ce que pensent les gens qui ne pensent pas comme eux.
Avez-vous un message à faire passer aux lecteurs, aux communicants, aux journalistes ?
Je pense tout d’abord qu’il faut éviter aujourd’hui de se regarder le nombril car les journalistes qui ne parlent que d’eux, ça n’intéresse personne, les combats entre journalistes ça n’intéresse personne !
Quand on est journaliste il faut se confronter au terrain, à la réalité des choses, aller chercher l’information à sa source : toute la difficulté est de tourner un soupçon de vérité journalistique dans un monde qui est bien plus compliqué que celui que nous analysons via nos statistiques.
Un grand merci pour cette interview Cyrille.
Cyndie Bettant, Influence & Content Manager – www.cision.com