Interview de Samuel Laurent, Journaliste au Monde.fr

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A l’occasion de la sortie du Rapport Cision 2018, Etat des medias dans le monde – étude menée par Cision auprès de 1 355 journalistes – Samuel Laurent, Journaliste au Monde et Responsable des Décodeurs, nous livre une interview quant à sa perception de l’univers actuel des médias, du journalisme et de son évolution.

A propos de Samuel Laurent :
Après avoir débuté une carrière de journaliste web au Figaro.fr de 2006 à 2010, Samuel Laurent intègre LeMonde.fr où il rejoint le service politique. Il est également responsable du blog Les Décodeurs, rubrique de fact checking du quotidien. Depuis 2014, il participe régulièrement à l’émission « La politique c’est net » diffusée sur Public Sénat.

 

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Bonjour Samuel,

Si vous deviez citer LA grande évolution du métier de journaliste ces 10 dernières années, ce serait laquelle ?

Sans aucune hésitation : les réseaux sociaux.

Comment cela a-t-il changé votre métier au quotidien ?

Les réseaux sociaux ont changé énormément de choses : la manière de faire de la veille, le fait que les lecteurs puissent nous interpeller directement via ces différentes plateformes… Aujourd’hui, tout tourne plus au moins autour de cela.
Les réseaux sociaux sont devenus un canal d’information central pour la majeure partie des gens et cela a par conséquent bouleversé la manière dont les journalistes travaillent : à la fois la manière dont ils s’informent eux même, mais aussi dont ils s’expriment, dont ils sont interpellés ou mis en cause, mais également la façon dont ils publient.

Quelle est la maturité des journalistes aujourd’hui concernant les réseaux sociaux ? Comment pensez-vous que les journalistes les ont adoptés ?

La majorité d’entre nous les ont adoptés, car c’est en réalité devenu très difficile de travailler en tant que journaliste sans être présent sur les réseaux sociaux. C’est quasiment une faute professionnelle de ne pas s’en servir. En revanche, tout dépend de comment l’on s’en sert car cela entraine son lot de problèmes et de dérives mais cela reste un outil indispensable du métier de journaliste aujourd’hui.

Qu’importe, on n’a qu’une vie !
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Avec le phénomène des fake news, ressentez-vous une méfiance croissante de vos lecteurs quant aux articles que vous écrivez ? Ou au contraire, pensez-vous que ce phénomène bénéficie aux medias traditionnels « dignes de confiance » ?

Le phénomène des fake news n’est pas nouveau : c’est plutôt le fait qu’on ait mis un mot sur un terme, mais la propagande n’a pas été inventée aux Etats-Unis à l’occasion de l’élection de Donald Trump. La nouveauté c’est qu’il s’agit d’un phénomène qui est davantage perçu aujourd’hui et plus vu, notamment avec les réseaux sociaux. Cependant je n’apprécie pas forcément ce terme de « fake news » car il recouvre mal la réalité qu’il essaie de décrire… voire qu’il est dangereux. Concernant la perte de crédit du journaliste, c’est la même chose : c’est largement antérieur à cette vague fake news et d’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait de vague de fake news, mais plutôt une vague de perception de ce problème qui a poussé les gens à se questionner sur la fiabilité des médias en général, et à faire davantage confiance en les médias traditionnels.

Comment les journalistes luttent-ils contre cette perception fake news ? Y a-t-il des changements organisationnels au sein des rédactions ?

Chez Le Monde, nous avons un service de fact checking – Les Décodeurs – qui a été créé pour répondre à ce problème, donc cela a évidemment eu un impact sur notre métier et sur les médias en général.
En réalité, Les Décodeurs étaient initialement un blog qui faisait des vérifications au niveau des nouvelles en politique, pour vérifier les dires des personnalités politiques. A cette époque on se basait beaucoup sur le data journalisme mais on ne faisait pas réellement de vérification de rumeurs, sur internet. C’est apparu plus tard, en 2015.

Y a-t-il eu des directives au sein du Monde auprès des journalistes, quant au fait de se concentrer davantage sur la véracité des informations que sur l’exclusivité ?

Le Monde a toujours été un journal attaché à l’exactitude des informations. Cependant, la nouveauté c’est que, suite aux attentats de Charlie Hebdo et notamment avec les lives d’informations qui ont eu lieu à cette période, on s’est rendu compte qu’il était indispensable de prendre du recul et la politique aujourd’hui est qu’aucune information ne sorte sans avoir été vérifiée par quelqu’un de la maison : on ne prend que nos propres infos on ne s’appuie plus sur une source extérieure, même d’un autre média.
On préfère effectivement arriver en retard avec une information exacte que premier avec une information fausse ou incomplète. Donc oui, nous avons clarifié les règles, mais c’était déjà ce que nous faisions plus ou moins.

A votre avis, quel est le plus gros challenge du métier aujourd’hui en France ?
• Garder la confiance des lecteurs malgré les fakes news ?
• Les atteintes à la liberté de la presse ?
• La distinction floue entre éditoriaux et publicités ?
• Les réseaux sociaux captant tout le trafic et l’attention des lecteurs
• Le manque de personnel et de ressources ?
• Autres

Je dirai que c’est plusieurs choses à la fois, mais que le problème principal reste le modèle économique. Au Monde, nous nous en sortons plutôt bien mais ce n’est pas forcément le cas pour tous les médias.
Ce n’est pas tellement sur le web, c’est plutôt au niveau des hebdos et des quotidiens, qui depuis quelques années se sont effondrés car le lectorat ne se trouve pas.

Au niveau des sites web, la question se pose plutôt dans ce sens-là : comment informer une population entière si l’information devient payante et passe par des abonnements ? Ce qui est dans la logique de ce qui est en train de se passer en France, puisque la publicité sur Internet ne rapporte pas assez pour rendre l’information gratuite pérenne. Il risque d’y avoir deux mondes : soit l’information est de qualité mais payante, soit l’information est gratuite mais de mauvaise qualité et éventuellement sponsorisée par les marques, ce qui a trait à la question du marketing que vous citiez, c’est-à-dire du flou entre éditorial et publicité.

Cela pose un problème de société : comment assurer que les personnes qui ne peuvent pas payer puissent continuer à accéder à une information de qualité ?

Pensez-vous que les lecteurs d’aujourd’hui et notamment la nouvelle génération, sont prêts à payer pour avoir de l’information ?

Bien sûr que oui ils sont prêts à payer pour l’information ! Le Monde est dans une stratégie de double politique avec du gratuit et du payant, et au niveau du payant nous progressons très fortement. Le New York Times bat des records pour le payant aux Etats-Unis. Le contenu payant est la solution privilégiée par les grands médias pour s’en sortir, à quelques rares exceptions, comme le Guardian ou le Figaro en France.

Pour parvenir à trouver un modèle économique qui fonctionne, tout se joue dans la qualité de l’information mais il est vrai qu’il y a aussi un tiers secteur d’acteurs en pleine croissance qui confondent allègrement journalisme et marketing. Ces informations relativement mauvaises ou inexactes sont une forme d’intox non pas idéologique mais plutôt crapuleuse, puisque ce tiers secteur est prêt à diffuser n’importe quel contenu notamment sur Facebook, dès lors qu’il fait du clic. Ce tiers secteur composé de nouveaux acteurs de l’informations comme les Youtubeurs, mais bien d’autres ne sont pas tenus par les règles des journalistes. On est en plein Far West informationnel.

Comment faites-vous face à ce défi au quotidien ? Comment montrez-vous votre valeur ajoutée ?

La valeur ajoutée se trouve au niveau des enquêtes menées, de la capacité à révéler des informations importantes et à produire un journalisme de qualité. Il s’agit de proposer autre chose que seulement des breaking news. C’est ce qui fait que nos lecteurs continuent de nous lire et se réabonnent dans un monde où l’information est de qualité très variable.

Le Business model n’est donc pas à réinventer mais plutôt à réinsuffler ?

Il y a toujours cette question de : comment gère-t-on une démocratie si l’information de qualité est réservée à une élite ?
Le modèle sur abonnement fonctionne plutôt bien de notre côté, mais ça n’est pas le cas pour tout le monde, notamment les hebdos qui ont beaucoup de mal. Ce n’est pas si simple de trouver un équilibre et de se retrouver dans ce nouvel écosystème : il y a de nombreux modèles qui se réinventent. Il y a à la fois des opportunités mais aussi beaucoup de difficultés.

IA et journalisme : qu’en pensez-vous ? Auriez-vous des exemples de cas où le journalisme aurait intégré l’intelligence artificielle ?

Le mot IA ne veut en soit pas dire grand-chose. Soit on parle de vraie IA, c’est-à-dire un ordinateur qui est capable d’apprendre et de faire des choix intelligents, ce qui est d’ailleurs très compliqué et très cher à mettre en place, soit on parle d’algorithmes.
Les algorithmes, tout le monde y a recours à différents niveaux et pour réaliser différentes choses. Quand on parle de l’IA pour sauver la presse, ça me fait rire (jaune), car cela impliquerait des investissements colossaux. Or, nous n’en avons pas les moyens et ce n’est pas dans notre culture. De manière pragmatique, nous utilisons des algorithmes pour faire du remplissage automatique de texte sur les notices électorales pendant les élections législatives par exemple : mais c’était seulement des algorithmes, capables d’écrire à notre place une fiche par commune plutôt que d’avoir un tableau où il fallait écrire les résultats pour chaque commune. Cela reste un usage assez simple, par rapport à ce que l’on peut trouver dans la technologie aujourd’hui. Notre objectif principal est de produire de l’information et non de se perdre dans des dispositifs technologiques extrêmement compliqués à mettre en place.

De manière générale vous avez pris beaucoup de recul que ce soit sur l’actualité en live ou sur la technologie ?

Oui et je pense que c’est aussi une des clés du journal Le Monde, nous avons gardé des anciennes recettes mais qui fonctionnent toujours. Il ne faut pas rater la prochaine évolution, mais cela ne sert à rien de se précipiter de manière hystérique sur les tendances.

Que pensez-vous des outils de reconnaissance vocale et des home assistants ? Est-ce que vous pensez que cela va impacter le journalisme dans la manière de produire du contenu ou créer de nouveaux canaux de diffusion ?

C’est un piège ! Google a très envie que cela prenne davantage de place sur le marché, par conséquent Google favorise les médias qui mettent en place la diffusion de contenu via les home assistants. Mais, là encore, nous ne nous sommes pas dits que nous allions transformer notre sélection de manière à ce que chaque article soit accordé avec les assistants vocaux. Peut-être qu’un jour cela viendra, si les usages changent et qu’il y a vraiment une importante partie de la population qui les utilisent, mais pour le moment nous choisissons de rester prudents. Encore une fois, cela demanderait énormément d’adaptation de notre part, et d’élaborer un système pour que cela fonctionne : cela demanderait un vrai changement de la part de la rédaction, et ce n’est pas à l’ordre du jour.

Merci Samuel Laurent !

 

Cyndie Bettant, Influence & Content Manager – www.cision.com

 

 

CYNDIE BETTANT

CYNDIE BETTANT

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