Attachée de presse depuis 2011 des éditions Milady, un label des éditions Bragelonne spécialisé dans la littérature de genre – de la romance à la fantasy en passant par la science-fiction –, Aurélia Szewczuk nous explique les spécificités des relations presse dans un genre littéraire qui mise beaucoup sur l’implication de ses lecteurs et qui souffre de nombreux a priori.
Milady Romance a participé au Salon du Livre pour la première fois en 2013 et a renouvelé l’expérience cette année. Quel bilan en tirez-vous ?
Il s’est avéré que c’était une opération tout à fait rentable pour Milady Romance. Ce succès a d’ailleurs été une grande surprise pour nous, à l’heure où de moins en moins d’éditeurs y participent, les emplacements étant devenus très chers. Cela nous a permis de créer davantage de liens avec nos lecteurs venus rencontrer nos auteurs. La plupart sont des femmes âgées de 22 à 35 ans, mais il y avait aussi des quadragénaires qui accompagnaient leurs ados, et même des seniors passionnées de romance historique. Cette dernière catégorie n’étant pas très présente sur les réseaux sociaux, je m’adresse désormais à la presse spécialisée pour mieux toucher ce public.
Il est donc fondamental pour vous de bien connaître votre lectorat.
Oui ! Quand je suis arrivée chez Milady, j’ai compris que les lectrices connaissaient mieux les genres que moi! Elles devancent les tendances en lisant les parutions étrangères en VO. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu les rencontrer et créer des liens. Nous avons organisé beaucoup de soirées dans les locaux de Bragelonne, afin d’entretenir un côté « famille ». Nous accueillons également des « Tea Time » cinq fois par an pour échanger autour de nos romans. J’ai senti que les lectrices voulaient s’impliquer davantage, et j’y étais très favorable. Un cercle vertueux s’est enclenché. Je dirais que nous n’avons pas un rapport « vertical » avec nos lecteurs, nous sommes dans l’échange permanent – dans le monde de l’édition, c’est très singulier. Nous leur avons déjà soumis des propositions de couvertures avant publication : nous avons recueilli plus de quarante réponses en un quart d’heure sur Facebook !
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans votre stratégie ?
Ils sont tout à fait essentiels. C’est vraiment grâce aux blogueuses que notre stand au Salon du livre a si bien fonctionné, elles ont retweeté ou partagé sur Facebook toutes les informations sur le sujet. J’ai à ce jour près de 400 contacts dans la blogosphère, et la collection Milady Romance est présente sur Facebook, Twitter et Pinterest. Nous avons même fini par créer notre propre réseau, le Ladies Club.
Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Il s’agissait simplement au départ d’une page privée sur Facebook, qui nous permettait d’être plus proches de nos lectrices et d’accorder des privilèges aux plus fidèles. Très vite, nous avons reçu trois demandes d’ajout à la page par jour, et une sorte de microcosme s’est créé petit à petit. Les abonnées ont en effet développé des codes et fini par discuter très vivement, au point parfois de se quereller… Ce qui m’oblige à être plus community manager qu’attachée de presse ! C’est assez difficile à gérer.
J’ai demandé qu’on crée un site dédié au Ladies Club, qui est opérationnel depuis décembre 2013. Il compte aujourd’hui 121 membres, contre environ 30 au moment de sa création. Pour pouvoir s’inscrire, les lectrices doivent avoir un blog comptant plus de mille vues. Une fois leur candidature acceptée, elles ont accès à une messagerie, pour communiquer avec nous, et aux fichiers PDF des livres un mois avant leur sortie, afin qu’elles puissent rédiger des critiques. Il s’agit donc d’un véritable outil de promotion, pas seulement de fidélisation. Si le succès du site lui a un peu fait perdre sa vocation première de club de lectrices, cette ambiance intimiste, l’objectif de développer tout un univers autour de nos collections a été atteint. Les équipes marketing l’ont bien compris et m’ont soutenue. Le plus paradoxal, c’est que je suis assaillie de demandes d’inscriptions (j’ai dû en refuser près de 150), et que nous devons réserver le site à une « élite » alors qu’il s’agit de parler de genres littéraires très accessibles et populaires. Pour autant, nous voulons conserver l’aspect ludique et divertissant que recherchent les lectrices dans nos ouvrages.
Quel est le profil de ces blogueuses influentes ?
Elles sont très fidèles, elles lisent six à sept romans par mois. Parmi ces lectrices assidues, on trouve des libraires et beaucoup d’enseignantes – mais elles ne lisent pas que de la romance (elles dévorent jusqu’à vingt livres par mois, tous genres confondus). Nous avons voulu formaliser nos relations avec elles. Par conséquent, elles ont désormais accès à six ou sept fichiers PDF. Elles lisent ceux qu’elles veulent, et doivent ensuite écrire un article sur deux d’entre eux. En échange, elles reçoivent deux exemplaires papier. Elles achètent de toute façon les livres de Milady, afin de se constituer des collections ou de les offrir à des proches! Raison de plus pour chouchouter ces lectrices, d’autant que leur pouvoir de prescription est encore plus grand qu’on ne l’imaginait. Je dois donc fournir un important travail de prospection afin de trouver de nouvelles blogueuses, et pas seulement littéraires.
L’année dernière, nous avons organisé un Prix des Lectrices. Le livre choisi par les membres du Ladies Club sortira en juin, avec un bandeau indiquant cette distinction. L’impact de cette opération a été démultiplié par le fait que les blogueuses ont pu soumettre leur sélection à leurs lectrices et solliciter leur avis.
Quelle importance accordez-vous à la presse, si les premiers prescripteurs sont les blogueurs ?
Quand nous nous lançons dans un nouveau genre, en effet, je le teste auprès des blogueuses, qui vont le relayer sur le web. En général, c’est à ce moment-là que les journalistes s’y intéressent. Par exemple, Le Parisien s’est penché sur la littérature young adult [des romans destinés aux adolescents ou aux jeunes adultes] après avoir vu l’importance du phénomène sur Internet, alors qu’il n’avait pas réagi à la réception du dossier de presse. En ce qui me concerne, les médias traditionnels sont devenus secondaires.
J’ai beau connaître tous les chroniqueurs littéraires – j’étais moi-même journaliste auparavant – et mettre un point d’honneur à les contacter à chaque parution, mes démarches envers eux sont souvent infructueuses, sans compter que l’espace consacré aux livres ne cesse de diminuer. Il est rare que la presse nous consacre un article, mais nous sommes souvent cités, ce qui correspond à mon objectif d’accroître notre visibilité. Je peux dire que la presse que nous voulions toucher nous reconnaît désormais, ce qui est une satisfaction. Il a fallu convaincre certains supports de dépasser leurs a priori quant à la littérature de genre – par exemple sur la bit lit [la littérature de vampires], qui s’est renouvelée et s’essaie à des registres assez éloignés de Twilight. Il faut donc batailler pour chaque titre, et inciter le journaliste à ne pas s’arrêter à une couverture qui ne ferait pas assez « sérieux ». En somme, je dois faire d’une pierre deux coups : promouvoir le roman et réhabiliter le genre auquel il appartient. Voilà pourquoi j’ai aussi voulu profiter du Salon du Livre pour organiser des conférences sur la romance – la demande pour ce genre est forte, mais il n’est jamais nommé en tant que tel. En France, c’est un gros mot, associé à Guillaume Musso ou Marc Lévy, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, où l’exigence littéraire a beaucoup augmenté pour ce type de romans.
Milady compte huit collections, sans compter les subdivisions. Adaptez-vous votre plan de communication à chacune d’entre elles ?
Les besoins en communication ne sont pas les mêmes selon les collections. La bit-lit, qui fonctionne très bien et depuis longtemps, peut se passer de promotion, d’autant que la collection s’appuie sur des séries longues. En revanche, quand on lance une nouvelle série, on réactive le réseau et on diffuse un dossier de presse. Le rapport à ces lecteurs est très différent de celui que l’on a avec les fans de romance. C’est un atout, dans la mesure où je n’ai pas à m’inquiéter que la promotion autour d’une collection nuise ou phagocyte celle d’une autre. Nos collections sont conçues en fonction des attentes des lecteurs, elles sont donc sûres de trouver leur public. Tout s’équilibre. En revanche, nos lectrices sont plus méfiantes vis-à-vis des auteurs français, qui sont considérés comme moins aguerris que les écrivains anglo-saxons dans ces genres-là. Je dois donc les promouvoir différemment, en mettant l’accent sur leur personnalité… Cela permet aussi de les singulariser auprès des journalistes.
Comment envisagez-vous l’évolution des relations presse ?
Je pense que les relations avec les blogueurs seront de plus en plus importantes. Il faudra différencier les médias traditionnels de leurs versions en ligne – par exemple, L’Express.fr et LeFigaro.fr sont désormais des rédactions à part entière, souvent plus accessibles que celles des éditions papier. J’ai eu des parutions sur ces sites que je n’aurais jamais obtenues en print. Je pense aussi que les webzines féminins vont se renforcer, ils ressembleront aux magazines féminins mais resteront plus souples, plus libres – par exemple, BSC News.
Je réfléchis aussi à d’autres façons de communiquer auprès des médias. Au lieu du dossier de presse traditionnel, on pourrait envoyer une newsletter comportant une vidéo de l’auteur qui présenterait son roman succinctement. Il faut travailler l’esthétique et l’aspect visuel des dossiers de presse envoyés par mail.
Enfin, plus généralement, de plus en plus d’entreprises font appel à des attachés de presse freelance, ce que je trouve dommage. Elles passent à côté de synergies en interne.
Propos recueillis par François-Xavier Vieillard