Le Journalisme de Solutions : décryptage…

Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn
Share on facebook
Facebook

#ParoledeJournaliste

« Le journalisme ne devient plus seulement un moyen de lancer l’alerte, mais d’être constructif. Il ne s’agit pas de faire du journalisme « positif », mais d’informer et responsabiliser les gens en leur donnant les clés d’agir et en dressant une analyse plus complète du sujet. Le but n’est donc pas de faire la promotion d’innovations positives, mais d’étudier dans leur ensemble les moyens mis en oeuvre à l’échelle locale pour répondre à une situation problématique. » – Nina Fasciaux 

Suite à l’Event Medialab Speed Training qui s’est déroulé mi-septembre à Nantes, Culture RP a voulu en savoir davantage sur la Solution Journalism auprès de la coordinatrice pour l’Europe Nina Fasciaux.

Quelles sont les clés pour décrypter le paysage médiatique et analyser l’information à l’heure où elle afflue en temps réel, et où les médias sociaux remodèlent entièrement le journalisme ? 

C’est une question que j’aborde en cours sur l’éducation aux médias, et qui aurait bien besoin d’être vue dès l’adolescence, au collège ! Il est important d’adopter quelques réflexes dans sa consommation d’information je pense, dont le premier est : la lenteur et le recul ! Ne pas se précipiter à croire ce qu’on voit ou entend, croiser les informations, choisir des canaux d’informations de qualité pour s’informer (et éviter de s’informer via les réseaux sociaux uniquement), rester curieux, notamment en essayant d’obtenir des points de vue qui se complètent. Ne pas hésiter, lorsqu’on en a la possibilité, à consulter la presse étrangère. Garder en tête, comme le clamait le média en ligne 8ème étage que si c’est gratuit, c’est vous le produit. Pour reprendre la métaphore de l’auteure de You Are what you Read, Jodie Jackson, la qualité de l’information dont on se nourrit est essentielle à notre propre état psychologique et mental, influence nos décisions, nos actions, et même nos votes. Au même titre que la malbouffe, la « mal-information » est toxique, dangereuse pour l’humanité, et la survie de nos démocraties. En prendre conscience permettrait de forcer les médias à davantage de qualité.

Trop souvent, les pratiques journalistiques ordinaires déforment et distordent l’information en introduisant à tout instant biais factuels et parti-pris interprétatifs. Est-ce à votre avis la seule « dérive » de cette profession et pourquoi selon vous ces pratiques perdurent ? 

La rapidité que l’on exige des journalistes pour produire de l’information aujourd’hui joue un grand rôle dans cette dérive : cela conduit à un manque d’analyse, de pertinence des faits choisis, mais aussi à toujours faire appel aux mêmes analystes, aux mêmes experts, et globalement aux mêmes schémas de pensée. Puisqu’il faut aller vite, on suit une procédure journalistique stricte, qui parfois nous empêche de nous poser les bonnes questions. Mais les dérives de la profession sont nombreuses, au-delà du problème ici mentionné. Parmi elles, la déconnexion de la réalité journalistique de la réalité des gens. Demandez à n’importe quelle rédaction de vous dire quel est le problème qui préoccupe le plus son lectorat aujourd’hui, aucune ne saura vous répondre. Pour cela, certaines rédactions ont pris le parti d’engager leur lecteur dans le processus rédactionnel, voire le choix de certains sujets. Nice-Matin, par exemple, qui a une rubrique entièrement dédiée aux solutions et initiatives locales (sur abonnement), fait voter une fois par mois le sujet qui fera l’objet d’un dossier spécial. En deux ans, les journalistes n’ont jamais réussi à deviner en avance quel sujet serait choisi par les abonnés !

En savoir plus

Qu’est-ce que le Journalisme de Solutions ? 

Le journalisme de solutions est une couverture rigoureuse et convaincante des réponses apportées aux problèmes de société. L’idée derrière ce type de journalisme est d’offrir une vision plus juste, plus complète, de la société dans laquelle nous vivons en n’occultant pas les réponses apportées aux problèmes qui sont exposés dans les médias.

Comment identifier un journalisme positif, « constructif » ?

Comment trouver des sujets orientés sous le prisme des solutions ? Et existe t-il un espace de dialogue, de connaissance pour vérifier ces solutions, enrichir sa connaissance par des programmes déjà opérationnels ? Il ne faut pas confondre journalisme positif, constructif, et de solutions. Le journalisme positif est porteur de bonnes nouvelles, il a pour vocation à diffuser un sentiment de bien-être auprès d’une audience. Le journalisme constructif lui, en plus d’intégrer le journalisme de solutions comme l’une des pratiques à mettre en œuvre au sein d’une rédaction, ambitionne de changer la culture médiatique en intégrant des outils comme la psychologie positive, la médiation, et est tourné vers le futur en ajoutant une question aux traditionnels Qui, où, quand, quoi, comment, en vigueur dans la pratique journalistique, à savoir : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? En journalisme de solutions, la première question à se poser lorsqu’on cherche un sujet d’enquête est : Qui fait mieux ? Qui, face à un même problème, a obtenu des résultats tangibles ? Ensuite, il convient de découvrir si la solution choisie est suffisamment pertinente. Dans tous les cas, une solution n’est jamais parfaite, et il faut en rapporter les limites. On peut tout aussi bien décider d’enquêter sur une solution qui fut un échec, si cela permet d’en tirer des leçons.

Lire le guide

Finalement peut-on dire, que l’un des enjeux du journalisme de demain seraient de répondre, enfin !, aux questions que l’on se pose – plutôt que d’alimenter sans y répondre les enjeux de l’information anxiogène – et se poser in fine la question de ce qui manque dans la création du discours global ? 

Oui, fournir à son audience des éléments de réponses, sans pour autant en tirer de conclusions, mais lui montrer que des solutions existent, l’aider à en tirer des leçons, et montrer quels sont les modèles possibles pour un monde meilleur devraient participer à la création d’un discours global.

Quelles sont les méthodologies que vous préconisez pour changer le « storytelling narratif » ? 

En ce qui concerne le journalisme de solutions, nous avons défini quatre critères « d’excellence ». De manière plus globale, la narration doit retrouver sa complexité, ses nuances. Simplifier à outrance est un des grands dangers du journalisme. Je vous recommande à ce sujet la lecture de l’article Complicating the Narratives, d’Amanda Ripley.

Quelles sont selon vous les trois meilleurs exemples, projets, pratiques de Journalisme de Solutions ? 

Les pages Education Lab du Seattle Times, Le programme radio de la BBC « My perfect Country« , et la plateforme média Apolitical.

Les médias ne fabriquent pas, à proprement parler, le consentement des peuples mais ils sont parvenus en quelques décennies à réduire considérablement le périmètre du politiquement pensable, à augmenter la fracture entre les consommateurs d’informations et les élites. Selon-vous le Journalisme de Solutions est-il en d’autre terme le nouveau paradigme éthique, un lien nécessaire pour enrichir nos démocraties ? 

C’est un outil parmi d’autres, qui sont nécessaires à l’évolution de la profession. Plus qu’un parti pris positif, je dirais qu’il s’agit d’en finir avec le traditionnel « Good news is bad news ». Le monde est complexe et le journalisme doit refléter cette complexité, ne pas taire une partie de l’histoire sous prétexte que les informations négatives font vendre. D’une part parce que c’est faux (les histoires intégrant des solutions sont généralement plus lues et partagées), mais c’est aussi déformer la réalité que de l’affirmer.

Journalisme de Solutions passe t-il obligatoirement par un axe volontaire de formation, notamment auprès des étudiants journalistes?

Quelle est votre approche du point de vue du discours auprès de ces différentes filières ? Certains journalistes font du journalisme de solutions sans même le savoir ! Tout simplement, parce que c’est du bon journalisme. Mais se former permet d’amorcer une réflexion, se poser les bonnes questions, adopter de bons réflexes. Eviter, également, toute forme de plaidoyer ou de journalisme positif : malheureusement, le journalisme de solutions est souvent traité de manière assez superficielle, alors qu’il peut aussi prendre le pas du journalisme d’investigation.

Peut-on se former en auditeur libre, existe t-il des documents traduits en français ? 

Oui, notre cours en ligne sur les bases du journalisme de solutions est accessible à tous, il est gratuit et en français 🙂 : https://learninglab.solutionsjournalism.org/en/courses/basic-toolkit 

Je publie également des articles en français pour partager quelques conseils sur cette pratique : ici

Je propose aussi régulièrement des ateliers ou des webinaires en ligne pour les journalistes, gratuits. Pour être tenus informés : ici

Portrait de Nina Fasciaux pour Culture RP copyright Veronika Mašková.

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

Vous aimerez aussi

S’inscrire aux alertes de Culture RP, c’est s’assurer de ne rien perdre de l’information mise à disposition sur notre blog.