#JaimeLaPresse
Le plus gros challenge est de réussir à intégrer le progrès et l’accompagner d’une façon qui soit conforme à ses convictions, sa déontologie et de réussir à avoir une vraie vision sur le long terme.
Stéphane Nachez, Co-fondateur et directeur de publication
À la suite de la publication print du numéro 1 d’Actu IA, nouveau support trimestriel qui vient en complément du portail d’actualité créé il y a presque trois ans. Nous avons demandé à Stéphane Nachez, Co-fondateur et Directeur de Publication du portail francophone consacré à l’intelligence artificielle de nous expliquer les enjeux de ce positionnement et ces contraintes éditoriales et business.
Qu’est ce qui vous a mené à lancer actuia.com ?
Rien ne me prédestinait à lancer un média en ligne, puisque j’ai avant tout un profil technique : dernièrement, j’étais CTO d’une société évoluant dans le big data pendant 8 ans. En menant une veille active sur le web, je regrettais qu’il y ait si peu d’information sur l’IA en français. En 2017, les rares articles sur le sujet avaient pour la plupart un angle sensationnaliste voir délibérément trompeur sur la réalité de l’IA, dans le but de faire les gros titres et générer des clics en surfant sur des fantasmes…ils étaient à 2000 lieues de la réalité de l’IA. Il est moins risqué de diffamer une technologie qu’une personne nommément. Sauf que tromper la société sur la réalité d’une technologie qui s’apprête indéniablement à la transformer me semble extrêmement grave. J’ai donc très vite ressenti le besoin de créer une source d’information plus rigoureuse sur le sujet. J’en ai parlé avec Johanna Diaz, qui vient du monde de l’édition de livres et s’intéresse aux enjeux sociétaux et éthiques de l’IA. Nous avons lancé actuia.com pour informer et donner de la visibilité à l’écosystème IA français qui est extrêmement riche. Des experts reconnus ont rejoint l’initiative et contribuent activement en publiant des tribunes, actualités et tutoriels.
À qui s’adresse ActuIA ?
Le portail ActuIA.com s’adresse bien sûr aux personnes qui gravitent autour de l’IA, qu’il s’agisse de chercheurs, startups au cœur de l’innovation ou de sociétés consommatrices de technologies d’IA, mais également aux professionnels de tous secteurs d’activités qui souhaitent réaliser une veille grâce à notre parcours par arborescence sectorielle. Il est par exemple possible à un responsable d’agence bancaire qui ne s’intéresse pas particulièrement à l’IA de ne consulter que les actualités de l’intelligence artificielle dans le secteur.
Notre Magazine est destiné au même public, mais sa priorité est de rendre l’intelligence artificielle plus accessible. Le dossier principal de notre premier numéro est d’ailleurs : « l’intelligence artificielle à la portée des PME ». Nous y démontrons que l’IA n’est pas réservée aux Gafa et proposons des pistes d’implémentation. Les personnes qui ont un profil technique seront elles très certainement intéressées par notre interview de Yann Lecun, lauréat du prix Turing, souvent présenté comme le prix Nobel. Pour conclure, nous pensons qu’actuia est un magazine qui s’adresse à tous car l’IA nous concerne tous.
Si vous deviez citer LA grande évolution du métier de journaliste ces 10 dernières années, ce serait laquelle ?
Les évolutions me semblent nombreuses : les frontières entre journalistes professionnels et blogueurs se sont resserrées, le data journalisme monte en force. Je pense que la plus grande évolution est devant nous, c’est un sujet que je suis naturellement avec intérêt : celui de la génération automatique de texte reposant sur l’intelligence artificielle. Je pense que ça va transformer le métier de journaliste au cours des prochaines années. Il ne faut pas voir cela comme quelque chose qui va tuer le métier de journaliste mais bien au contraire permettre de consacrer plus de temps et de moyens à du contenu à réelle valeur ajoutée : l’opinion, le décryptage.
Pourquoi lancez-vous un magazine papier ?
Le portail ActuIA.com publie au jour le jour l’actualité de l’IA et de son écosystème. L’actualité est extrêmement riche, la recherche avance rapidement et le nombre de publications scientifiques explose, d’où la nécessité d’une information quotidienne. Avec ActuIA, le magazine de l’intelligence artificielle, l’objectif est de prendre du recul et de se donner le temps de l’analyse. C’est pourquoi nous avons choisi d’opter pour une périodicité trimestrielle. Ce rythme nous permet de remettre les choses en perspective, de publier des dossiers complets, avec toujours un fort ancrage dans l’actualité.
À l’heure de la crise de la presse, lancer un magazine print est un challenge : quel est votre business model ?
La consultation des articles sur le portail en ligne est 100% gratuite, sans aucune restriction. Nous avons financé le fonctionnement du portail d’actualité et ses publications quotidiennes sur nos fonds propres pendant 2 ans, par simple conviction. Mais depuis, le site a pris beaucoup d’ampleur et afin de soutenir son développement et couvrir ses coûts de fonctionnement, nous permettons à des sponsors d’offrir des rubriques aux lecteurs. C’est-à-dire que des startups, PME ou grands groupes louent l’unique espace publicitaire correspondant à une verticale donnée (par exemple celle du marketing ou du transport) pour 600€ HT/mois afin d’assurer leur visibilité sur tous les articles de cette verticale.
Nos sponsors apprécient beaucoup cette formule, car outre la visibilité auprès d’un public essentiellement constitué de chefs d’entreprises, décideurs et CSP+, cela leur confère une image positive (ils offrent du contenu), une autorité sur le domaine (l’encart leur est réservé tant qu’ils n’interrompent pas sa location), et ils sont sûrs de ne pas se retrouver affichés à côté de sociétés moins recommandables ou de concurrents comme cela peut être le cas avec d’autres publicités en ligne. En contrepartie de ce sponsoring, nous nous engageons à consacrer une partie du montant à la rédaction d’articles dans cette rubrique précise, ce qui renforce encore la visibilité du sponsor.
Concernant le magazine papier, notre modèle économique est ce qu’il y a de plus traditionnel : nous proposons des encarts publicitaires à des annonceurs et nous vendons le magazine 6,90€ TTC. Là encore, ce tarif est le reflet d’un réel désir de démocratisation, car le coût n’est de revient unitaire d’un magazine tiré à 10 000 exemplaires est très élevé.
L’autre point noir du print est le besoin en fond de roulement conséquent : le délai entre les premiers paiements à verser pour la commande du papier et la réception des reversements des ventes par la société de messagerie sont très longs.
Ce qui nous permet de tenir, c’est notre réduction des coûts superflus à l’extrême, je gère par exemple toute la partie informatique moi-même, nous privilégions le télétravail, les outils collaboratifs et les méthodes agiles. Cela nous permet de concentrer la totalité des coûts sur le contenu, ce qu’apprécient les lecteurs et annonceurs.
Quel est votre rapport à l’IA ?
À titre personnel, j’ai découvert l’IA sous l’angle des chatbots en 1991 à l’âge de 8 ans. Pour l’anecdote, j’ai appris les rudiments de la programmation en langage Basic à cause (ou plutôt grâce) au lecteur de disquette de mon ordinateur qui était tombé en panne, ce qui ne permettait plus de lancer des jeux autrement qu’en en recopiant le code, qui était à l’époque fourni dans le manuel de l’ordinateur. Recopier le code d’un jeu prenait des heures et très vite j’ai trouvé qu’il était plus amusant de créer des chatbots. Évidemment, technologiquement ça n’avait rien à voir avec l’IA que l’on connaît aujourd’hui.
Des années plus tard, au tout début des années 2000 j’ai eu la chance de rencontrer Wilfrid Morel, un professeur d’informatique qui a partagé avec moi ses ressources sur les réseaux de neurones artificiels avant que le domaine ne soit reconnu comme il l’est maintenant. Cela m’a permis de me mettre le pied à l’étrier très tôt.
Cependant, je suis informaticien et ne suis pas expert en IA. Je pense que tout cela me permet simplement d’avoir un certain recul sur l’IA : je ne suis pas dupe quant à l’effet de mode et au caractère marketing de certaines annonces, néanmoins je suis convaincu que l’IA va changer notre société. Pour Sundar Pichai, PDG de Google, l’intelligence artificielle va avoir un impact plus important que la découverte de l’électricité. S’il est difficile d’évaluer son impact sur le long terme, je pense qu’on peut aisément affirmer que l’impact de l’IA dans les années à venir sera bien plus rapide et bien plus fort que celui d’internet, et cela sur tous les corps de métiers. Il y a 20 ans on pensait que seules certaines sociétés bien spécifiques auraient besoin d’un site internet. 5 ans plus tard, celles qui n’en avaient pas créé ont disparu et on les a complètement oubliées. Plus largement l’IA est un domaine passionnant qui touche à de nombreux sujets de société : la santé, l’éthique, la diversité, l’accessibilité, les relations humaines. Paradoxalement, l’IA n’est pas l’affaire de geeks, mais de tous ceux qui aiment l’humain.
De Geek à éditeur… est un peu un « grand écart » quels ont été les plus grands défis à relever pour vous ?
D’un point de vue purement pratique, mes compétences informatiques facilitent naturellement la gestion de la chaîne de production qui est totalement informatisée, c’est un plus indéniable pour un éditeur indépendant. Je peux également m’appuyer sur mon expérience en gestion de projets informatiques pour la coordination de l’équipe. Johanna, mon associée et rédactrice en chef, a une grande expérience de l’édition de livres. Ca nous a également aidé même si la presse et le livre sont deux domaines très différents.
Le plus difficile a été d’accepter d’afficher des publicités sur notre site web. C’est un sujet toujours très délicat, quand on se veut neutre. Mais dans la presse gratuite tout comme dans le monde de l’informatique open source, des financements sont nécessaires si l’on veut se développer au service du public. Ce que nos lecteurs comprennent au final très bien, puisqu’ils créent ou utilisent eux-mêmes des produits open source.
La publicité soulève deux problèmes si l’on veut être complets sur le sujet. Le premier est celui de l’éventuelle perte de neutralité éditoriale : Nous avons suffisamment de rubriques pour ne pas dépendre d’un annonceur et nous avons le sentiment d’avoir un contrat de confiance tacite avec nos lecteurs, nous savons que s’ils consultent notre site, c’est parce que notre traitement rédactionnel est complètement décorrélé de nos annonceurs. Nous distinguons clairement les publicités du contenu rédactionnel. Le deuxième risque, quand on se veut fédérateurs et représentatifs de l’écosystème IA français, serait de permettre à nos sponsors d’obtenir de la visibilité sans permettre aux petites startups qui se lancent d’en obtenir. Or, nous permettons à l’ensemble des acteurs de l’écosystème, du freelance au grand groupe, d’obtenir un compte contributeur expert afin de publier des actualités et tribunes gratuitement sur notre site.
Comment se procurer ActuIA ?
Le magazine sera disponible dans de nombreux points de vente ainsi que par abonnement sur notre site internet. Nous vous invitons à vous rendre sur https://boutique.actuia.com pour obtenir plus d’informations.
À votre avis, quel est le plus gros challenge du métier aujourd’hui en France ?
La presse est obligée de se réinventer et de réinventer son modèle économique. Je comprends que ce soit très difficile pour les médias qui sont nés avant l’ère internet. Nous faisons partie d’une génération de médias qui se sont lancés en connaissance de cause, notre situation est donc toute autre, nous nous sommes bâtis sur internet. Je pense que le plus grand risque pour l’ensemble des médias serait de faire de la résistance et de vouloir camper sur des positions qui vont à l’encontre du train en marche. Certaines décisions risquent à mon sens de revenir à couper la branche sur laquelle on s’assoit. Le plus gros challenge est de réussir à intégrer le progrès et l’accompagner d’une façon qui soit conforme à ses convictions, sa déontologie et de réussir à avoir une vraie vision sur le long terme. Le progrès, ce n’est pas simplement de nouveaux outils, c’est également une évolution des usages, des modes de pensée. J’évoquais précédemment les technologies de génération automatique de texte. Il existe des centaines de façons d’envisager leur utilisation. Celui qui pense pouvoir remplacer ses équipes de rédaction par ces outils fait fausse route. Celui qui pense pouvoir s’en passer également. Il y a entre les deux tout un éventail de possibilités et personne ne peut encore dire quelle sera la meilleure.
L’autre challenge est celui de la pression de l’urgence. Vérifier des informations prend du temps et même les médias les plus sérieux s’emballent parfois car ils sont soumis à une pression permanente. Là encore, les outils techniques peuvent être d’une grande aide à la vérification des informations, cela va notamment devenir indispensable avec les deepfakes mais ils ne peuvent totalement remplacer une vérification humaine. La course est sans fin et paradoxalement, l’avalanche d’informations contribue à les rendre inaudibles.
Il est aussi possible de prendre le contre-pied et de délibérément prendre du recul. C’est en tout cas le choix que nous faisons avec notre magazine trimestriel.
Catherine Cervoni RP – Relations Presse, médias et d’influence.