Christophe Ginisty, influenceur online, professionnel de la communication et des relations publiques, et était, il y a peu, Président de l’International Public Relations Association – IPRA. Nous lui avons demandé de revenir sur quelques questions que soulèvent notre profession.
Un article récent du journalismes.info ayant pour titre « DNP propose un abonnement direct aux journalistes. » tend à nous montrer que le métier du journalisme ne cesse de se transformer vers plus d’autonomie: la crise de la presse, la difficulté depuis de nombreuses années de trouver un model économique numérique viable. Quel sera selon vous le rôle de celui-ci dans le concert du flux informationnel face à la montée en puissance du big data?
Je suis convaincu depuis des années que le vrai enjeu est celui du tempo et de la périodicité. Les journalistes ont perdu la bataille de l’immédiateté, de l’information chaude. Quand vous avez des millions de twittos ou d’internautes qui vous informent chaque seconde sur ce qui vient de se passer dans le monde ou dans votre quartier, vous n’avez plus besoin de journalistes pour vous apprendre une information. Par contre, vous avez toujours besoin d’eux pour la décrypter, prendre de la hauteur, partager une analyse. Aujourd’hui, l’AFP c’est Twitter (en caricaturant un peu, je l’admets). Il faut que les journalistes se déplacent, prennent leur distance par rapport à la dictature de l’urgence et reviennent à une pratique qualitative de leur profession. Quand on voit le succès de revues telles que la revue 21 qui font la part belle aux reportages qui vont au fond des choses, on se dit que les journalistes ont encore toute leur place dans notre monde. Il faut juste qu’il acceptent de lâcher prise sur l’information en temps réel qui n’apporte rien au public et qui est par ailleurs source de toutes les désinformations.
Vous avez écrit : « Les RP sont un processus stratégique de communication visant à bâtir des relations mutuellement bénéfiques entre des organisations et leurs publics. Mais les raisons de son évolution sont ailleurs. » Pouvez-vous revenir sur les raisons de ces changements structurels. Comment se fera, selon vous, l’évolution de cette profession dans la communication « globale »?
Je suis convaincu que les foules sont devenues des médias à part entière. Quand j’ai commencé ce métier, notre objectif était d’informer des journalistes de manière qualitative afin qu’ils informent à leur tour les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs. Désormais, je n’ai presque plus besoin des journalistes pour toucher les parties prenantes, je peux converser directement avec elles via les médias sociaux. Cela change tout sur la façon de faire notre métier. Notre terrain de jeu a tout simplement changé. La difficulté aujourd’hui est de savoir comment fonctionnent ces foules qui sont à notre contact, ce qui les animent, les motivent, les émeuvent,… Nous devons collecter des données sur ce qu’elles sont (d’où l’impérieuse nécessité de s’intéresser au big data) et entamer un dialogue attentif, constructif et prudent avec elles. Pour y parvenir, nous devons notamment nous éveiller aux sciences sociales que sont la sociologie et la psychologie. A terme, ceux qui font des RP seront issues de ces cursus.
Lors du ReputationWar 2014, Aude Baron et Morvan Boury nous disaient que les responsables d’édition ne se contentent plus de transmettre une information parce qu’elle existe mais parce qu’elle va intéresser et provoquer une émotion chez les lecteurs. Le « média presse » se met au niveau du « média foule ». L’irrationnel a t-il pris le dessus sur l’informationnel, comme le montrait votre article : « Que nous apprend le selfie ridicule des journalistes français dans le bureau ovale… » ?
L’irrationnel a toujours dominé la nature humaine. Ce qui est nouveau n’est pas tant que les gens réagissent de manière émotionnelle mais que cette émotion soit partagée et devienne un média. Ne nous trompons pas dans nos analyses, Internet et les réseaux sociaux n’ont rien inventé, ils n’ont pas créé ce goût pour l’irrationnel dans l’opinion, ils en ont fait une information virale. C’est ce que j’essaye de démontrer dans la conférence ReputationWar, l’émotion est le principal moteur des réseaux sociaux. D’ailleurs, le symbole de Facebook, ce fameux « Like » n’est rien d’autre qu’une icône de l’émotion partagée. Des centaines de millions de personnes dans le monde se retrouvent à chaque instant en ligne autour de ce besoin de se dire les uns aux autres que l’on aime quelque chose.
Durant toute l’histoire de nos sociétés, celles-ci ont vu co-exister des contre-pouvoirs. Quel est selon vous la forme que ceux-ci prendront pour mettre en « distance » ces grands mouvements de fond du vivre ensemble?
Je suis très admiratif de la capacité des hommes à se mobiliser pour créer quelque chose d’innovant. Internet est une invention humaine, fruit d’une formidable créativité partagée. Chaque jour, les hommes inventent de nouvelles manières de faire des choses ensemble et, à ce titre, je crois que ce sont ces mobilisations qui verront germer les vraies zones de contre pouvoir. Je voudrais en citer deux qui ont un impact sur la communication : les pétitions en ligne, le fact checking. Le fait pétitionnaire va prendre une ampleur considérable à mesure qu’il va se sophistiquer et se parer des outils du web social. Il va contraindre les organisations à beaucoup plus d’éthique et de vigilance dans le respect des valeurs qui sont les leurs. Le fact checking qui consiste à proposer une vérification par les faits aux déclarations des organisations communicantes va bouleverser la communication dans son ensemble en combattant les tentatives de désinformation et de manipulation.
Pouvez-vous revenir sur les raisons de la création du Club du Community Management Stratégique. Et nous expliquer les grands axes stratégiques et comment comptez-vous communiquez sur cette question?
Dans les années 70, les inventeurs de la théorie de la Pyramide Inversée prophétisaient sur le fait que la personne la plus importante de votre organisation était celle au contact du public. Eh bien, en 2014, je voudrais reprendre cette affirmation pour alerter les directions générales sur l’importance vitale et stratégique du community management. Que fait un CM dans sa vie de tous les jours sinon interagir avec des clients, les renseigner, accueillir leurs réclamations et s’exprimer au nom de l’entreprise. Dans un processus de gestion de l’image et de la réputation, il n’y a rien de plus stratégique que ça à mes yeux et c’est pour le faire savoir que j’ai eu l’idée de créer ce club. Je veux vraiment que les organisations communicantes s’aperçoivent que, au-delà de l’image d’Epinal du jeune CM issu de la génération Y qui passe sa vie sur Facebook, la fonction d’engagement avec le public est une fonction clé. Je veux rassembler celles et ceux qui en sont convaincu et créer un vrai centre d’expertise convivial et puissant.