#JaimeLaPresse
Culture RP a rencontré Nathalie Desaix, directrice de la marque 20 Minutes.
Si vous deviez citer LA grande évolution du métier l’info ces 10 dernières années, ce serait laquelle ?
D’un modèle « broadcast », les médias ont dû passer à un fonctionnement en réseau avec les audiences. Le numérique a donné aux audiences les outils pour réagir, participer et enrichir les contenus. Le temps réel a également impacté les organisations et les méthodes de travail.
Et évidemment, les réseaux sociaux, les groupes privés, les messageries instantanées, les bots, les enceintes connectées, l’IA ont encore accéléré la mutation du métier :
– Tout cela a fait naître un journalisme augmenté,
– Plus participatif,
– Plus horizontal,
– Plus vivant,
– Et nécessairement plus vigilant.
La vérification, la hiérarchisation et la curation de l’information sont et doivent rester la base du métier de journaliste. Il n’y aura jamais 65 millions de journalistes. Pour autant, quand un média tel que le nôtre touche plus d’un Français sur trois chaque mois, il y a forcément des gens dont le point de vue, l’expérience ou l’expertise peuvent apporter un éclairage complémentaire et pertinent aux contenus produits par nos journalistes.
Cette nouvelle dimension participative représente une formidable opportunité de recréer la confiance.
Les évolutions futures de la presse sont souvent vues par le prisme du numérique. La presse écrite peut-elle toutefois conserver une approche innovante ?
20 Minutes est un média jeune. L’innovation fait partie de notre ADN. Nos lecteurs sont jeunes, actifs et urbains, très connectés et complètement dans les nouveaux usages. C’est donc essentiel pour la marque de conduire une stratégie R&D permanente. Les ¾ de notre audience sont sur le numérique, c’est évidemment dans ce domaine que nous multiplions nos développements : IA, bots, enceintes connectées, etc. Pour autant, le journal demeure – 16 ans après son lancement – le journal le plus lu en France devant Le Monde, Le Parisien, Le Figaro, … Et nous veillons à ce qu’il le reste ! Il y a aussi un indicateur très important pour nous : le journal 20 Minutes est très lu par les jeunes 18-30 ans (plus d’un million), et de plus en plus…
Nous menons ainsi tous nos projets de façon transversale, afin qu’ils servent à tous nos supports, dont le journal. La refonte de la maquette cette année est un bon exemple. C’est en sollicitant directement nos lecteurs et en créant un groupe sur Facebook que nous avons mené ce projet. Les arbitrages ont eu lieu avec eux.
Le vrai enjeu est d’être là où sont les gens, là où ils partagent, sur leur mobile, dans les transports en commun comme sur les plateformes sociales.
Comment l’activité est-elle aujourd’hui répartie en interne entre le print et le digital ?
Chez 20 Minutes, l’organisation est orientée « digital first ». Tous les journalistes écrivent pour le numérique. Puis les métiers d’édition et distribution de l’info gèrent la vie des contenus sur les différentes plateformes. Aujourd’hui, c’est le mobile qui est le premier support de 20 Minutes.
Sur le plan éditorial et marketing, nous avons l’habitude de dire que nous sommes structurés comme un pure-player qui édite aussi un journal… En termes économiques, le numérique pèse de plus en plus dans la rentabilité du modèle. Le chiffre d’affaires publicitaire en provenance de ce canal a connu une croissance à deux chiffres sur le dernier exercice financier.
Le modèle économique de 20 Minutes repose sur la gratuité pour les lecteurs et est financé par la publicité. Ce modèle est-il toujours pérenne ? Ne subissez-vous pas la baisse des recettes publicitaires ? Si oui comment 20 Minutes compte-t-il palier cette baisse de revenu ?
D’abord, il faut savoir que 20 Minutes est une entreprise indépendante et rentable depuis 10 ans dont l’actionnariat est composé de deux acteurs exclusivement centrés sur l’info (Rossel et Ouest France).
Le modèle est solide parce que 20 Minutes a franchi un seuil : la croissance des revenus sur le numérique dépasse l’érosion des revenus print. Après avoir effectué la transition numérique au niveau éditorial, celle du modèle économique est effective elle aussi.
En parallèle, le marché publicitaire est en pleine mutation, les leviers de monétisation évoluent : on constate une baisse des revenus publicitaires dits « classiques » (display) et en parallèle une très forte croissance des revenus issus de la vente en programmatique, le contenu de marque et les opérations spéciales.
D’après notre étude State of The Medias, un des grands challenges des médias est de retrouver un équilibre face à Google et Facebook, qui diffusent vos contenus tout en s’accaparant 90% des recettes publicitaires. Est-ce également une considération importante pour vous ? Comment voyez-vous le fait que le Parlement Européen ait adopté le concept de « Droit Voisin » ? Est-ce une bonne solution de votre point de vue ?
Il ne faut pas se tromper de combat. Penser remporter le jeu face à ces mastodontes est une illusion. Chez 20 Minutes, nous pensons qu’il faut faire avec eux parce que c’est là que se trouvent nos audiences et en même temps, ils sont nos principaux concurrents publicitaires. Nous travaillons avec les GAFAM quand cela est pertinent pour nous et pour nos audiences. Par exemple, dans la lutte contre les fake news avec Facebook.
Ils sont finalement nos « frènemis » … Mais surtout, les GAFAM et nous ne faisons pas le même métier.
Notre fonction en tant qu’éditeur d’information, c’est de nourrir les débats d’idées, de rechercher, de vérifier, de fournir une information fiable et non partisane au plus grand nombre. Facebook ou Snapchat n’initient pas de conversations, ils donnent les moyens d’en avoir alors que les médias sont initiateurs et animateurs de contenus et de conversations. Pour les annonceurs, la différence fondamentale réside ici. Nous ne sommes pas seulement des inventaires avec de la data derrière. Notre environnement est un contexte de contenus résolument « brand safe ».
Enfin, pour ce qui concerne le concept de « droit voisin », c’est évidemment positif car c’est l’opportunité de rémunérer les contenus que les GAFA utilisent et relaient. C’est la reconnaissance de la valeur du contenu.
Intelligence Artificielle et journalisme : qu’en pensez-vous ? Auriez-vous des exemples de cas où le journalisme aurait intégré l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle est une opportunité pour revenir aux fondamentaux du journalisme, car bien utilisé permet d’automatiser des tâches sans réelle valeur ajoutée. Par exemple, nous avons déjà intégré de l’IA dans notre CMS qui permet des tags automatiques, la suggestion de visuels de notre banque d’images, ou le référencement de liens vers d’autres articles déjà produits par la rédac sur le sujet de l’article. La rédaction utilise aussi ce type de solutions pour couvrir certaines actualités qui ne nécessitent pas de traitement journalistique particulier telles que les résultats sportifs, les prévisions météo, les résultats chiffrés hyper-géolocalisés de scrutins électoraux.
L’automatisation de ce type d’articles répond alors à des enjeux de couverture maximale des sujets et de réactivité. Surtout, elle libère du temps aux journalistes afin qu’ils se concentrent sur d’autres articles. Il faut envisager ces nouvelles technos comme une assistance. Il n’est pas du tout question de remplacer les journalistes par des robots.
Merci à Victor Ebalard, Account Manager pour la réalisation de cette interview 🙂