Du 19 au 23 novembre prochain, en marge du sommet des chefs d’états de la francophonie, se dérouleront à Dakar les 43 èmes assises de la presse francophone. Un événement organisé par l’Union de la Presse Francophone dont nous avons rencontré le secrétaire général international, Jean Kouchner. Nous avons évoqué avec lui le rôle de son organisation, mais aussi parlé de liberté de la presse, de l’influence des médias francophones et de la nécessaire aide au développement dont ont besoin ces mêmes médias, particulièrement en Afrique.
Mr Kouchner, vous êtes le secrétaire Général International de l’UPF. Pouvez-vous nous décrire votre rôle au sein de l’UPF et quel est l’objectif principal de votre organisation ?
Je suis secrétaire général international, ce qui veut dire que c’est moi qui coordonne et qui organise le fonctionnement de l’ensemble des activités de l’union de la presse francophone. Évidemment cela se fait sous l’autorité collective du bureau de l’organisation et de son président. L’objectif c’est de regrouper l’ensemble des journalistes et des médias de telle façon que nous réfléchissions ensemble aux problèmes qui se posent aux médias et aux journalistes francophones et que nous tentions d’y trouver des solutions par des échanges d’expériences.
Justement, quelles sont les principales thématiques qui guident votre réflexion ?
Évidemment, il y a toutes les questions liées au développement de ces médias francophones et notamment des nouveaux médias et puis ce sont toutes les questions qui sont liées à la pratique journalistique et à la presse en général. Par exemple, le fait que la presse ne paraît pas toujours dans un environnement de liberté fait que nous attachons beaucoup d’importance aux questions de la liberté de la presse et à celle des journalistes.
Plus de 300 journalistes vont se réunir à Dakar cette semaine et débattre de la question « quels médias francophones demain » … Pouvez-vous justement nous en dire un peu plus sur les enjeux du développement des médias francophones de demain?
La tendance générale est au développement des médias numériques conforté par le fait que le rapport entre les jeunes- qui veulent s’informer – et les médias change fondamentalement. Les jeunes achètent moins les journaux écrits. Ils sont plus utilisateurs du numérique avec tout ce que cela comporte. Par conséquent, c’est un domaine qu’il nous faut explorer tous ensemble, encore une fois avec des expériences qui sont diverses d’un pays à un autre, d’un média à l’autre.
Le but est d’échanger et de regarder les bonnes expériences et les erreurs qui ont été commises puis d’encourager l’ensemble des médias existants et ceux encore à naître, à faire en sorte que se développe ce moyen d’information.
Au-delà, ce qui compte avant tout, c’est une bonne information pour les citoyens, on n’est pas citoyen si on n’est pas bien informé.
Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours et qu’est-ce qui vous a amené à briguer un mandat de secrétaire générale de l’UPF ?
Cela fait longtemps que je suis journaliste. J’ai un passé de journaliste qui est lié à l’exercice de mon métier aussi bien en presse écrite qu’en radio et en télévision, et lié aussi à la formation. J’ai dirigé notamment le CFPJ de Montpellier et son secteur international. C’est là que je me suis intéressé de plus près aux organisations internationales de journalistes et de médias et c’est comme cela que j’ai rencontré l’UPF.
Nous avons été un certain nombre à considérer que le contenu de l’UPF n’était pas assez dynamique. Nous avons donc essayé de le changer, de lui donner du contenu, un vrai contenu car c’est une organisation très utile pour de nombreux journalistes et médias dans le monde. Nos propositions ont été majoritairement soutenues et puis on m’a élu au poste de secrétaire général international.
L’UPF a 35 sections nationales. Parlez-nous d’un pays en particulier pour illustrer comment fonctionnent les sections locales ?
Nous sommes une ONG et donc dans ce type d’organisations, il y a des gens qui sont actifs et d’autres qui le sont moins. Il y a des degrés divers de mobilisation des sections. Le Cameroun a une section très active par exemple. Ils se réunissent régulièrement et mettent en place des formations dont ils estiment avoir besoin. Ils le font de manière totalement indépendante. C’est une chose importante à dire : les sections sont maîtresses chez elles. On n’a pas à intervenir dans leur vie sauf si, bien sûr, cela remettait en cause les orientations générales et le fonctionnement ouvert et démocratique de l’organisation. Il y a de la formation mais il y a aussi de nombreuses sessions d’échange à l’intérieur du pays où les journalistes du Cameroun discutent de l’organisation des médias et de problèmes divers, y compris des problèmes de liberté de la presse qu’ils peuvent rencontrer.
L’UPF défend donc la liberté de la presse dans de nombreux pays. Vos sections locales peuvent-elles rencontrer certaines difficultés lorsque confrontées à la réalité du terrain ?
Oui, c’est arrivé. On essaye d’être derrière eux, on se concerte avec d’autres organisations internationales et on essaye de faire avancer ces questions. Il y a parfois des situations dans certains pays où les situations sont contradictoires et compliquées. Prenons l’exemple du Burkina actuellement. On n’a pas à juger de l’aspect politique des choses. La question que l’on se pose, c’est est-ce que les médias au Burkina peuvent faire leur travail dans des conditions normales ? On a pas à intervenir sur le plan politique, on n’est pas là pour dénoncer telle ou telle dictature, ou problème dans un pays. Ça c’est l’affaire des journalistes de ces pays là. S’ils peuvent le faire, alors tant mieux, s’ils ne peuvent pas le faire, alors là, on peut essayer avec eux d’intervenir pour défendre leur champ d’activité.
L’UPF est donc une organisation francophone qui réunit les médias de langue française. Au-delà de la langue, qu’est ce qui réunit également ces médias de pays différents ?
La langue au fond, c’est un outil de communication. C’est ça qui facilite les rapports. Ce qui rapproche, c’est le souci d’exercer son métier dans les meilleures conditions du point de vue de la liberté de critique. Ensuite, il y a les questions de développement économique parce qu’évidemment pour se développer les médias ont besoin de financement, d’argent. Évidemment, ce n’est pas simple et l’apport des lecteurs et des différentes redevances pour la télévision ou la radio -quand ça existe- ou de la publicité sont des questions qui se posent différemment d’un pays à l’autre.
Nous échangeons donc sur l’ensemble de ces problèmes qui se posent de façon récurrente.
Et comme il y a de bons exemples dans de nombreux endroits- y compris sur les médias numériques – c’est intéressant de savoir de quelle manière ils ont procédé,dans quel contexte économique, quels problèmes ils ont rencontrés et quelles solutions ils ont trouvé.
De nombreuses études montrent que le français sera parlé par plus de 700 millions de personnes dans le monde d’ici à 2050. Quels impacts et quels défis pour la presse francophone dans le monde ?
Lorsque l’on parle de 750 à 800 millions de locuteurs francophones, on oublie qu’il s’agît de projections de natalité et que les gens ne sont pas amenés à parler français par automatisme parce qu’ils sont nés dans un pays où l’on parle en partie français.
Le français n’est jamais la seule langue dans tous ces pays. Le français continuera à être parlé si le contexte de l’éducation et puis ensuite des médias francophones l’encourage et le permet.
Ce qui veut dire que l’on a un rôle essentiel à jouer. Il n’y aura pas de développement de la francophonie s’il n’y a pas de développement des médias, et des médias en général en termes d’informations de qualité et de programmes. Si l’on veut que le français continue à se développer, il faut, encore une fois, avoir les outils pour cela. Les outils, ce sont d’abord l’éducation puis les médias.
Et les médias anglophones, y a-t-il une lutte d’influence, une rivalité qui existe entre médias des deux langues ?
Cela dépend dans quel pays ! Au Cameroun par exemple, il y a une rivalité « entre guillemets » entre l’anglais et le français qui est relativement importante. Les médias anglophones gagnent du terrain. Il n’y a pas encore lieu d’être inquiet mais il faut prendre en compte cet état des lieux.
Il faut faire en sorte que le Français puisse conserver la place qu’il a.
Notre objectif n’est pas que le français domine l’anglais ou l’inverse c’est que chacun garde ses spécificités. Prenons l’exemple québécois où nos amis québécois se bagarrent pour garder le français et ils y arrivent assez bien d’ailleurs. C’est ce statu quo et cette multiplicité des langues qui sont intéressants.
J’ai pris l’exemple du Cameroun mais il y a aussi le Sénégal où l’on parle de plus en plus le wolof. Est-ce que l’on parle moins le français ? Je ne le crois pas… Encore une fois, ce n’est pas dans un esprit de domination, d’écrasement d’une autre langue que je me place, c’est dans un esprit de diversité des langages.
Revenons sur le débat qui voudrait opposer les médias anglophones et francophones. Au sujet de l’Afrique, Mr Constant Nemale, fondateur de la chaîne Africa 24, a déclaré récemment que » la presse francophone avait déjà perdu la bataille technologique et la bataille du financement, et que là où elle pouvait encore agir, c’était au niveau de la bataille des contenus « . Que pensez-vous de cette affirmation ?
Effectivement la bataille technologique, je ne sais pas si on peut dire qu’elle est perdue, de mon point de vue, on n’en est pas certain. Les français ainsi que les médias francophones ont aussi contribué à l’évolution des techniques sur ce plan mais il est vrai que les grandes organisations de réseaux numériques sont d’origine anglophone. Cela dit, la technologie est la même pour tous lorsqu’elle s’applique. C’est par le contenu que l’on se distingue.
La bataille du financement, c’est un peu la même chose…et sur ce plan là, celui du financement, oui la France est un peu en retard. En tout cas, pour le moment, on ne trouve pas suffisamment de moyens pour développer des médias au contenu francophone… Dans beaucoup de pays, c’est un besoin important. Et pour l’Afrique, c’est singulièrement vrai.
Comme vous le savez sans doute, en 2015, les réseaux numériques en télévision vont s’imposer en Afrique. Mais qu’est ce que l’on va mettre sur les réseaux ? Il ne suffit pas d’avoir 15, 20 ou 30 fréquences ou longueurs d’ondes pour avoir de nouvelles chaînes à disposition… La question est quelles chaînes va-t-on mettre, et avec quel contenu ?
Justement, on en est où de la création de nouvelles chaines en Afrique Francophone ?
C’est un problème, parce qu’il y a des investissements étrangers importants en Afrique…Ces investissements sont d’origine chinoise, anglaise, américaine et très peu d’origine française ou de pays francophones. Donc la question du financement est posée. Et puis même si la France est un fournisseur d’aide et de coopération important, ça se passe plus par le biais de l’Europe et la participation française a considérablement baissé depuis 15-20 ans.
Donc il y a un problème direct d’efficacité des aides aux médias francophones. Et cette question, quand on parle de médias francophones, elle se pose naturellement pour les contenus. Qu’est-ce que l’on va mettre sur ces nouveaux tuyaux ?
Ou bien on achète des feuilletons à un prix dérisoire et de médiocre qualité aux anglophones, aux chinois ou aux japonais, ou alors on essaye de promouvoir et d’avoir une vraie politique de création et de diffusion de contenu francophone. Et cette bataille là, il faut absolument la gagner…
Propos recueillis par Alexander Paull