Culture RP a rencontré Stéphane Billiet, Président de We agency, agence conseil en communication relationnelle ; pour la réédition de son ouvrage « Les Relations Publics ou refonder la confiance entre l’entreprise, ses marques et leurs publics » – Ed DUNOD. Il est Maître de conférences associé au CELSA Paris-Sorbonne, administrateur de Syntec Conseil en Relations Publics et de l’Adetem. Depuis plus de 25 ans, il accompagne les entreprises et les institutions dans la compréhension des dynamiques de l’opinion et de la gestion de leurs écosystèmes relationnels.
« Confucius recommandait de se regarder scrupuleusement soi-même et de ne regarder que discrètement les autres. En matière de réputation d’entreprise, il en va tout autrement : le regard se fait facilement accusateur ! Pour l’entreprise, c’est l’épreuve de vérité. Une vérité relative, éminemment dépendante de celui qui regarde, du contexte et des circonstances du regard. Une zone de risque que gèrent les professionnels des relations publics. » – Stéphane Billiet.
Si les blogueurs, twittos, youtubeurs, intagrameurs bousculent les pratiquent établies, ces influenceurs digitaux ne remettent toutefois pas fondamentalement en cause l’essence même de l’utilité et de la finalité des Relations Publics. Pourquoi le concept POEM (1) confère aujourd’hui aux relations publics un nouveau statut dans le panthéon de la communication ?
Au temps où la pub occupait le haut du pavé, les RP étaient reléguées « below-the-line ». Réduites aux relations presse, elles étaient le plus souvent appréhendées comme la 5e roue du carrosse ! Une première étape vers la reconnaissance a été franchie en 2002 avec la parution du livre « La pub est morte, vive les RP ! ». La traduction française du titre, qui résonnait comme une prédiction de mort de la pub, a un peu caricaturé le propos du livre, c’est dommage. En fait, l’essai d’Al et Laura Ries portait un message fort : les RP d’abord, la pub ensuite. L’idée que les RP pouvaient faire jeu égal avec la pub était lancée ! Mais, ce qui a définitivement joué en faveur de la reconnaissance des RP, c’est le digital. L’émergence des nouveaux influenceurs, portée par l’explosion du web social, a revalidé à la fois le procédé et la proposition de valeur des relations publics. Le « Paid Media » a montré ses limites au profit du « Earned Media » dont les RP sont les spécialistes « natives » si je puis dire. Cette approche « horizontale » des médias – POEM – a bousculé la hiérarchie des techniques de communication et (enfin !) révélé l’irremplaçable contribution des RP au mix marketing/com. D’ailleurs, c’est un signe, on parle bien moins aujourd’hui « d’image de marque » que de réputation. La communication est de plus en plus relationnelle, c’est pourquoi, à l’heure des médias sociaux, les mots des Relations Publics – opinion, confiance, conversation – entrent en totale résonance avec l’aspiration des publics à plus d’écoute, plus de respect, plus de coopération. Pour enfoncer le clou, Syntec RP a développé une campagne intitulée #PRMakeSense dont le message est sans ambiguïté : communiquer sans RP, c’est communiquer à moitié !
Vous avez chapitré votre ouvrage sous la forme d’un récit en trois grandes parties : Penser les relations publics comme un facteur d’efficacité ; Élaborer et conduire une stratégie de relations publics ; et Envisager une pratique contemporaine des relations publics. Pourquoi selon vous le rôle des relations publics est d’accompagner la création de valeur par la bonne gouvernance de la réputation d’une marque, d’une entreprise ?
Les missions assignées aux RP sont plus cruciales que jamais ! En donnant un pouvoir d’influence à un plus grand nombre d’individus, les médias sociaux ont terriblement complexifié les dynamiques de l’opinion. Trois phénomènes se conjuguent : l’accélération du rythme de production de l’information, la démocratisation de l’accès à la connaissance et la facilité, pour tout un chacun, de publier son opinion sur un grand nombre de supports. Cette nouvelle donne de l’influence modifie les rapports de force et renforce la capacité d’expression des contestations. Pour une entreprise, une marque, un manager, il ne s’agit plus seulement d’être vu (notoriété), compris (pédagogie), mis en valeur (image), il faut être accepté par une opinion critique qui n’hésite pas à exprimer et à partager son opinion, parfois même jusqu’à la fake news. L’époque rend très explicite la raison d’être ultime des Relations publics, l’acceptabilité sociale, ce « licence to operate » qui se mérite et se préserve non pas en gérant l’image mais en construisant la réputation. Dans cette société du jugement, on comprend mieux que la réputation n’est pas une fin en soi mais une condition, un viatique pour réussir durablement sur le marché !
Quelles sont les bonnes pratiques, les grandes lignes directrices qui visent à établir et à maintenir les liens réciproques de communication, de compréhension, d’acceptation et de coopération entre une organisation et ses publics ?
La réponse est dans la relation ! La bonne pratique des relations publics c’est, d’une part, d’installer un système relationnel efficace avec ses différentes parties prenantes et d’autre part, de développer des contenus pertinents pour le dynamiser dans la durée. On oppose parfois « relation » et « contenu » mais c’est absurde parce que la relation, c’est à la fois la rencontre et le récit : relier des individus, des groupes et relater des faits. Une chose est sûre, des relations absentes, méfiantes ou mauvaises sont un facteur prédictif de risque.
Les relations publics cherchent-elles à influencer les influenceurs, l’opinion publique existe-t-elle ?
Quand Bourdieu écrit en 1972 que l’opinion publique n’existe pas, il fait le procès de ceux qu’on n’appelait pas encore « influenceurs » à l’époque. Oui, les relations publics cherchent à influencer les influenceurs ! Les médias, bien sûr, mais aussi tous les leaders d’opinion qui, par leur expression dans l’espace public, exercent une influence sur leur entourage. Aujourd’hui, beaucoup font la critique du « système ». Mais en démocratie, ce système qu’Edward Bernays nommait « gouvernement invisible », est un facteur d’équilibre. Depuis Platon, on sait que l’opinion (la doxa) est dangereuse car émotive, réactive, volatile. Pour ma part, je considère qu’influencer les influenceurs est un devoir démocratique !
Les relations publics sont à la fois une pensée stratégique et une technique de gestion de la communication. Pouvez-vous nous éclairer sur la méthode « RACE », « COMPAS » et de l’importance pour les grandes agences de relations publics avec le concours du Syntec Conseil en Relations Publics, d’avoir édité en 2014, le premier référentiel de mesure des relations publics ?
Un bon relationnel ne suffit pas à faire un bon professionnel des RP ! Les relations publics sont une démarche stratégique complexe qui doit rendre compte de sa performance. Planifier et mesurer les résultats est la seule manière de faire du bon travail. Les méthodologies auxquelles vous faites référence ont été développées pour aider les professionnels à planifier leurs actions en les inscrivant dans un cadre stratégique et à les mesurer pour rendre tangible leur contribution à la performance business.
L’acronyme RACE, par exemple, signifie Recherche, Analyse, Communication et Évaluation.
C’est une structure qui guide l’élaboration d’un plan de relations publics. La première étape doit permettre de définir et de documenter la problématique, la deuxième d’analyser le contexte de l’action, la troisième de définir la stratégie des moyens et la dernière de définir la manière d’évaluer la performance. Quant au référentiel de mesure des relations publics, il doit permettre à tous les professionnels de produire une mesure fiable, commune à tous, qui soit compréhensible par nos donneurs d’ordres et adaptée à la pluralité de nos actions. Pour moi, le plus grand mérite de ce référentiel est de faire comprendre que, parce que les relations publics sont par nature multi-objectifs, multi-techniques et multi-publics, il n’y aura jamais un et un seul instrument de mesure mais plusieurs, adaptés à ce qu’on veut mesurer.
Vous écrivez « Dans un contexte de changement permanent, il faut voir l’équilibre comme une suite de déséquilibres et donc le capital social comme flux et non un stock ». Alors que la relation des uns aux autres s’individualise, s’expertise, se personnalise, quelles peuvent être les enjeux, le nouvel espace, la relation durable des relations publics à l’avenir envers leurs publics, tous les publics ?
Edward Bernays nous a laissé en héritage l’ingénierie du consentement. Moi, je plaide pour que lui succède l’ingénierie du consensus, une approche plus contemporaine car plus participative où une marque ne cherchera pas à persuader les consommateurs d’acheter ses produits mais leur proposera de se retrouver avec elle sur un socle de valeurs partagées, dans une relation qui crée du sens et du lien. Ces démarches se répandent, il faut qu’elles se généralisent car c’est le sens de l’histoire, il me semble ! Et pour les professionnels des relations publics, c’est une chance de faire évoluer leur pratique vers plus de médiation. J’espère que dans la galerie de portraits des relations publics, on ajoutera bientôt la figure du diplomate à côté de celle de l’avocat.
Quel est le Graal communicationnel recherché ? L’engagement ? La confiance ?
La confiance est la condition de l’engagement ! Le problème avec les mots à la mode, comme « engagement », c’est qu’à force d’être employé, ils perdent de leur sens. L’étymologie du mot rappelle utilement que s’engager, c’est donner un gage, c’est se lier à l’autre par une promesse qui doit être exécutée, par un contrat qui doit être respecté. Un coup de canif dans le contrat de confiance et l’engagement est rompu. Rechercher l’engagement par le like ou le share n’est pas suffisant. Il ne peut y avoir engagement durable et fructueux que dans la relation. C’est en cela que les relations publics révèlent leur capacité à créer de la valeur durable.
(1) POEM, acronyme de « Paid, Owned, Earned Media.