C’est à l’occasion de l’évènement « La Presse au Futur » qui s’est déroulé du 26 au 27 novembre dernier que Marie-Catherine Beuth, correspondante Silicon Valley du Figaro et chroniqueuse sur RFI, est intervenue pour parler des dernières tendances digitales et print aux USA. Un sujet que cette « Fellow Knight » -du nom de la bourse d’excellence John S. Knight de l’université de Stanford en Californie- connaît puisqu’elle a elle-même imaginé et développé une application news innovante appelée NOD (News on Demand), sortie aux USA fin 2014.
Culture RP l’a donc rencontrée pour évoquer avec elle un certain nombre d’éléments à l’œuvre aujourd’hui au sein du secteur de la presse aux États-Unis mais aussi pour en savoir un peu plus sur son parcours ainsi que sur l’application NOD.
L’Amérique est-il actuellement le pays moteur de l’innovation dans la presse ? Les autres pays doivent-ils s’en inspirer ?
Je n’ai pas assez étudié ce qui se passe ailleurs pour pouvoir dire que les USA est le pays de l’innovation dans la presse. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont une culture de l’innovation et de l’expérimentation qui permet de faire émerger un certain nombre de projets plus facilement. Ils ont également une maturité sur le marché publicitaire qui leur permet peut-être de tenter des choses un peu plus tôt que nous. C’est donc très lié à la spécificité du marché US avec un certain nombre de facteurs structurels et conjoncturels qui leurs sont propres. D’ailleurs, ce n’est pas parce que cela marche chez eux que cela va forcément marcher chez nous. Il faut donc regarder ce qui se passe, s’en inspirer mais ne pas essayer de tout copier.
Vous avez donc présenté 10 tendances de la presse US lors de votre intervention. Si vous deviez définir un fil directeur réunissant toutes ces tendances. Lequel serait-il ?
S’il fallait trouver un fil conducteur à l’ensemble des innovations et projets que j’ai présenté, ce serait le mobile. Pour moi, aujourd’hui, le mobile est au cœur de la révolution et de l’innovation dans la presse. Il permet d’accéder à des infos en temps réel, donc ça change les dynamiques dans les rédactions et cela fait disparaître les critères de temps. Cela a une incidence également sur les formats puis sur l’expérience utilisateur et ensuite sur le type d’engagement que l’on va avoir. Ce qui influe sur le type de publicité que l’on va pouvoir présenter et donc forcément sur les recettes. Selon moi, le mobile est l’élément principal déclencheur de toutes ses innovations et expérimentations journalistiques.
Le mobile est donc amené demain à être le messager principal de l’information ?
Demain ! J’ai presque envie de dire aujourd’hui ! Une étude est sortie récemment. Elle compare le temps passé sur le mobile et le temps passé devant la télé. Le mobile est déjà devenu plus important que la Tv ! La difficulté avec le mobile, c’est que l’on ne consomme pas que du média. Aujourd’hui, c’est déjà important d’être présent sur le mobile mais il faut aussi être conscient que vous y êtes en concurrence avec Facebook, Candy Crush Saga ou encore Angry Birds. Donc, oui, les gens passent plus de temps sur les mobiles mais ce n’est pas pour cela que les gens vont passer plus de temps avec les médias.
Une des tendances qui s’est beaucoup développée aux Etats-Unis ces derniers mois, c’est le Native Advertizing. Qu’est-ce que c’est et qu’est ce que cela reflète de l’enjeu lié à la publicité ?
Pour faire très simple, la native advertizing, c’est en quelque sorte une version un peu évoluée ou un mot un peu chic pour dire publi-rédactionnel. L’idée est de mieux intégrer la publicité dans l’univers rédactionnel. Globalement, la question que se posent les publicitaires aujourd’hui est comment insérer une publicité visuelle dans une interface qui est beaucoup plus fluide plus unifiée ? Le message publicitaire ne doit pas être une disruption dans le fil de lecture mais plutôt une expérience complémentaire ou mieux adaptée à l’expérience de l’utilisateur. C’est pourquoi le recours à l’article sponsorisé est de plus en plus plébiscité.
En 2014, une nouvelle manière de décrypter l’actualité a émergé aux Etats-Unis. C’est le journalisme d’explication ? En quoi cela consiste-t-il exactement ?
Il y a beaucoup de sujets complexes dans l’actualité. Prenons un exemple : le gouvernement présente son budget. Dans pas mal de papiers traditionnels, le journal annonce l’information et fait une interview de deux-trois députés ou experts qui donnent leur avis. Le problème est que si l’on n’ a jamais lu aucun papier sur ce qu’est la présentation du budget de l’état, on va être un peu, voire complètement perdu. Un site comme Vox, par exemple, va décomposer cette actualité en sujets simples et répondre à plusieurs questions. Qu’est ce que c’est le budget de l’état ? Pourquoi il est présenté aujourd’hui ? Pourquoi tout le monde est entrain d’en parler ? Quels sont les points essentiels à considérer dans les annonces qui vont être faites et finalement pourquoi est-ce que ces annonces ont une importance ? L’idée est d’expliquer un fait d’actualité à quelqu’un qui n’y connaît rien comme on expliquerait par exemple quelque chose à un enfant de 5 ans.
Mais analyser et mettre en perspective un fait d’actualité, ce n’est pas ce qui se fait déjà ?
L’idée, c’est justement de ne pas aller dans le fond de l’analyse et de faire des experts qui s’adressent à des experts. C’est vraiment d’expliquer simplement quelque chose de complexe et, du coup, de permettre à quelqu’un de remonter dans le train de l’actualité. Le journaliste ne se met plus dans une posture « je couvre l’actualité mais je la décompose pour la mettre à la portée d’un lecteur qui n’est pas dans le même monde que moi ni de mes interlocuteurs ».
J’ai découvert cette année l’organisation News Deeply qui a décidé, pour mieux expliquer et couvrir un évènement, de créer des sites thématiques dédiés comme avec Syria Deeply et Ebola Deeply. Est-ce également une forme de journalisme d’explication ?
Syria deeply, eux, sont un peu à la marge du journalisme d’explication. Ils s’adressent à des gens qui sont très intéressés par le sujet et qui veulent un décryptage très profond et exhaustif d’une actualité. Par contre, dans la même veine du journalisme d’explication, le New-York Times a lancé un site qui s’appelle The Upshot et qui réfléchit beaucoup à la question de comment faire de l’analyse et utiliser des données pour décrypter des faits d’actualité. Sur le Whasington Post c’est ce que fait également le Wonk blog. L’idée est vraiment de dire voilà les faits d’actualité et voilà les 3 ou 4 questions que vous vous posez.
Vous avez également évoqué l’importance des « Millenials » comme public et consommateurs d’information. En quoi influencent-ils les formats presse et la manière de faire du journalisme ?
Ces « Millenials » imposent de nouveaux usages du web. Ce sont les générations les plus jeunes qui consomment le plus sur le mobile, sur les réseaux sociaux et qui imposent des usages comme le partage d’articles ou la réaction directe via Twitter. Il est donc important de regarder quels sont leurs usages pour pouvoir créer des médias qui correspondent à ce qu’ils font sur le web. Aujourd’hui, la croissance pour les médias vient du numérique donc autant regarder ce que font ceux qui en sont sur-consommateurs et s’adapter à leurs usages qui sont susceptibles de se généraliser demain à l’ensemble de la population.
Parlons de vous. Comment une journaliste française se retrouve « Fellow Knight de Stanford ?
Le Knight Fellowship est une bourse d’excellence qui est ouverte à 20 journalistes chaque année. 12 journalistes américains et 8 journalistes étrangers sont invités à venir travailler avec toutes les ressources de Stanford pendant un an sur un ou plusieurs projets d’innovation média qui permettent de faire évoluer le métier de journaliste. Cela peut être aussi bien une solution technologique comme le développement de l’usage des drones par exemple ou bien une solution éditoriale comme la production de contenu à destination des communautés locales. J’ai rejoint la classe de 2012-2013 et j’ai passé un an à réfléchir à la question de l’amélioration de l’expérience du consommateur d’information en prenant en compte le temps qu’il a de disponible ?
Vous avez donc développé une application qui répond à cette question ?
Oui, c’est une application news anglophone qui s’appelle NOD, libre gratuitement sur Iphone pour l’instant, et qui essaye de résoudre ce problème en sélectionnant chaque jour les 3 actus essentielles avec, pour chaque actualité sélectionnée, une version courte et une version longue issues d’une centaine de sources internationales anglophones. La sélection est faite par un éditeur humain car on estime que cela permet de bien vérifier que les contenus sont pertinents et que ce sont des sources valides. On a aussi implémenté une fonction de « Katch up » qui permet de rattraper l’actualité en fonction de vos besoins. Cela peut aller du rattrapage de l’actu généraliste sur les 3 derniers jours jusqu’à la sélection de sources sur une thématique précise et ce, sur plusieurs mois en arrière. L’idée est ainsi de pouvoir récupérer l’actualité passée.
Pouvez-vous nous donner un exemple de « Katch UP » ?
Vous êtes parti en week-end et vous avez raté l’actualité pendant 3 jours. Le problème, c’est que vous ne voulez pas passer 3 heures à lire l’équivalent de 3 jours de production mais plutôt avoir l’essentiel en 10 minutes. Ce que l’on essaye de faire avec NOD dans ce cas là, c’est de remonter à la surface du contenu pertinent qui ne prend pas plus de 10 minutes à lire et qui résume tout ce qui s’est passé sur les 3 derniers jours.
Propos recueillis Alexander Paull
La conférence » Made In USA » de Marie-Catherine Beuth sur Electric News