Le 2 juin dernier, Jean-Marie Charon remettait son rapport sur le nouveau paysage de la presse à Fleur Pellerin, Ministre de la Culture et de la Communication. Il y présente le « nouvel écosystème des médias » caractérisé notamment par de nouveaux acteurs (start-up, « jeunes pousses éditoriales », infomédiaires…) et l’évolution du métier de journaliste (nouvelles compétences, nouveaux formats, allongement du cycle de traitement de l’information, organisation repensée…). Un vrai « bouillonnement » conclut le sociologue. Les professionnels des relations presse sont bien placés pour l’observer. Et qui dit effervescence du côté des médias, dit branle-bas de combat du côté de leurs interlocuteurs en agence et chez l’annonceur…
Des journalistes toujours plus sollicités
Le rapport évoque les nombreux plans sociaux dans « presque toutes les rédactions des quotidiens nationaux (…) depuis 2010 » et les tensions qu’ils suscitent. Conséquences pour nous : des rubriques disparaissent et les interlocuteurs changent à un rythme plus soutenu qu’auparavant. Faute de journalistes spécialisés sur son sujet, l’attaché de presse devra parfois appeler celui qui couvre plus largement l’économie ou un secteur proche. Moins spécialisé, celui-ci sera moins disposé à l’écouter, d’autant qu’il reçoit plus de communiqués et d’appels (car si les rédactions ont tendance à rétrécir, ce n’est pas le cas du nombre d’entreprises qui souhaitent communiquer…). Le communicant se doit donc d’être toujours plus percutant auprès de journalistes moins réceptifs.
De nouveaux interlocuteurs
Régulièrement, des titres de presse sont rayés de la carte : « 140 quotidiens durant la décennie 2000 » aux Etats-Unis ! Mais le rapport souligne également le foisonnement de pure players d’information en France ces derniers temps. À cela s’ajoute de nombreux blogs qui n’ont parfois rien à envier à l’audience de certains sites de médias. Une bonne nouvelle pour les professionnels des relations presse qui voient ainsi s’accroître le nombre de tribunes… À condition toutefois de se renseigner sur les nouveaux entrants, notamment les blogs parfois très spécifiques qui ne sont pas forcément bien référencés mais peuvent compter sur un lectorat assidu et intéressant en termes de cible(s). C’est notamment le cas avec certains blogs lancés par de grandes entreprises sur leurs sujets d’expertise. Avec l’essor du brand content, les professionnels des RP sont ainsi de plus en plus en contact avec leurs homologues d’autres entreprises pour des articles de blog, des interviews d’experts, témoignages clients… et également avec des journalistes à double casquette (journalisme + brand content).
Le développement d’espaces d’expression pour experts
Face à l’impératif de produire toujours plus de contenu avec moins de journalistes et moins de ressources, de nombreux médias ont trouvé la parade en développant des espaces d’expression pour experts comme L’Express avec Express Yourself, le Cercle les Echos, le Figaro Vox, Le Plus de L’Obs… Le principe ? Des articles écrits par des contributeurs extérieurs, (plus ou moins) spécialistes sur leurs sujets : chercheurs, consultants, avocats… (avec des risques de dérives). Le rapport parle de « rédaction ouverte ». Pour ceux qui en concluraient qu’ils peuvent désormais, grâce à ces espaces, se passer d’attachés de presse, rappelons qu’être publié, c’est bien, mais être lu et relayé sur les réseaux sociaux, c’est mieux et que les professionnels des RP sont justement là pour les aider dans l’art du titre accrocheur, du propos adapté à la ligne éditoriale, à la cible etc. (voire pour écrire ces contributions à partir des propos de l’expert).
La nouvelle organisation des rédactions
Le rapport évoque enfin la transformation des rédactions en newsroom. Dans un entretien publié dans le Nouvel Economiste en avril dernier, le PDG de Reworld Media (Auto Moto, Be, Marie France, Maisons et Travaux…), Pascal Chevalier, explique par exemple que la rédaction est désormais organisée en pôles de compétences, un journaliste travaillant indistinctement pour plusieurs supports du groupe. Dans la même veine, et dans d’autres groupes, on observe le recours de plus en plus fréquent au recyclage d’articles (sans parler des marronniers) : par souci d’économie, un même article, parfois customisé avec un titre, un chapeau et une mise en page différente, peut ainsi être repris tour à tour dans plusieurs journaux du même groupe. Le magazine du Monde épinglait récemment le groupe Robert Lafont qui s’est fait une spécialité de cette pratique, mais d’autres sont également adeptes du copier/coller.
L’impact d’un article s’en trouve ainsi démultiplié. Pour le plus grand bénéfice de l’entreprise s’il est positif, mais c’est en revanche plus gênant s’il ne l’est pas… Le phénomène est encore exacerbé par la multiplication des partenariats entre médias, souvent sur la base d’échanges de contenu, et qui alimente la « circulation circulaire d’information » (Bourdieu).
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce nouveau panorama des médias et sur les changements que nous pouvons observer dans le cadre de notre activité, au contact quotidien des journalistes.
De nombreux articles et ouvrages sont régulièrement consacrés à l’évolution des médias et du métier de journaliste. L’intérêt est moindre, en revanche, (à l’exception de la presse et des blogs spécialisés), pour le métier qui est souvent à la source de l’information*… Les professionnels des RP n’ont de toutes façons pas vocation à capter la lumière pour eux-mêmes, mais n’oublions pas que si les médias se trouvent dans un nouvel écosystème avec de nouveaux entrants, de nouveaux formats, de nouveaux outils, un nouveau rapport aux publics, un nouveau cycle de traitement de l’information et cherchent de nouveaux modèles économiques, lourds de conséquences sur les règles du jeu, les professionnels des RP s’en trouvent impactés de bien des façons et s’adaptent. Et ça ne se résume pas simplement à savoir tweeter ou intégrer un lien url dans un communiqué :).
Valérie Bauer-Eubriet, Responsable des relations presse de Novancia Business School Paris, Co-auteure de « Médiatiser sa boîte. Développer son business grâce aux relations presse », ed. Ellipses
* Nous manquons de données récentes sur le sujet, mais une enquête de Ballester indique que 70% des contenus produits par les médias grands publics leur seraient plus ou moins soufflés par les agences de RP (Stratégies, 11/04/2012). En 2008, une étude de chercheurs de l’université de Cardiff montrait quant à elle que 41% des articles de presse et 52% des informations audiovisuelles au moins reprennent des éléments de communiqués de presse (voir article de l’Idies). Par ailleurs, les études effectuées régulièrement auprès de journalistes montrent que les CP figurent toujours en bonne place dans les sources d’information des journalistes.