Culture RP a rencontré Lisa Durel, blogeuse de La Vie d’Hadès, son blog personnel où se côtoient culture, réflexions personnelles et écriture, et rédactrice chez GentleGeek, un blog souvent copié, mais jamais collé. Licenciée de lettres modernes et ex-tutrice d’université, passionnée par le jeu vidéo et la culture, elle s’est reconvertie à 21 ans dans le community management et les métiers du web.
Lisa, le web propose un ensemble exponentiel de plateformes sociales, pourquoi privilégiez-vous un blog pour promouvoir votre univers et comment pensez-vous votre édito?
A l’ère où il y a une réelle course à la visibilité sur les réseaux sociaux, qui est une bataille de l’instantanéité, il y a un réel défi dans l’écriture digitale. D’autant qu’un autre front s’est ouvert, celui du « personal branding », de la marque personnelle, avec l’avènement du web 2.0 : chaque trace laissée sur le net, chaque prise de parole, concourt à la création de notre identité numérique. Le web 2.0 est devenu comme une scène de théâtre permanente : chaque utilisateur est en représentation de soi. C’est à la fois galvanisant, parce qu’on peut avoir un poids, une réelle parole, mais également effrayant, dans la mesure où le moindre faux pas peut nous suivre, sur le point de vue personnel et professionnel. C’est pourquoi il faut soigner cette marque.
C’est avec le blog que j’ai choisi de la soigner, en complément de mon activité sur les réseaux sociaux, parce qu’il offre une souplesse tant sur la pérennité que sur l’écriture. C’est un blog personnel, donc alimenté quand le temps me le permet, et j’y aborde des sujets divers, qui me touchent particulièrement. Je n’ai aucun impératif de visibilité, de résultats, de transformation, et je ne suis sponsorisée par personne, je suis donc tout à fait libre de ce que j’écris. L’idée de ma ligne éditoriale est donc la franchise, la liberté, et l’implication. Si un film que j’ai vu est particulièrement raté, je ne vais pas me priver de le dire. Si un événement me touche et que je souhaite y apporter mon point de vue – que je ne prétends pas universel, et c’est pour ça que je le poste sur mon espace personnel -, je le fais. Evidemment, l’écriture est codifiée : le respect est de rigueur et mutuel, et j’aborde les sujets pour lesquels j’ai une expertise. C’est pourquoi vous ne verrez jamais de politique sur La Vie d’Hadès. J’adopte un angle incisif, parfois cynique, pour une lecture plus personnelle, une expérience particulière partagée avec le lecteur.
C’est une façon de le fidéliser.
Cette façon de s’impliquer, avec des éléments personnels tout en protégeant ma vie – avec un pseudonyme entre autres -, a permis des échanges sympathiques, sur les réseaux sociaux comme sur la plateforme elle-même (j’ai ainsi pu discuter avec le père d’un jeune homme homosexuel et cet échange a pu construire quelque chose). C’est ça qui est motivant dans le web 2.0, en dehors du plaisir personnel que je prends à écrire.
Vous êtes rédactrice chez GentleGeek. Les nouveaux usages, notamment dans l’univers, du jeu sont en train de changer en profondeur nos relations du vivre ensemble où la question de l’instantanéité est rentrée dans l’ère du contenu culturel. Comment envisager l’évolution du média Twitter et Facebook ?
Une véritable partie de l’identité d’un média, qui s’inscrit dans les relations horizontales crées par le web 2.0. Auparavant, le web ne servait qu’à délivrer des informations, des marques ou des entités qui détenaient le pouvoir de la connaissance, et l’utilisateur subissait ces informations, comme l’élève écoute l’enseignement de son professeur. Le web participatif a tout bouleversé. Les relations sont presque d’égal à égal, ou en tout cas sont « jouées » comme telles. Si l’on veut persister, il faut une réelle identité, des valeurs, quelque chose qui donne envie à nos fans et membres de défendre notre média ou notre marque par rapport à la concurrence. On voit bien que les communications institutionnelles, guindées, entraînent un engagement plus difficile. Les marques ont compris que la proximité avec ses fans est importante : je pourrais citer Oasis, mais de mon point de vue, c’est Sony qui remporte la palme, avec un suivi personnalisé des questions et autres réactions. Twitter et Facebook ne sont plus de simples relais : ce sont des plateformes d’échanges pour tout le monde, particuliers comme professionnels. Pour moi, c’est désormais le lien indéfectible entre l’online et le offline. Pas simplement pour annoncer ces événements ou les organiser, mais pour les prolonger. Nous sommes face à un écosystème changeant, où de nouveaux usages font surface en permanence et le mot d’ordre, pour les utilisateurs comme pour les marques, est l’adaptation. Je pense à Snapchat, par exemple, qui est en train d’être doucement apprivoisé par les marques. Personne, à commencer par les créateurs de Twitter, pouvait penser que ce média social allait connaître une telle explosion. Il est donc difficile d’envisager une évolution, autre qu’avec les choses qui commencent à apparaître en ce moment.
La mobilité est selon-vous la seule voie d’interaction future?
De la même manière que pour la question précédente, il est difficile de se prononcer. Parce que la mobilité ne rentre pas dans un système unique. La mobilité vient avec le développement de nouvelles applications, et de nouveaux devices. Par exemple, les objets connectés, reliés à un smartphone, sont une révolution en puissance – même si la démocratisation est en marche -. Ils sont intimement liés au mobile. Il en va de même pour toutes les technologies associées, la réalité augmentée ou la géolocalisation, qui apportent de nombreuses possibilités d’interactions. Le mobile a pris une envergure incroyable – et j’ai hâte de voir les impacts du développement du réseau avec la 4G+ par exemple -, les réseaux sociaux sont aussi très utilisés via le mobile. C’est donc une question de poids qu’il est impensable de négliger. Mais de là à dire qu’il s’agit de la seule voie d’interaction, je reste réservée. Les clients lourds ont encore des choses à nous montrer, mais pour cela, il faut faire abstraction de la course à la consommation menée par les leaders.
Sommes-nous pas tous devenu de façon inconsciente des Community Manager, des curateurs de contenu où les enjeux à l’avenir pour les marques ne seraient plus de gérer des influenceurs mais de « contenir l’identité de nouveaux acteurs » dans un espace de communication multi format, un nouveau territoire, celui du conflit permanent?
Nous sommes dans un système un peu mécanique : les informations passent très rapidement – pour rappel, la « durée de vie » d’un tweet est d’une heure – et comme nous sommes souvent en mobile, nous ne lisons finalement que rarement les informations que l’on relaie. Il suffit de faire une phrase d’accroche séduisante, pour pouvoir être relayé un maximum, autant en tant qu’émetteurs d’informations que récepteurs. Nous – les utilisateurs – ne sommes pas que des curateurs de contenus. Nous modelons un langage, avec un contenu de plus en plus riche et diversifié. Il ne suffit pas d’avoir un contenu cool : il faut savoir le vendre en peu de mots, et on voit l’avènement d’un langage de réactivité, souvent extrêmement drôle. Si certains internautes se font un malin plaisir à détourner les publicités pour une prise de position, et si les consommateurs n’hésitent plus à exprimer leur mécontentement, ce n’est pas un climat de conflit permanent : plutôt un espace de dialogues. C’est évidemment l’essence même du web 2.0, mais disons que c’est un dialogue passionné, qui peut exploser d’un moment à l’autre en une polémique ou un bad buzz. C’est pour cela qu’il est important de créer des liens, établir des veilles sur les retours des fans, que ce soit sur les sites/réseaux sociaux des marques, ou ailleurs, sur les sites d’avis par exemple, et répondre à leurs attentes : ils sont les garants de l’image des marques.
Ma jeune expérience de community manager me l’a montré : le web est aussi le lieu où l’on peut faire de belles rencontres et fonder une communauté enrichissante et soudée. Ca a été le cas avec Mass Effect Saga, le site que j’ai géré pendant un peu plus d’un an et qui est devenu une référence dans la communauté francophone du jeu :
J’ai beaucoup appris auprès de ses membres, et leur indulgence et leurs encouragements ont été des motivations supplémentaires pour donner le meilleur.
Ils sont, ainsi naturellement devenus les ambassadeurs du site. Les conflits sont exacerbés par l’esprit de groupe, le sentiment pour une communauté d’avoir été flouée. Si on ne peut pas empêcher leur existence, on peut les moduler, à condition d’écouter et de répondre aux attentes des fans. Donc toujours cette idée de dialogue qui peut s’embraser. C’est en ça que c’est passionnant.
Parce qu’il faut désormais une rigueur dans tout ce qu’on fait, que ce soit texte ou image, une réactivité, autant sur le marché que dans le dialogue avec les fans, et l’adoption d’un ton qui ne soit ni trop familier ni trop guindé. Une vigilance permanente est de mise. C’est un véritable challenge que de créer un lien durable entre les marques et les fans – on en revient avec notre idée de relations horizontales -, parce que la confiance est dure à conquérir et très facile à perdre.
Il n’y a d’ailleurs pas de marche à suivre, pas de formule magique pour désamorcer un conflit qui couve, si un utilisateur est mécontent. Ce serait un peu comme une rencontre amoureuse:
il faut d’abord apprendre à se connaître avant d’hurler son amour sous tous les toits.
Cette connaissance passe par la veille – et donc une des tâches importantes des community managers. L’avantage, c’est qu’avant d’être CM, nous sommes des utilisateurs d’internet. La compréhension des attentes en est d’autant facilitée.
Quelle définition donneriez-vous à l’influence et à l’e-réputation?
L’influence se mesure en plusieurs aspects : l’impact de vos publications (blog, réseaux sociaux…) sur votre réseau, votre réseau étendu, voire le monde. Un tweet dans un sujet brûlant avec un bon hashtag peut faire le tour du monde – et on finit par être cité par le Huffington Post (« Millénium » : un tome 4 prévu pour l’été 2015
) -. Mais cet impact ne serait complet s’il n’engendrait pas de l’engagement, c’est-à-dire de la discussion autour de ces publications. Des réponses, des favoris, des likes… Et plus on a d’impact avec des sujets intéressants, plus on engendre de discussions, plus on étend son réseau – c’est donc un cercle vertueux qu’il faut soigner avec amour – et plus les discussions se font avec d’autres influenceurs, etc. Les influenceurs sont chouchoutés par les marques – on peut penser aux youtubeurs dans le milieu du jeu vidéo, très prisés en ces temps de crises budgétaires, même s’ils ne répondent pas à leurs fans directement -.
Quant à l’e-réputation, c’est une autre des clés du web 2.0, depuis que la dimension professionnelle s’est mêlée au personnel : désormais, le premier réflexe des recruteurs est de googliser votre nom. L’e-réputation est ce qui ressort de toutes vos traces sur le web. Et parfois, retrouver son vieux skyblog de collégien peut être gênant. Enfin. Ce sera toujours moins gênant que trouver l’intégralité des groupes que l’on aime sur Facebook (« partir en soirée comme Megan Fox, revenir comme Amy Winehouse », exemple parmi tant d’autres) ou les propos que l’on a pu tenir, ivre, sur Twitter. Il est donc important de soigner son e-réputation. Nous évoluons dans un environnement qui pourrait s’apparenter avec Big Brother, mais nous avons majoritairement la mainmise sur ces données « sensibles ». A nous de faire en sorte que notre « vitrine » digitale soit la plus saine possible, à défaut d’être la meilleure. Ce qui nous renvoie à nouveau vers l’idée d’une représentation totale et permanente, sur le web, de la photo de profil à votre dernier tweet.
On parle régulièrement de l’évolution des Relations Publiques sur le blog Culture RP, certains parlent même de la mort programmée si cette profession ne change pas de paradigme. Selon vous, quelles notions doivent prendre en compte cette profession pour intégrer les Natives Digital dans leurs plans de communication?
Je suis plus spécifiquement axée sur les relations presse. L’intérêt des digital natives est que l’on maîtrise les outils et que nous avons instinctivement créé notre premier réseau. Et nous sommes des jeunes éléments. Cependant, cela ne signifie pas que l’on doit être considéré comme des bleus. A moins d’avoir déjà une relation entamée et entretenue, recevoir un communiqué de presse avec un tutoiement systématique est très déplacé. Au reste, si les blogueurs sont les meilleurs relais, il faut savoir les impressionner positivement. Les événements physiques sont souvent soignés par les agences, mais l’expérience digitale nous apporte quelque chose d’autre, et crée donc des attentes : nous ne sommes plus de simples spectateurs. Les événements se doivent d’être interactifs, mettant en avant les réseaux sociaux en amont, pendant l’événement et en aval – et on en revient avec l’idée qu’ils sont les liens fondamentaux entre l’online et le offline désormais -, mais je dirais qu’une notion fondamentale est le storytelling. Une belle histoire, bien racontée, c’est encore plus savoureux qu’un goodies. Un événement qui est bien scénarisé et original est séduisant. Ensuite, il est important de se souvenir que pour vivre de son blog, il faut se lever tôt. Un soutien des RP pour des jeunes sites, des jeunes bénévoles qui donnent de leur temps pour une passion, avec une réelle collaboration, c’est très gratifiant, parce que nous devenons des ambassadeurs fidèles – sans avoir à « acheter » les blogueurs. Une relation honnête et saine est la clé de la réussite. L’étape suivante étant le recrutement – c’est le cas du CM de Bescherelle Ta Mère, qui a trouvé un poste chez Marcel. Les digital natives sont très proactifs et ils gagnent à être considérés comme de potentiels futurs collaborateurs plutôt que comme des jeunes geeks.
Liens:
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